Jean Eugène Auguste Atget (1857-1927) photographe français, né à Libourne, issu d'une famille modeste de parents artisans de la banlieue parisienne, il devient orphelin à l'âge de cinq ans et est élevé par ses grands-parents. Après de courtes études secondaires, il s'embarque comme mousse dans la Marine marchande et se retrouve de 1875 à 1877, sur un navire des lignes d’Afrique.

  • En 1878 il s'installe à Paris dans l'espoir de devenir acteur au Conservatoire national de musique et d'art dramatique. Après un premier échec, il entre en 1879 dans la classe d'Edmond Got, célèbre comédien à la Comédie-Française. Il commence alors une carrière d'acteur qu'il poursuit durant quinze ans, sans grande réussite. Son métier lui permet de rencontrer Valentine Delafosse-Compagnon qui devient sa femme. Mais, très vite ses obligations militaires l’empêchent de mener à bien ses études, en 1881 il se fait définitivement exclure du cours. Il engage alors une carrière d'acteur ambulant jusqu’en 1887, date à laquelle une affection à la gorge l'oblige à abandonner le théâtre. Un an après ses déboires, Atget se consacre simultanément à la peinture, au dessin et à la photographie. Il comprend vite que les peintres, architectes et graphistes ont besoin de documentation, c'est alors qu'il se tourne définitivement vers le métier de photographe.

  • En 1888, il débute la photographie et à partir de 1890 commence à réaliser en autodidacte des documents photographiques pour les artistes. Il photographie d’abord des paysages et des végétaux.

  • De 1897 à 1898, il crée la Commission du Vieux Paris, et entreprend de photographier systématiquement, avec l'intention de réunir une collection documentaire à destination des peintres. Il s'attache d'abord à des sujets mineurs, les « petits métiers de Paris » qu'il voit disparaître condamnés par l’essor des grands magasins, les quartiers anciens de Paris, les cours d'immeubles, les devantures des boutiques. Pour pouvoir vivre il vend ses tirages aux commerçants pour des sommes modiques.

  • À partir de 1901 il réalise des gros plans d’éléments décoratifs, détails de fer forgés sur les façades, heurtoirs de portes et balustrades.

  • En 1910, il envisage son travail d'une manière plus construite, afin de donner un sens général à son œuvre déjà bien avancée. Dans ce but, il commence à regrouper des séries et des sous-séries sous la forme d'albums de confection artisanale. Ce travail l'amène à développer le projet de photographier tout ce qui est à Paris, artistique ou pittoresque. Les institutions telles que la Bibliothèque nationale ou le musée Carnavalet perçoivent l'intérêt documentaire d'une telle collection et achètent par milliers ses photographies. Malgré son illustre clientèle d'artistes, Georges Braque, André Derain, Maurice Utrillo et Maurice de Vlaminck, sa situation financière est précaire, particulièrement durant et après la Première Guerre mondiale, au cours de laquelle il cesse progressivement de photographier, ayant déjà accumulé plus de huit mille clichés.

  • Le 4 août 1927, peu avant sa mort dans la misère, les surréalistes découvre son travail, notamment Man Ray grâce à son assistante Bérénice Abbott. Par la publication de divers articles et ouvrages sur son œuvre, elle lui achète un grand nombre des ses photographies et permet ainsi à faire connaître sa documentation qu’il a constituée sur les quartiers anciens de Paris. L’année de sa mort, le musée des monuments historiques de Paris acquiert 2000 plaques de son travail.

  • « On se souviendra de lui comme d'un historien de l'urbanisme, d'un véritable romantique, d'un amoureux de Paris, d'un Balzac de la caméra, dont l'œuvre nous permet de tisser une vaste tapisserie de la civilisation française. » Bérénice Abbott


Construire le vieux Paris : quand Eugène Atget déclare qu’il « possède désormais tout le vieux Paris », il manifeste l’idée qu’il a fait œuvre de collectionneur. Mais la formulation de ce projet d’envergure recouvre plusieurs sens. En voulant « collectionner » le vieux Paris à travers une documentation photographique, il semble qu’il suive les traces de ces historiens flâneurs pour qui l’histoire de Paris se niche dans la ville elle-même. À la fin du XIXe siècle, au moment où il commence sa vaste entreprise, l’intérêt pour le vieux Paris est à son comble. Mais son travail, grâce en partie à la spécificité de son médium, dépasse le seul genre des vues pittoresques. Si quelques-unes de ses représentations se rapprochent parfois d’une vision stéréotypée de la vieille ville, il s’attache principalement à livrer des documents édifiant un ensemble qui entretient avec l’histoire et l’histoire de l’art des relations étroites.

