Jane Evelyn Atwood (1947) photographe franco-américaine, née à New York, ville dans laquelle elle grandit.

    • En 1971, à 24 ans, elle quitte sa ville natale de New York pour s'installer à Paris. Dans un premier temps, la journée, elle travaille au ministère des PTT effectuant des revues de presse, et le soir, donne des leçons d’anglais afin de subvenir à ses besoins, parallèlement elle s’essaye un court instant au théâtre. Sans rien connaître au milieu photographique, elle s’achète un Nikkormat avec lequel elle réalise ses premiers clichés.

    • En 1975, elle se lie d’amitié avec une prostituée du nom de Roselyne, surnommée Blondine, cette rencontre lui permet de s'immerger dans le milieu de la prostitution parisienne, effectuant des photographie sur les pas de portes, les arrière-cours, les chambres des hôtels de passe de la rue des Lombards et dans les bars de Pigalle.

    • « Ma relation avec Blondine c’était une vraie, authentique relation privilégiée, parce que moi j’étais une cavette, c’est-à-dire une personne qui n’est pas du milieu de la prostitution, et elle, c’était une pute de bas niveau, une prostituée de la rue. On avait fondé une réelle amitié, basée sur le respect mutuel, c’était inattendu, et ça m’est arrivé une seule fois dans ma vie de photographe. Blondine m’a protégée d’elle-même, elle ne voulait pas venir chez moi mais je pouvais aller chez elle, dans son monde. Quand je suis devenue un peu connue, elle était très fière de moi, comme si j’étais l’enfant qu’elle n’avait pas pu avoir. » Jane Evelyn Atwood

    • Avec sa série sur la prostitution, elle rencontre des difficultés avec les éditeurs français pour la publication de son premier ouvrage, son travail trouve enfin un aboutissement en étant publié en Allemagne, en 1980 sous le titre, « Nächtlicher Alltag, Meine Begegnung mit Prostituierten in Paris », en parallèle elle édite « La maculée, dialogues de nuit », recueil regroupant ses entretiens avec ses amies prostituées, sans aucune photographie.

    • Conjointement, elle apprend à l’American Center de Paris, les techniques du développement et du tirage, endroit ou elle fait connaissance d'un laborantin de l’agence Magnum Photos, auquel elle dévoile ses premiers clichés, et qui lui présente le photographe Leonard Freed, ce dernier appréciant son travail, l’encourage, et lui conseille d’acheter un Leica.

    • Elle se met à parcourir le monde entier, pour un nouveau projet, consacré aux enfants aveugles à travers la planète, grâce à ce reportage, elle est récompensée en 1980, obtenant le prix de photojournalisme « W. Eugene Smith » lors de sa première édition.

    • Puis elle enchaine les reportages, sur la légion étrangère, sur un malade, Jean-Louis atteint du sida qu'elle photographie durant les derniers mois de sa vie.

    • A partir de 1989, elle se consacre pendant dix ans, à son grand projet sur les femmes en prison, se rendant dans plus de quarante établissements pénitenciers les plus durs, des États-Unis à Europe de l’Ouest et de l’Est, jusqu'à pénétrer les couloirs de la mort. Son reportage est publié en 2000 au sein d'un ouvrage, intitulé, « Too much time, Women in prison ».

    • Dès 2001, elle s’intéresse aux ravages des mines antipersonnel, photographiant les victimes de l'Angola à l'Afghanistan en passant par le Mozambique, qui aboutit à la publication d'un nouvel ouvrage en 2004, « Sentinelles de l'ombre », en collaboration avec Handicap International en 2004.

    • En 2011, La Maison européenne de la photographie lui consacre une première grande rétrospective, présentée, sous le titre « Photographies 1976-2010, trente-cinq ans de travail », exposition autour de six de ses séries photographiques majeures, les prostituées, les aveugles, les femmes en prison, Jean-Louis/Vivre et mourir du Sida, les victimes de mines anti-personnels et Haïti. La même année ses premières photos sont rééditées par Xavier Barral dans un ouvrage intitulé, « Rue des Lombards ».

    • En 2018, ses photographies sur les prostituées transsexuelles de Pigalle, prises en 1978 font l'objet d'une exposition aux Rencontres d'Arles de la photographie.


Jane Evelyn Atwood pour ses projets photographiques prend son temps, ils peuvent s’étaler sur plusieurs années, elle cherche à s'immerger totalement dans ses sujets, afin de pénétrer les lieux et les mondes que nul n’a jamais exploré, telle que ses reportages sur les femmes prostituées ou en prison, projet qui l'occupe sans relâche quotidiennement.

« J'étais fascinée par Diane Arbus et si j'ai fait de la photo c'était grâce à elle. » Jane Evelyn Atwood

Elle n'est pas une passante faisant profession de son boitier de vision, mais une participante, une amie et une sœur, et lorsque les transsexuels montrent leurs seins, ou laissent voir un téton, c’est que la poitrine formée est le symbole d’une victoire contre une assignation identitaire vécue comme oppressante.

