Saul Leiter (1923-2013) photographe américain né à Pittsburgh en Pennsylvanie, fils d’un rabbin renommé, Wolf Leiter, père qui ne le comprend pas, n'ayant aucune estime pour la photographie et l’art et d'une mère Régina, née Goldberg qui bien au contraire le soutient et lui offre en 1935 son premier appareil photo, un Detrola.


Saul Leiter, peintre ou photographe, c'est bien les deux qu'il mélange durant toute sa carrière, faisant de lui un pionnier de la photographie contemporaine couleur à une époque où seul le noir et blanc est digne d'intérêt, mais aussi un pionnier d'une photographie couleur abstraite de rue, génial magicien chromatique au prisme décalé, à la lumière ruisselante et au silence flouté, son œuvre inspire des générations de photographes qui le suivent, il demeure pendant plus de soixante ans dans le quartier new-yorkais d'East Village, peuplé d'artistes en tous genre, de sans-abri, d'immigrés et de personnes âgées solitaires, il ne cherche pas l'image, il capture des instants transcendants qui ne révèlent d'aucune intention.

Il est un homme pudique, qui s’exprime par aphorismes et ironise sur son flegme, son travail le surprend et l’amuse. Il cherche à capter un sentiment profond, au hasard des rues, sans velléité sociale ou documentaire, têtu dans son approche, préférant poursuivre sa voie plutôt que d’entrer dans un moule. Sa rencontre à New York en 1946 avec le peintre Richard Pousette-Dart est décisive, comme l'est aussi la visite de l’exposition Henri Cartier-Bresson au MoMA en 1947.     

Il débute en peignant des petits formats à la gouache sur papier, ses références en peinture sont Édouard Vuillard, Pierre Bonnard ou Sotatsu, avec des sujets d'inspiration qui sont figuratifs mais aussi avec une approche de l'expressionnisme abstrait, sa démarche de peintre va rapidement se retrouver dans ses photographies, influencé par la toile « Le Talisman » de Paul Sérusier. Avec la photographie, il trouve sa philosophie du vrai photographe de rue, créant un univers particulier, un style unique dans la photographie, celui de réussir à peindre, appareil photo en main comme un pinceau.   

Il comprend rapidement que la photographie peut être une forme d’art et emprunte un appareil photo tout en continuant la peinture et les pastels, sa tentation pour l’abstraction commence à s’exprimer dans ses premières images en noir et blanc. Il est souvent associé à la « New York School », mais son rapport au temps, l’intuition profonde du moment où l’on s’abandonne, son goût pour le désordre, la solitude et la fugacité des choses en font un artiste à part, peu soucieux de se situer dans un courant.

A partir de 1953, il s'illustre pendant de longues années en tant que photographe de mode en travaillant dans son studio de Bleeker Street, jusqu’au milieu des années 1980. Parallèlement il ne cesse d’arpenter les rues de New York, un travail qui est découvert bien plus tard, au milieu des années 1990, grâce à la « Howard Geenberg Gallery » qui lui consacre en 1993 une exposition de ses photographies noir et blanc.

« Je ne sais pas comment j'ai pris telle photo à tel moment ni pourquoi. Je ne sais pas si j'ai réussi à faire ce que je voulais, je n'ai jamais su ce que je voulais faire ! » Saul Leiter

Sa façon de cadrer n’appartient qu’à lui, décalée, hors norme, ne respectant aucune des règles d’or des 2/3 ou autres, il assemble des éclats de vie comme des morceaux de verre, comme des billes transparentes de rêves. Peu lui importe de montrer ses sujets en entier, seuls les fragments intimes sont pour lui signifiants, révélateurs. Il travaille dans ses clichés, des cadrages originaux et surprenants en utilisant beaucoup de vides comme des noirs, ou sa photo est mangée par des reflets ou des jeux de transparence, quasiment abstraites. La succession des plans dans ses photos superpose différentes histoires génératrices de mystère. Il aime jouer avec le flou, la buée et l'anonymat des passants. La couleur est pour lui une matière, qu'il étale sur ses images comme des aplats dans ses toiles. 

