August Sander (1876-1964) photographe allemand, né à Herdorf proche de Cologne, fils de mineur, quatrième enfant d’une famille de neuf. Dès la fin de l'école primaire évangélique, en 1890 il travaille comme garçon de terril, dans la mine de fer San Fernando d’Herdorf en Rhénanie-Palatinat. Il est pour la première fois au contact avec la photographie en qu’assistant photographe accrédité pour la société d'exploitation minière.

      • En 1892, son oncle lui offre un appareil photo, c’est la première étape pour Sander qui l’utilise durant son temps libre. Une autre étape déterminante pour la profession de photographe qu’il envisage, est le service militaire qu’il effectue de 1897 à 1899 à Trèves où il occupe un poste d’assistant photographe, cela lui permet d’acquérir d'autres expériences. Il voyage pendant ces deux ans à Berlin, Magdeburg, Halle, Saale, Leipzig et Dresde. A Dresde il suit un bref enseignement artistique, en étudiant la peinture.

      • En 1900 il commence à se passionner de plus en plus pour la photographie et part faire le tour de l'Allemagne comme photographe industriel. En 1901, il devient employé d'un studio de photo nommé « Greif » à Linz en Autriche et en est l’année suivante copropriétaire et associé puis en 1904 totalement propriétaire. En 1902, il épouse Anna Seitenmacher qui lui donne quatre enfants. En 1910, il quitte son studio de Linz et part s'établir dans sa ville natale de Cologne, où il fonde un nouveau studio.

      • Au début des années 1920, Sander sest en contact avec les artistes progressistes de Cologne et trouve dans ce cercle une forte résonance et une profonde influence, il a des liaisons étroites avec les peintres, Gerd Arntz, Franz Wilhelm Seiwert, Heinrich Hoerle en autres. Il côtoie également les musiciens, écrivains, architectes et acteurs dont beaucoup font réaliser leur portrait par le photographe se retrouvant par la suite dans son recueil « Menschen des 20. Jahrhunderts », hommes du vingtième siècle. C’est à cette époque que Sander commence ce projet majeur de « Menschen des 20. Jahrhunderts », qu’il poursuit jusqu'en 1950, sans pouvoir le terminer. C’est son fils qui publie à Munich en 1980 une partie de ce travail gigantesque.

      • Le thème du projet est né des portraits qu'il fait des paysans du Westerwald, en qui il voit l'homme contemporain par excellence, la base de la société. Il élargit par la suite son travail aux ouvriers qualifiés, aux femmes, aux intellectuels, aux marginaux. Il veut dresser une cartographie complète de son temps où chacun trouve sa place, du plus humble au nanti.

      • En 1927, Sander entreprend un voyage d'environ trois mois en Sardaigne, avec l'auteur Ludwig Mathar, il y réalise près de 500 photos. La publication d'un livre sur ce voyage échoue. En 1929, il publie son premier ouvrage « Antlitz der Zeit » (Le Visage de ce temps), comportant un choix de 60 portraits de son recueil « Menschen des 20. Jahrhunderts ».

      • La venue du nazisme affecte fortement son travail ainsi que sa vie personnelle, son fils Erich, membre du Parti socialiste ouvrier Allemand, est arrêté en 1934 et condamné à la prison où il trouve la mort en 1944. En 1936, son livre « Antlitz der Zeit » est saisi par le régime, les exemplaires imprimés détruits ainsi que des tirages photographiques.

      • Pendant la guerre, il se déplace à Kuchhausen dans le Westerwald, où il met en sécurité quelques 10 000 de ses négatifs, il se consacre essentiellement aux thèmes de la campagne du Rhin. En 1944 lors d’une attaque aérienne, son studio est détruit. Après la guerre. En 1946, il débute une vaste série d'images sur les destructions de la guerre à Cologne.

