Mario Giacomelli (1925-2000) photographe italien, né à Senigallia dans la région Marches, issu d'une famille pauvre, il perd très tôt son père, en 1934, à l’âge de 9 ans. Suite cette disparition, sa mère seule afin de l’élever, travaille en tant que blanchisseuse dans un hospice de vieillards. Durant sa jeunesse, il passe la majorité de son temps à la peinture.
En 1938, il quitte l’école et entre dans à l’imprimerie, « Tipografia Marchigiana », dans un premier temps comme aide puis typographe, il s’intéresse avec passion aux caractères typographiques, découvre l’univers de l’art, en étant saisi par le potentiel créatif, se mettant à utiliser le matériel de rebut, papier, colle, encre, caractères usés pour fabriquer ses premiers tableaux.
En 1945, un bombardement détruit totalement l’imprimerie dont il est devenu co-propriétaire. Un an plus tard, en 1946 il entame la reconstruction et poursuit son travail d’imprimeur. En parallèle pendant son temps libre, il écrit ses premiers poèmes, continu à peindre des compositions abstraites et se passionne pour les courses automobiles.
En 1952, lors d'une course, il est gravement accidenté et décide définitivement d’abandonner sa passion pour l’automobile.
En 1953, il achète son premier appareil photo, un « Bencini Comet » et ressent dès lors un lien entre photographie et pratique de la peinture. Dès le lendemain de son acquisition, il court sur la plage et réalise sa toute première photographie « l’approdo » (l’abordage). Il modifie et bricole son appareil qu’il garde toute sa vie. Dans le même temps il installe un laboratoire et fait le choix dès le départ d'utiliser un papier contrasté pour son travail.
En 1954, il se lie avec le photographe Giuseppe Cavalli, animateur du groupe photographique d’amateur « MISA », il l’incorpore et y rencontre Piergiorgio Branzi, Alfredo Camisa et Silvio Pellegrini.
Il commence à travailler pendant trois ans, sur la vie de l'hospice, « Vita d’ospizio », tout en s'intéressant à la photographie de paysages, de natures mortes, de portraits et débute une recherche sur l’exploitation du hasard.
En 1955, il remporte le premier prix lors d’une exposition national au festival de Castelfranco.
De 1956 à 1958 il fréquente brièvement le groupe de photographes, la « Bussola ».
En 1957, il voyage à Lourdes et débute une série photographique de « Scanno », village des Abruzzess, puis enchaine une autre sur les Gitans.
De 1961 à 1963, il réalise sa série des séminaristes de sa ville natale de Senigallia et expose ses photos à la « Photokina » de Cologne.
En 1963, John Szarkowski, directeur du département de la Photographie du Musée d'Art Moderne de New York, lui achète certaines photographies de sa série « Scanno » pour les indure à la collection des maîtres de la photographie internationale.
En 1964, il débute son cycle de photos sur la terre et la civilisation des paysans, « Buona terra ».
En 1965, il effectue une nouvelle série sur l’hospice de Senigallia, ses clichés sur les séminaristes sont exposées au Metropolitan Museum of Art de New York. Année durant laquelle, il débute ses recherches sur les motifs suggérés à partir de la coupe d’un tronc d’arbre.
En 1966, Mario Giacomellile, le MoMA de New York lui organise une exposition, intitulée « Photographer’s Eyes ».
Dans les années 1970, il est reconnu internationalement comme un photographe incontournable, participe en 1971 à la Biennale de Venise, en 1973 à une exposition à la « photographer’s Gallery » de Londres, le consacrant comme l’un des cinq maitres de la photographie européenne.
De 1981 à 1985, il continue d’écrire des poèmes en s’inspirant des écrivains tels que Cesare Pavesti, Emily Dickinson, Leopardi, Jorge Luis Borges et réalise une série de photographies en couleurs, « Le Chantier du paysage ».
En 1992, il reçoit le prix international de la photographie de la ville de Venise. En 1997, suite à une commande de ma maison « Illy », il décore les tasses à café italienne de la collection de la marque.
Jusqu'a la fin de sa vie, il continue sans cesse de photographier, constituant au fil du temps de nombreuses séries, de paysage (1970 à 1976), la mer vue d’en haut, « la mer de mes récits » (1983), « Fables » et « Les fils de fer » (1984), « Je ne suis personne » (1992), « Bando » sur le thème de l’exil (1995), « Un dimanche d’avant » et « Ce souvenir, je voudrais le raconter » (1999).
En 2001, une grande rétrospective lui est consacré au « Palazzo delle Esposizioni » à Rome.