Il braque aussi bien son appareil dans la rue que sur les habitants, qui ne sont plus que de minuscules silhouettes de cette ville laissant peu de place à la respiration, les new-yorkais sont comme prisonniers du désordre de la rue, plongé dans un chaos total, des images souvent cadrées avec une verticalité qui est son crédo, dans laquelle se chevauchent le noir, le blanc et les couleurs.

« J’ai un grand respect pour le désordre, le jugement le plus sérieux que je peux avoir sur mon travail, c’est qu’il est inachevé et c’est l’inachevé qui m’attire. » Saul Leiter

Ce sont des instants furtifs qui sont à l’honneur, son œil est à l’affut de la moindre surprise visuelle, il recherche une neige blanche ou souillée, des reflets vaporeux, des vitres crasseuses, il floute sciemment, défiant la photographie classique, ce qui l'intéresse avant tout, n'est aucunement la réalité, mais la superposition du réel, images qui lui permettent d'avoir un rendu tel une gouache.  

Il sait saisir un entre-deux-mondes délicat à mille lieux de la jungle urbaine, un monde flottant, embué, dans une succession infinie de mises en abîmes. Il ne photographie pas les rues de New York pour illustrer la vie de ses habitants, il intègre dans ses images le paysage urbain de la Grosse Pomme comme un terrain de jeu et une source immense de créativité, scènes fugaces, joue avec la mise au point en multipliant les pratiques non académiques, coupe ses sujets, provoque des équilibres aléatoires, des pleins et des vides.

Il utilise des couleurs douces et sombres en aplats qui s’équilibrent, donne une nouvelle lecture photographique, brouille les pistes, à travers la lumière et la vitesse qui peuvent s’imprimer dans le même temps, effaçant toutes les limites entre l'extérieur et l'intérieur, ou tout s’inverse.    

Les figures humaines, il les traite d’abord en tant que formes, ensuite seulement on y reconnaît, un colporteur, un passant, un boutiquier du trottoir, un homme au téléphone, un postier ou encore une partie d'un corps. C’est un univers d’échos et de ricochets, saisit sous des angles qui remettent à plat des présences diverses qui animent l’espace urbain. Être un inconnu qui se déplace dans le ventre d'une ville et ne pas être vu, c’est ce qu'il capte, avec toujours un regard amusé, des détails des plus significatifs du mouvement urbain, donnant le résultat d'une fresque d’objets, enseignes publicitaires, rue, bâtiment, toit, escalier, le tout en mouvements contradictoires produisant un rythme d’improvisations inattendues.

« Les photographies sont souvent considérées comme la réalité pure, mais en fait elles sont de petits fragments de souvenirs de ce monde inachevé. » Saul Leiter

Des silhouettes en transit, des ombres, visions mystérieuses et indirectes entre romantisme et film noir. En couleur, à New York, mais aussi à Paris, à Rome ou en Espagne, les tons de ses photographies sont à la fois vifs et déteints avec une absence de contours stricts, qui en font des œuvres plastiques dans l’esprit des peintres qu’il admire.

« Je suis un photographe à reculons. » Saul Leiter

L&L Dairy, New York, 1949

Postmen, New York, 1952

Snow, New York, 1952

Lingerie Shop, New York, 1952

New York, 1953

Tulips, New York City, 1954

Foot El, New York, 1954

Subway Window, New York, 1955

Red Umbrella, New York, 1955

Phone Call, New York, 1957

Taxi, New York, 1957

Red Umbrella, New York, 1958

New York, 1958

Réflexion, New York, 1958

Walk with Somaes, New York, 1958

Les Deux Magots, Paris, 1959

Horn and Hardart, New York, 1959

Harlem, New York, 1960

Snow, New York, 1960

Snow, New York, 1960

Snow Storm, New York, 1960

New York, 1960