      • Sander prend sa retraite à Kuchhausen où il travaille dans des conditions plus qu’artisanales. Son nom est presque oublié. Mais en 1951 une exposition, « la Photokina » de Cologne le fait à nouveau connaître et la ville de Cologne achète pour le « Stadtmuseum », l'ensemble de ses archives, y compris ses négatifs, pris entre 1935 et 1945.

      • Son projet titanesque, a une descendance avec l’exposition de « The Family of Man » organisée en 1955 au Museum of Modern Art par Edward Steichen qui est venu le rencontrer à Kurchhausen, afin de lui demander un choix d’images pour l’exposition. En 1962 « Deutschenspiegel », Miroir des Allemands, est le titre de son dernier ouvrage.

      • En 1969, cinq ans après sa mort le « Museum of Modern Art » de New York lui consacre une grande rétrospective.

Portraitiste scrupuleux, August Sander réunit photographie documentaire et pratique artistique, une démarche unique dans le milieu de la photographie. Son œuvre demeure un monument de mémoire et une réinvention du portrait en photographie, avec une absence d'effets, une frontalité, un effacement du photographe face à son sujet, elle constitue une référence fondamentale, influençant des artistes photographes comme Walker Evans, Dorothea Lange ou plus tard le couple Bernd et Hilla Becher et continue de s’étendre jusqu’au années 1970 et 1980.

Sa philosophie est de voir, observer, penser, il ne cherche pas le beau, mais par une photographie exacte, saisir l’autre réalité, celle mystérieuse et cachée que son objectif, objectivement révèle en chaque être humain. Il passe du noir du fond, du carreau de la mine à la lumière de la photographie, une trajectoire unique des ombres à la densité du jour et des êtres, qui marque sa manière de photographier qui veut magnifier le réel en pleine clarté, le cartographier face au temps des bouleversements.

« Une belle photo n’est que le premier pas vers un usage intelligent de la photographie, je ne peux montrer mon travail en une seule image, ni même en deux ou en trois, ce ne serait jamais que des instantanés. La photographie c’est comme une mosaïque qui ne devient synthèse que lorsqu’elle est présentée dans sa complexité. » August Sander

Sander met toute sa technique de photographe de studio au service de ses portraits en plein air, poses travaillées, éclairage calculé et composition maîtrisée, lumière éclatante, arrière-plans en flou qui s’effacent. Tout devenant parfait et inquiétant dans le même temps, laissant des secrets s’en échapper. Ce sont des « autoportraits assistés » dit-il. Et de cette mosaïque d’individus émerge, grâce à la succession des images soigneusement voulue par Sander, un sens profond sur notre monde. Il est incontestablement un sismographe fidèle de son temps, sans embellissement, sans plaidoyer sentimental, des citoyens anonymes représentant un peuple témoin. Sander avec son appareil parcoure trois périodes de l’Allemagne, celle de Guillaume II, de la république de Weimar jusqu’au national-socialisme, l’histoire de l’Allemagne se lit dans les visages qu’il photographie. Il se tient avec cet art du photographe de portrait en frontalité absolu avec son temps, face au temps, pour en sorte témoigner. Sa photo est idéologique et toujours humaniste.

« Nous savons que les gens sont formés par la lumière et l’air, par les traits don’t ils ont hérité et leur action, nous pouvons dire, d’après l’apparence, le travail que l’un accomplit ou n’accomplit pas, nous pouvons lire sur son visage si il est content ou soucieux, mon intention n’est ni de critiquer, ni de décrire ces gens, mais de créer un morceau d’histoire avec mes photographies. » August Sander

Les portraits de Sander sont toujours placés dans un environnement simple, avec les indices des vêtements pour en révéler l’origine sociale. Les gens sont face à l’appareil, figés dans leur propre éternité avec leur visage de sortie, de cérémonie, avec quelques objets quotidiens pour les accompagner. Ils sont en statues d’une vérité qui les dépasse, une sorte d’épouvantails du temps qui passe. Une réalité passée sous la loupe révélatrice du photographe qu’il scrute intensément, cherche la restitution parfaite. Plus qu’un portrait mis en scène, c’est la vérité profonde d’une époque, de l’être, qu’il met à nu. Sander sera sans cesse dans sa recherche d’absolu, dans sa recherche d’une authenticité plastique.