N’ayant pratiquement jamais quitté l’Italie, Giacomelli fait de sa terre, de ses paysages, des visages familiers qui l’entourent, la matière même de son œuvre, en les dépouillant de leurs dimensions subjectives ou anecdotiques pour leur conférer une intériorité universelle.
L’ouvrier typographe qui devient imprimeur, puis photographe, exprime sa révolte contre l’injustice sociale. Solitaire et libre de toute influence, il puise dans sa science du trait et de sa poétique une manière noire qui donne à sa photographie une dimension mythologique, faisant ressortir, par des cadrages au couteau, tout en abstraction et néo réalisme, l’essentiel de la vie. Il utilise des noirs et des blancs sans limites.
« Le noir, c’est la vie du paysan, le blanc, c’est le soleil, c’est cet espoir qui ne peut mourir. » Mario Giacomelli
Il s'intéresse particulièrement à l'abstraction lyrique et effectue diverses séries. Ses principales sources d'inspiration viennent de Pablo Picasso, Paul Klee, Osvaldo Licini, Giorgio Morandi, Robert Rauschenberg et Barnett Newman.
« Une image appartenant à une histoire doit fonctionner de manière autonome, se raconter elle-même. Le blanc isole la réalité pour mettre en évidence ce qui est important pour moi. » Mario Giacomelli
Il se consacre au médium photographique, avec une volonté de promouvoir une photographie narrative, une photographie inspirée par le cinéma néo-réaliste, ceux des films de Vittorio De Sica et Roberto Rossellini, il est influencé par le renouvellement du photographe italien Giuseppe Cavalli, et développe un style audacieux avec des compositions marquées par des contrastes saisissants, en errant dans les rues et les champs de son Italie.
La force de ses images, leur puissance plastique et le caractère énigmatique de leur contenu, trouvent une dimension particulière proche de la poésie, elles sont une écriture visuelle.
« Les plus belles photos sont celles, peut-être, qu'on ne fait pas, parce que si on les avait faites, on aurait gâché quelque chose. » Mario Giacomelli
Explorant de nouveaux effets graphiques, il utilise des pellicules périmées, surexpose ou sous expose ses tirages et dessine librement sur ses négatifs, ne répondant pas à la pratique conventionnelle de l’époque, le résultat qu’il obtient, produit des images profondément expressives, contrastées et parfois délavées.
« Le noir et le blanc, comme une écriture lisible, détruisent en partie le réalisme que le photographe pourrait avoir. Dans mes images, il n’y a rien d’abstrait, il n’y a que l’essentiel. » Mario Giacomelli
Avec sa série en 1961, « Lo non ho mani che mi accarezzino il volto », titre qui s’inspire d’un poème du Père David, « Je n’ai pas de mains qui me caressent le visage », il commence à fréquenter le séminaire épiscopale de Senigallia ou il observe les rapports humains qui tissent les jeunes séminaristes. La première année il prend très peu de clichés, mais de suite attiré par le noir, les gens simples et les longues soutanes, il observe et cherche à comprendre et revient les voir sur place, en 1962 en passant à l’acte, appareil à la main, par une journée de neige, le moment survient de prendre des photographies, dans lesquels il allonge le temps de pause pour obtenir la lenteur du flou et construire un blanc qui brulé par le flash, envahit et mange l’espace.
« Je peux toujours voir l’image avant même d’avoir déclenché l’appareil. » Mario Giacomelli
Senigallia, Italie, 1962
Dissimulé derrière une lucarne, il réalise cette photographie vue de haut, dressant le portrait des séminaristes pendant une recréation, il saisit ces jeunes prêtes, en soutanes sombres, dansant main dans la main en ronde puérile et joyeuse, comme des enfants, comme des satellites qui flottent sur une mer de blancheur. La sensation de grâce qui émane de cette image tient à des blancs intenses, isolant les personnages et par l’accentuation des contrastes soigneux qui élimine tous les détails spatiaux. La profondeur de champ ne joue pas un rôle prépondérant, ce sont les trames, les formes, la dynamique des signes à l’intérieur de la composition qui assument la principale valeur. Les mains unies des séminaristes délimitent l’espace, l’un deux semble défier les lois de la gravité, allongé sur une couverture, assumant l’apparence féérique d’un tapis volant, donnant un effet surréaliste à l’image, il est le seul ou le Giacomelli préserve les gris, permettant de voir le dessin et les plis du tissu. C’est bien la réalité et le surréalisme dans la même image qu’il cherche à installer.
« Avec cette série sur les prêtes, j’ai découvert une dimension qui m’était inconnue, j’ai dépouillé des canons conventionnels pour mettre l’homme à nu. » Mario Giacomelli