Robert Frank (1924-2019) photographe américain d'origine suisse, né dans une famille juive, à Zurich. Fils d'Hermann Frank, décorateur d'origine allemande, et de Régina Zucker, fille d'industriel. Dès l’âge de douze ans il s’intéressera à la photographie, en 1941, à 17 ans il entrera en apprentissage comme retoucheur photos chez Hermann Segesser qui lui fera découvrir l’art moderne et en particulier l’œuvre de Paul Klee.

    • De 1942 à 1944, il poursuivra sa formation dans le studio de Michael Wolgensinger, ancien assistant de Hans Finsler, qui lui transmettra ses idées sur la photographie. Influencé par Arnold Kübler, directeur de magazines, Robert Frank commencera à développer une passion pour le photojournalisme. En 1946, sa famille et lui même obtiendront la nationalité suisse. Ses années de formation prendront fin en 1946 avec un portfolio à spirale de 40 Photos, comportant des vues de son pays et des photographies de rue prises sur le vif. À la fin de la guerre, Robert Frank découvrira Paris, Milan et Bruxelles, où il photographiera au Rolleiflex les traces du conflit, amorçant une démarche d’exploration sociale qu’il approfondira plus tard au Leica en Amérique du Sud et en Europe.

    • En mars 1947, Robert Frank émigrera aux États-Unis pour fuir l’univers étriqué de son pays et trouver à ses yeux le symbole de la liberté. À New York, il montrera son portfolio de ses 40 Photos à Alexey Brodovitch qui l’engagera pour le magazine « Harper's Bazaar », il commencera par travailler en tant que photographe de mode au sein de la revue, puis collaborera avec les magazines « Fortune », « Life » et « Look ». Mais très vite il déchantera devant cet univers basé sur l’accumulation forcenée d’argent et commencera à prendre conscience de la lourde solitude qui pèse sur les gens, les inégalités, la misère, l’indifférence. À partir de 1948, il déambulera à travers le monde, fera la navette entre les deux continents et voyagera au Pérou et en Colombie d’où résultera un ouvrage « Indiens pas morts » en collaboration avec Werner Bischof.

    • De 1950 à 1953, il s’installera en France avec sa famille se rendra en Espagne et en Angleterre pour y enregistrer l’atmosphère de l’Ancien Monde. En 1950, il réalisera une série de clichés sur Paris, le Paris authentique, montrant la face secrète d’une ville avec ses ruelles pleines de brumes et d’humidité, des jardins publics déserts, des petits marchands. Ayant suffisamment perçu les stigmates de la guerre en Europe, il retournera aux États-Unis à New York en 1954 et épousera Mary Lockpeiser avec laquelle il aura deux enfants Pablo et Andrea.

    • C’est en 1955 que le photographe décide de changer de registre, à la recherche d’un nouveau souffle, il obtient une bourse de la fondation Guggenheim pour deux ans durant lesquels il parcoure le territoire des États Unis à travers plus de 40 états avec son appareil d’occasion en bandoulière. Il visite les grandes villes et les moins grandes, il observe les foules et les passants solitaires, les places de villages et leurs panneaux-statues, les wagons de train aux voyageurs immobiles, comme posant pour lui.

    • Dès son retour en Amérique, le photographe décidera de changer de registre et refusera les travaux de commande des revues, au risque de n’avoir plus de revenus et adressera une demande de bourse à la fondation Guggenheim qui n'avait jamais accepté de financer aucun artiste européen. Il va alors obtenir un financement grâce à l’appui des photographes Walker Evans et d’Edward Steichen. Grâce à cette bourse, il va acheter un vieux Leica et parcourir les États-Unis entre 1955 et 1956, souvent seul et parfois avec femme et enfants, au volant d’une vieille voiture Ford d’occasion, empruntera toutes les routes et celui de la mythique Route 66. Cette traversée de Robert Frank contribuera au « mouvement Beat », Jack Kerouac sera l'un de ses compagnons de route et un ami, lors d'un voyage en Floride en 1958. Dans cette chevauchée, il réalisera des milliers de clichés, mais ne va en tirer que 83 pour son livre « Les Américain » publié en 1958, un ouvrage qui deviendra légendaire et donnera la notoriété à Robert Frank, il y décrira ses errances dans le territoire américain, de New York à la Californie, saisissant le véritable visage de l’Amérique profonde.