« Je ne déteste rien plus que la photographie au sucre avec minauderies, poses et affectations. Cela étant laissez-moi dire sincèrement la vérité sur notre époque et ses hommes. » August Sander

Par des sortes de portraits documentaires de l’Allemagne de son temps, les années trente qui voient le basculement de la République de Weimar à la dictature du national-socialisme, August Sander, dresse un portrait clinique, souvent inquiétant et toujours révélateur de son époque. Une photographie qui s’inscrit dans le mouvement de la nouvelle objectivité, une vision frontale de ses contemporains, sans empathie particulière, simplement la violente vérité de la vie et des visages. Sorte d’arpenteur, comme un agent de recensement, il fixe, sans lyrisme particulier ce qui est le présent de l’Allemagne à ce moment charnière du glissement dans la dictature. Il ne fait pas de la photographie, mais une véritable fresque, une épopée du réel. D’un réel mis à nu, sans effusion déplacée, sans empathie débordante, sans sentimentalisme.

« L’essence de toute photographie est documentaire par nature. » August Sander

Cette objectivité est liée à celle qui est dans les autres arts, peinture, cinéma que Sander connait fort bien et qu’il côtoie et admire. Il l’utilise pour scruter, donner à voir sans juger. Son approche est contemporaine, relevant du dadaïsme, et de la peinture d’Otto Dix, du courant de la « Nouvelle Objectivité ». Il photographie son Allemagne natale en plein bouillonnement, au travers des métiers, des portraits d’artistes, des portraits de bourgeois ou de soldats, une cartographie de la misère humaine intérieure, avec la rédemption par le monde paysan. Toute une galerie d’êtres et de caractères se donne à voir, en face, ouvriers, soldats, amis peintres, marchands d’arts, bourgeois en représentation, paysans méfiants, gitans, vagabonds, banquiers. À partir de portraits individuels c’est tout un peuple qui émerge, dépassant la simple analyse, c’est une sorte d’hymne à son temps, sans concession, sans détachement.

« Menschen des 20. Jahrhunderts », les hommes du 20eme siècle, est tout au long de sa carrière le fil conducteur de son œuvre, obstinément il édifie une sociologie sans paroles par ce projet immense, un corpus de plus de 600 portraits passant en revue toutes les différentes couches sociales de la société allemande. Il l’organise en 45 portfolios subdivisés en 7 groupes : le paysan, l'artisan, la femme, les catégories socioprofessionnelles, les artistes, la grande ville, les derniers hommes. Une première édition partielle, préfacée par Alfred Döblin, paraît en 1929 sous le titre « Antlitz der Zeit », visage du temps.

« En photographie, il n'existe pas d'ombres que l'on ne puisse éclairer. » August Sander

Jeunes paysans, Westerwald, 1914

Sander s’inspire de ces paysans pour construire sa gigantesque fresque sociale, ces trois hommes liés à la terre, des représentants d’une société rurale restée longtemps inchangée mais prête à disparaître. Ces jeunes gens ont revêtu leur meilleur costume comme si c’était dimanche, ils renvoient un regard assuré que la fatigue due au travail, n’a pas encore endurci. A l’égal du travail de la classe sociale, la douleur est capable de modeler les caractères, c’est ce qu’il veut signifier au travers de ce portrait de ces trois êtres humains.

Le paysan de gauche à la cigarette qui lui pend aux lèvres, celui du milieu la tient à la main, et celui de droite vient de la terminer. Le premier donne l’impression qu’il vient tout juste de renter dans l’image, accentué par la diagonale de sa canne, le second semble lui s’arrêter tandis que le dernier est raide comme un piquet, semblable à sa canne bien droite plantée dans le sol.

Maçon, 1928

Maitre-Patissier, 1928

Lutteurs, 1929