« La photographie est une construction de son auteur. Elle est par essence une fiction, mais une fiction ancrée dans le réel, le temps et l'histoire, de façon complexe et souvent problématique. » Eugène Atget

Extrait de la lettre adressée à Paul Léon, directeur des Beaux-Arts, le 12 novembre 1920 : « J’ai recueilli, pendant plus de vingt ans, par mon travail et mon initiative individuelle, dans toutes les vieilles rues du vieux Paris, des clichés photographiques, format 18/24, documents artistiques sur la belle architecture civile du XVIe au XIXe siècle : Les vieux hôtels, maisons historiques ou curieuses, les belles façades, belles portes, belles boiseries, les heurtoirs, les vieilles fontaines, les escaliers de style (bois et fer forgé) ; les intérieurs de toutes les églises de Paris (Ensembles et détails artistiques : Notre-Dame, Saint-Gervais et Protais, Saint-Séverin, Saint-Julien-le-Pauvre, Saint-Etienne-du-Mont, Saint-Roch, Saint-Nicolas-du-Chardonnet, etc., etc.). Cette énorme collection, artistique et documentaire est aujourd’hui terminée. Je puis dire que je possède tout le vieux Paris. »

« Ce qui le distingue est une intelligence lyrique de la rue, qu’il s’est entraîné à observer, un goût particulier pour la patine, un œil qui s’attache au détail, et surtout une poésie qui n’est pas une poésie de la rue ou une poésie de Paris, mais qui émane de l’homme lui-même. » Walker Evans

La technique : archaïsme est l'une des caractéristiques de son œuvre, en effet il se sert d'une chambre noire en bois de format 18 x 24 pourvue d'un objectif rectilinéaire qui ne se distingue pas des appareils utilisés quelques décennies plus tôt. Cela est d'autant plus étonnant que, dès les années 1900, il est tout à fait envisageable d'acquérir un matériel plus sophistiqué, léger et maniable.

Le poids de son matériel, la longueur des temps de pose nécessaire à l'enregistrement l'oblige à travailler avec un pied, ce qui détermine directement son mode de prise de vue. Techniquement, il lui est impossible de faire des instantanés, des photographies prises sur le vif . Les négatifs qu'il place au dos de sa chambre noire sont en verre, donc lourds et fragiles. Malgré tous ces inconvénients, il obtient des négatifs d'une très grande qualité. À partir de ses négatifs en verre, il réalise des tirages sur du papier albuminé, et obtient ses épreuves par contact direct à l'aide de châssis-presses qu'il expose à la lumière naturelle. Une fois l'exposition terminée, il révéle ses épreuves et vire ses tirages à l'or. Ce procédé a la particularité de donner aux épreuves des tons très chauds. Vers la fin de sa vie, Atget utilise des papiers à « l'arrow-root » (papiers salés à l'amidon) ainsi que des papiers au gélatino-chlorure d'argent.

Le Système des séries : Immense, l'œuvre d'Atget n'est pas une simple succession de photographies prises les unes après les autres. Son travail est organisé et structuré par un système de séries, de sous-séries et groupes mis à jour par Maria Morris Hambourg. Cette organisation procède directement du classement que le photographe choisit pour ses albums dits de « références » tels « Saint-Cloud, Référence n° 2 » ou encore « Vieux Paris, Référence n° 8 ». Ses photographies sont classées selon des numéros gravés sur les négatifs et parfois inscrits au dos des épreuves. Les séries regroupent : Art dans le vieux Paris, Art dans les environs, Paysages et documents, Paris pittoresque, la Topographie, les sous-séries, Les Intérieurs, les Parcs parisiens, Sceaux, Saint-Cloud, les Tuileries, Versailles, les Costumes et art religieux, les groupes, Vieille France, Les Voitures et La Zone. À l'intérieur de cette distribution viennent s'ajouter les albums construits sur un projet d'édition et dans lesquels prédomine une cohérence thématique. Ce classement est basé sur une distinction de sujets et non, comme d'autres photographes peuvent le faire, sur une distinction de dates ou encore de lieux. Ce système parfois un peu complexe permet cependant de comprendre la manière dont Atget envisage son travail comme un projet global.