    • « J’ai mis mon Leica au placard. J’en ai assez d’être en attente, en quête, et parfois de capturer l’essence du noir et du blanc, la science de la présence de Dieu. Je fais des films. Désormais, je parle aux gens à travers le viseur. Ce n’est pas simple et cela ne marche pas à tous les coups. » Robert Frank

    • En 1969, il s'installera au bord de la mer avec une nouvelle compagne et s'éloignera totalement de la photographie. En 1975, il enseignera en Californie et dans ses moments libres il s'essaie à de nouvelles expériences avec la photographie. Dans les années 1970, sa démarche le conduira à un dialogue réflexif entre textes et images. Les drames que Robert Frank traversera avec la mort de ses deux enfants, Andrea, sa fille, en 1974 et Pablo, son fils, en 1994, ont transformé le détachement de ses débuts en une volonté constante de mise à nu et d’introspection. Il recherchera de façon récurrente la vérité et explorera dans son œuvre deux univers : celui qui l’entoure et celui qui le constitue.

    • « Je fais toujours les mêmes images. Je regarde toujours l’extérieur pour essayer de regarder l’intérieur, pour essayer de trouver quelque chose de vrai mais peut-être rien n’est-il jamais vrai. » Robert Frank

    • En 1987 il sortira un nouveau film resté célèbre « Candy Moutain » un road-movie, tourné entre New York et le Cap Breton en Nouvelle-Écosse, incarné par de nombreux artistes, les musiciens Joe Strummer ,Tom Waits, l'actrice Bulle Ogier et l'acteur Kevin J.O'Connor.

    • En 1996 il recevra le prix international de la « Fondation Hasselblad ». Robert Franck réalisera depuis 1951 de nombreuses expositions personnelles et sera très souvent exposé dans le monde entier, notamment au « Museum of Modern Art »de New York, ou encore plus récemment à Paris au « Jeu de Paume » en 2009.

Avec son Leica marqué par la poussière des routes, il va créer la photographie d’expression et faire entrer la photographie dans la modernité, l’homme des routes des années 50, a su ouvrir la route à une nouvelle la photographie. Rarement une œuvre photographique aura été aussi autobiographique que celle de Robert Frank. La photographie moderne doit presque tout à Robert Frank. À la suite de Walker Evans, son ami, il a instinctivement jeté les bases de la « Street Photography », la photographie de rues, la portant à un niveau insurpassable. Lui contrairement à Henri Cartier-Bresson n’attendait pas l’instant sacré où il fallait déclencher. Il n’attendait que la vérité s’imposant d’évidence, et alors il prenait sa photo, sans se soucier ni du cadrage, ni du flou, ni de l’architecture des lignes. Et la vérité éclatait sur le papier, comme autant d’autoportraits, de sentiments intérieurs entre angoisse et espoir.

Robert Frank, discret, armé de son petit appareil photo qu’il utilise toujours d’une seule main, a réussit à retranscrire avec poésie l’Amérique profonde et l’a figée sur pellicule. Ses photos sont d’une beauté et d’une poésie qui coupe le souffle au spectateur, provocant la plus belle expression du reportage subjectif, une construction de photos en série et non de simples images isolées. Tout représente l’Amérique dans ses clichés et tout a une signification, témoignant du cœur d’un continent qui se dévoile petit à petit à un œil émerveillé et sensible.Les reporters, par définition rapportent des faits pour témoigner. Robert Frank, lui, ne montre pas, il se montre et toutes ses images sont des autoportraits.

« Il produisait un sentiment par image » dira Walker Evans

Lorsque Robert Frank photographie, il choisit différentes perspectives, des vues en plongée, des angles très profonds ou des photographies de passants prises par dessus l’épaule, ce qui donne une forte présence au motif tout en plaçant le spectateur au cœur de l’image, ses photos se présentent déjà un récit visuel , non pas comme une histoire, mais comme une multitude d’instantanés qui sont riches en impact émotionnel pour rendre compte du réel.

