Charles Marville (1813-1879) photographe français né Charles-François Bossu à Paris. Il débute sa carrière en tant que peintre-graveur, lithographe et devient photographe vers 1850. En 1851, demandant l’autorisation d’entrer dans des bâtiments publics pour faire des vues intérieures des monuments de France, il se présente en tant qu'artiste peintre. La même année il collabore avec l’imprimeur « Blanquart-Evrard » à Lille, l’une des premières maisons d’édition de photographie.
De 1853 à 1854, il parcoure la France pour réaliser des prises de vue, en explorant de multiples domaines, il illustre l'album « Sur les bords du Rhin » puis effectue des séries nommées « Architecture et sculpture de l'Art religieux ». En 1855, la fermeture de l’imprimerie avec qui il travaille, l’oblige à évoluer, il devient alors le photographe institutionnel de la ville de Lille.
Spécialisé dans la reproduction d’œuvres d’art, il est nommé « photographe du musée impérial du Louvre » parallèlement, il couvre les grands chantiers de restauration des architectes Eugène Viollet-le-Duc et Paul Abadie ou encore l’œuvre du sculpteur Aimé Millet, prenant en photos la Sainte-Chapelle, Notre-Dame et d'autres cathédrales de France.
En 1858, il est photographe officiel de Napoléon III, la Ville de Paris l'engage pour photographier le bois de Boulogne, depuis peu ouvert au public, afin de conserver un témoignage de l’aspect de l’ancienne capitale bouleversée par les grands travaux haussmanniens, le préfet de Paris crée le service des Travaux historiques qui charge Marville d’immortaliser ce patrimoine voué à disparaître, il saisit les voies détruites ou à détruire.
Entre 1865 et 1869 il effectue un ensemble de 425 clichés des rues de Paris. Il publie en 1865 l' « Album du Vieux-Paris » ouvrage qui rassemble des vues des vieilles rues de Paris avant leur destruction. A la mort de Jean-Auguste Dominique Ingres, en 1867, il photographie le visage du peintre sur son lit de mort, gisant étant découpé de profil par le blanc du drap, formant un masque, et rendant hommage à l’art qu’il vient de quitter.
Il documente par ailleurs certaines innovations haussmanniennes, comme le nouveau mobilier urbain ou les perspectives des voies nouvellement créées. Pendant les transformations de Paris sous le Second Empire, il photographie le percement de l'avenue de l'Opéra à la fin des années 1870. Une grande partie de ses photographies sont exposée au pavillon de la ville de Paris à l’Exposition universelle de 1878. Après sa mort, en 1879, son atelier est racheté par le photographe Armand Guérinet.
Les collections municipales parisiennes, en particulier le « Musée Carnavalet », la « Bibliothèque Historique » et la « Bibliothèque Administrative » ainsi que l’agence Roger-Viollet, détiennent et conservent de nos jours les nombreuses plaques de verre de Charles Marville.
Ce n’est qu’en 2010 qu’un archiviste découvre le véritable nom de Marville, « Charles-François Bossu » au travers d’une note, écrit de sa main, glissée entre des plaques de verre : « Je déclare ici que le nom de Charles Marville est un pseudonyme que je porte depuis quarante-sept ans. Lorsque je rentrais dans les arts, j’éprouvais la crainte que la singularité de mon nom ne me cause les ennuis que j’avais éprouvés en classe, c’est pourquoi je pris, il y a quarante-sept ans, le pseudonyme de Charles Marville ».
Charles Marville marque de son empreinte l’histoire de la photographie, ainsi que la mémoire de Paris, dont il inventorie les rues médiévales sur le point d’être rasées, et les toutes neuves artères haussmanniennes, dans la deuxième moitié du 19ème siècle.
Lorsqu’il est nommé par la ville de Paris, aux travaux historiques, sa tâche est double, conserver des traces historiques des quartiers qui vont être détruits, et prouver ainsi le bienfait des nouveaux aménagements qui doivent apporter hygiène, confort et salubrité aux parisiens. Son œuvre se fait l’écho de l’expropriation de toute une vie populaire de centre-ville à effacer. Les bâtiments parlent pour les hommes et la photographie rejoint son essence, donner un cadre mémorable aux formes de la disparition.
La ville bouleversée a largement échappé à la photographie, mais pas pour lui, les ateliers, les magasins, les entrepôts sont bien présents, se mêlent au Paris historique s’ouvrant sur la modernité. La vie des rues tortueuses promises à la destruction par le baron Haussmann lui reste étrangère, et deviennent comme des spectres pour Marville. Sa photographie évoque la ville, la scène du pouvoir, les monuments qui l’ancrent dans le passé et les grands travaux urbains qui la projettent dans l’avenir.
Son travail photographique chemine entre de magnifiques ciels, des portraits en clair-obscur romantiques, des clichés de vieilles églises, aux vapeurs hugoliennes, aux atmosphères médiévales. Son talent est précis et tamisé, d’un grain à la caresse délicate, il est un génie du lieu, un grand photographe, un homme qui sait où poser son pied et sait prendre la lumière de ce qu’il veut montrer. La qualité de son travail vient du fait qu’il exprime un flottement spatial de tout ce qui échappe à l’exercice du pouvoir qui le commandite. Sa photographie enquête, informe, fait sentir, un document jouant avec l’éternité qu’il suggère. Ce sont d’abord les monuments, les parcs, les chantiers, les axes percés, les rues qui vont disparaître, le mobilier urbain qui sont inscrits dans ses clichés.
Sa technique photographique au départ ne lui permet pas encore de capturer le mouvement, ses clichés montrent un Paris fantomatique et désert. Bien que les rues soient peuplées de monde, sur ses photographies, aucune âme qui vive, du faite du temps de pose à l’époque qui est d’au moins 15 minutes, les mouvements ne pouvant êtres fixés par l’appareil. Les ouvriers, les badauds, les chiens, sont probablement dans le champ, mais à l’état fantôme, parfois révélés par un flou, comme si l’image tremblait sous la pression de ceux qu’elle ne peut retenir.
Sur une extraordinaire photo montrant la percée du boulevard Henri-IV vers la Bastille, entre les ruines et les dernières maisons debout, sur l’avenue de terre bordée par une voie ferrée, deux chevaux noirs sont là, leur maître est peut-être là, dans l’ombre translucide du négatif, au loin la colonne de Juillet, seul repère évident de la scène, comme un doigt poussiéreux levé vers le ciel.
En 1876, lorsqu’il photographie le percement de l’avenue de l’Opéra, c’est une petite colline de terre entourée d’immeubles quasiment en ruine. Ici, il y a des hommes, qui posent, sur la tranche des dernières façades à détruire, comme sur un décor, on y voit aussi une foule de silhouettes ouvrières, fourmis de la casse, virgules d’une phrase immobilière en décomposition, petits créneaux d’un donjon architectural, fixant le chemin de ronde du vieux Paris. Quatorze ans plus tôt, les photos dans le Ve arrondissement, montrent les vieilles maisons au bord de l’eau, il faut aller aujourd’hui dans certaines petites villes de province pour trouver cela, des lieux où le temps retrouvé survit au temps perdu.
Rue Galande et rue Zacharie, Paris, 1868
Percement de l'avenue de l'Opéra Butte des Moulins, Paris, 1876