« La rue des lombards a été mon école de photographie, elle m’a appris la patience, à ne pas être trop gourmande, à savoir quitter une situation pour ne pas avoir de problèmes, et j’utilise toutes ces choses, dans tous les sujets que je fais depuis. J’ai appris mon travail dans la rue. » Jane Evelyn Atwood

Ses reportages qu'elle enchaine sont de la même veine, ils pénètrent l’intimité, la vie des sujets pour en extraire l’essence. Une sève toujours pleine de dignité et d’humilité, ses photographies sont le rouage d’un processus complexe et profond, donnent la réponse à toutes les interrogations qu'elle se pose sur les existences. C’est son honnêteté totale qui permet à ses sujets de s’ouvrir pleinement à l’objectif. Grande curieuse, elle se dit passionnée par la condition humaine et s’intéresse à l'étrangeté, à ceux qui ne rentrent pas dans les cadres habituels de la pensée, elle veut les faire exister, dans leur humanité, prouver qu’ils sont normaux à leur façon, avec pour but de mettre un visage sur ce que qu'elle qualifie de problèmes sociaux.

Première lauréate du Prix Eugène Smith de la photographie documentaire, pour sa série « Extérieur Nuit », une plongée dans le monde des aveugles, rencontrés dans des institutions à Paris, Tokyo, Bethleem et Jerusalem avec des images, métaphoriques, surprenantes, drôles et émouvantes.

« C’est le sujet qui me choisit, et j’organise ma vie autour afin de pouvoir le traiter. Les sujets sont toujours plus grands que moi. » Jane Evelyn Atwood

Ses œuvres ne relèvent pas du militantisme, elle avoue être souvent choquée, enragée par ce qu’elle découvre au fil de ses projets, la motivation première est la compréhension de l’autre, se décrivant en tant que « photographe obsessive », avant d’être photojournaliste. Pourtant les deux sont intimement liés, elle provoque l'émotion, l'indignation, l'empathie, qui aident à améliorer les conditions de vie de ces laissés pour compte, comme le cas de Jean Louis, premier homme atteint du Sida à se laisser photographier, elle cherche à travers sa photographie à faire tomber les préjugés sur la maladie.

Elle ne se contente pas uniquement d’expositions temporaires, la majorité de ses projets donnent naissance à un ouvrage, qu'elle accompagne d'écrits, comme celui sur Haïti, l’un des seuls ou elle utilise la couleur, dans lequel elle dépeint la vie quotidienne, la misère, la lutte, avec l’idée que les photographies laissent une trace.

Femme forte et obstinée, elle réalise un travail unique dans l'histoire de la photographie, tant que par sa dureté que par son ampleur géographique. Elle est en permanence en équilibre, n'exagère rien, elle se constitue comme un élément de la scène dans chacune de ses photographies. Sa solidarité avec ses sujets, sa proximité sobre, sont pour elle un élément essentiel dans sa démarche photographique.

« C’est toujours difficile pour moi d’arrêter de photographier, cela pour deux raisons, tout d’abord, parce ce que j’ai peur de ne pas avoir de sujet. Quand je suis devenue photographe, je me suis retrouvée dans la même situation qu’un peintre devant sa toile blanche, mais très vite, je me suis rendue compte qu’il y avait toujours des sujets qui venaient à moi. La seconde raison, c’est que je suis toujours triste de quitter mes sujets. » Jane Evelyn Atwood

Elle passe quelques dix années dans les prisons pour femmes pour témoigner de la vie, des souffrances, du dernier souffle des condamnés de l'Amérique de la peine de mort et en Europe. Telle est la sentence qu'elle s'est infligée, coupable de vouloir savoir, son travail débute par de patientes demandes, d'interminables attentes, des références à fournir pour que la porte d'acier s'ouvre enfin à son objectif.

« Moi j’étais quelqu’un d’extérieur, qui s’immisce difficilement dans un monde qui n’est pas le sien. J’étais une visiteuse et je le reste jusqu’au bout. Le rapport que j’ai établi avec ces personnes était très particulier, je ne pouvais pas les trahir, ils m’ont laissée entrer, et en remerciement, je ne pouvais pas faire des photos voyeuristes. J’ai dû suivre ces photos le reste de ma vie, pour surveiller la façon dont elles seraient utilisées. Mon travail de photographe dure beaucoup plus longtemps que la prise de vue. » Jane Evelyn Atwood

Dans son travail, ce qu'elle dévoile dans un monde où quiconque peut réaliser des milliers de photos en un temps record, c’est l’histoire, un récit qui se tisse en filigrane et irradie le cliché. Peu importe la vitesse, la quantité, seule importe la façon dont le sujet transcende la photographie.

« Une photographie réussie est une photo qui m'émeut tout simplement. » Jane Evelyn Atwood

Rue des Lombards, Paris, 1976

Rue des Lombards, Paris, 1976

Pigalle, Paris, 1978

Pigalle, Paris, 1978

Transsexuelles, Paris, 1979

Rue Veron, Pigalle, Paris, 1979

Institut départemental des aveugles, Saint Mandé, 1980

James Baldwin et son frère David, Saint Germain des Près, Paris, 1981

Jean Louis, Paris, 1987

Femmes incarcérées, 1989

Prisonnières, Ryazan, URSS, 1990

Les Gonaïves, Haiti, 2005