Il invente une nouvelle façon de photographier, libre, frontale, émouvante, proche d’un certain expressionnisme abstrait. Il le fait au péril de sa personne et au péril des dogmes en cours pour la photographie de rue. Sans empathie, froidement, un peu comme le cinéma de Robert Bresson, il apprend à scruter l’intérieur des gens, en parlant sans doute souvent de lui-même. Il fait aussi profondément confiance dans l’inconnu, et ne découvre souvent l’image prise qu’au développement.

« Quelquefois j’assemble plusieurs images en une seule. Je dis mes espoirs, mon peu d’espoir, mes joies. Quand je peux, j’y mets un peu d’humour. Je détruis ce qu’il y a de descriptif dans les photos pour montrer comment je vais, moi. Quand les négatifs ne sont pas encore fixés, je gratte des mots soupe, force, confiance aveugle, j’essaie d’être honnête. » Robert Frank

Il aime les routes larges et droites qui coupent l’Amérique en deux et réfléchit si bien l’éclairage de la lune à la tombée de la nuit. Ses photos sont d’une beauté et d’une poésie qui coupe le souffle au spectateur, provocant la plus belle expression du reportage subjectif, une construction de photos en série et non de simples images isolées. Tout représente l’Amérique dans ses clichés et tout a une signification, témoignant du cœur d’un continent qui se dévoile petit à petit à un œil émerveillé et sensible.

Robert Frank, discret, armé de son petit appareil photo qu’il utilise toujours d’une seule main, a réussit à retranscrire avec poésie l’Amérique profonde et l’a figée sur pellicule.

Son regard sur l’Amérique, il l’a forgé par une plongée en apnée, sans parti-pris au fin fond des états les plus reculés, suivant les autoroutes, et les rencontres de hasard. Pendant deux ans, de 1955 à 1956, il va prendre un nombre incroyable de clichés, à sa manière, plus proche de l’instinct que des canons photographiques, et saisir les traces de la vie des gens et des paysages. Rues, motels, routes, bars, cérémonies d’enterrement, plongées dans le Sud raciste, New York, vont lui permettre non pas de fixer des moments figés, mais toute une symphonie de la détresse. Il va sillonner les quarante-huit États continentaux en prenant des risques insensés dans des endroits où un photographe était un ennemi. Il renvoie aux Américains la face noire du rêve américain : pauvreté, ségrégation, inégalités, détresse et solitude. Ce miroir renvoyé à la face des Américains va faire grincer des dents. Son reportage va donner naissance à un livre culte « The Americans » qui presque 60 ans après sa parution, hante toujours les consciences. 83 photos seulement constitueront ce livre qui est une sorte de vaste poème mélancolique, désabusé.

« Je regardais le paysage. Je savais que j'étais en Amérique. Je me suis demandé : qu'est-ce que je fais ici ? Il n'y avait pas de réponse. Le paysage ne m'a pas apporté de réponse. Il n'y avait pas de réponse » Robert Frank

Sur ce long chemin se lit une narration de l’humanité, sa série sur les plis profonds du peuple américain, ne magnifie pas l’apothéose de « l’American way of life », de ce bonheur américain donné en espérance et en pâture au monde, mais la ségrégation, les petites gens, les routes allant immensément se jeter dans le vide, les désordres de tous les jours dans les mille toiles d’araignée du quotidien où se déshumanisent les êtres humains. Son regard va au fond des apparences, parfois ironique, souvent tendre ou rageur, mais il est toujours sincère, authentique, percutant. Sa subjectivité importe plus pour lui que la réalité entrevue. Seule l’étrangeté ou la misère du monde le fascinent. Sa confrontation avec le réel n’est pas pour lui sa restitution, mais sa réinterprétation au travers de ses émotions. Il explore le monde, mais c’est lui qu’il explore en fait.

« J’essaie d’oublier les photos faciles pour tenter de faire surgir quelque chose de l’intérieur. Et le temps passe et jamais ne s’arrête. » Robert Frank

Parade Hoboken, New Jersey, 1955

Trolleybus, New Orleans, 1955