La vision : à bien des égards, son œuvre présente le paradoxe d’être perçue comme éminemment moderne alors qu’en définitive, elle manifeste les traits d’un archaïsme persistant. L’archaïsme d’Atget se traduit par son refus absolu de photographier toutes les formes que peut prendre la modernité qui pour lui est contemporaine. Jamais il ne photographie les Expositions universelles ou la vie moderne des grands boulevards, sujets pourtant représentés à satiété par les photographes de son temps. Dans tous ses travaux, il évite soigneusement les traces de ces transformations et préfère rendre compte de l’une des conséquences du processus de l'haussmannisation. Car les transformations de la ville ont révélé, par contraste, un nouveau et un vieux Paris. L’opposition du photographe au progrès de l’industrialisation ainsi que son utilisation de formes artistiques anciennes peuvent témoigner d’un archaïsme de réaction. Plus exactement, l’archaïsme d’Atget doit se comprendre non pas au travers des sujets qu’il traite, mais au travers de son attitude par rapport au temps et à l’histoire.

Dans ce sens, il refuse l’idéologie de l’histoire perspectiviste. À cette vision réductrice du progrès irréversible, il oppose une démarche qui repose sur une manipulation des temporalités. Il ne se contente pas d’inverser la valeur du déroulement chronologique, mais fait surgir du passé dans le présent, avec un résultat qui reste néanmoins un archaïsme moderniste.

Atget et la prostitution : à la suite de l’album « Zoniers », il poursuit son travail sur les populations marginales en photographiant des prostituées « faisant le quart ». La prostitution à Paris et ses environs, jusqu’à Versailles, apparaissant comme sujet chez le photographe sous deux aspects différents. Dans les années 1910, il photographie la façade d’une maison close « Entrée d’une maison close, 106 avenue de Suffren » qu’il inclut dans son album « Métiers, boutiques et étalages de Paris ». Au même titre qu’un débit de boissons ou un opticien se reconnaissent à leurs enseignes, sur la façade de la maison close le numéro de la rue, agrandi et stylisé, permet d’identifier l’activité du commerce. En cela, Atget ne fait que poursuivre le programme qu’il s’est fixé, à savoir « posséder tout le vieux Paris ». Puis, en 1921, opérant un retour à la représentation de la figure humaine, il portraiture quelques prostituées. Davantage que dans la série des petits métiers, le photographe insiste sur le caractère individuel des personnages, dans certains cas « La Villette, rue Asselin, fille publique faisant le quart devant sa porte, 19e, 7 mars 1921 », il opte pour un point de vue en contre-plongée, et réitère la composition qu’il a déjà appliquée aux petits métiers « Marchand d’abat-jour, 1899-1900 ». Ce choix a pour effet de confondre le personnage avec la minéralité de son environnement immédiat, le tissu urbain dont les stigmates apparaissent crûment, construites de la sorte, ses images frappent les photographes de l’avant-garde, de Man Ray à Berenice Abbott.

L'héritage d’Atget : Aux États-Unis, Atget influence de nombreux photographes, Walker Evans, Lee Friedlander ou Gary Winogrand. Tous se réclament de son style documentaire. De Man Ray ou de son élève et assistante Bérénice Abbott, on ne sait pas tout à fait qui des deux a acquis en premier ses images. Cependant, c’est Bérénice Abbott qui œuvre toute sa vie pour faire connaître son travail, à la mort du photographe, en août 1927, l’américaine s’inquiète du sort réservé à ses clichés et déploie toute son énergie pour sauver ce qui reste de sa collection. Elle trouve en Julien Lévy, collectionneur d’art, un soutien financier qui lui permet d’acheter ce qu'elle a accumuler. Par la suite, elle prête certains de ses clichés pour des expositions ainsi que des ouvrages. En 1968, elle vend la totalité, photographies, albums, répertoires et quelques négatifs, au MoMA à New York.

« Il n'y a rien de plus mystérieux qu'un fait clairement énoncé. » Eugène Atget

Cabaret de l'Enfer, 53 boulevard de Clichy, Paris, 1898

Fleuriste, Paris, 1899

Marchand d'abat-jours, Paris, 1899

L’éclipse solaire, Paris, 1912

Fille publique faisant le quart, La Villette, Paris, Avril 1921

7 rue de Valence, Paris, 1922

Coin de la rue de Seine, Paris, 1924