Saul Leiter (1923-2013) photographe américain né à Pittsburgh en Pennsylvanie, fils d’un rabbin renommé, Wolf Leiter, père qui ne le comprend pas, n'ayant aucune estime pour la photographie et l’art et d'une mère Régina, née Goldberg qui bien au contraire le soutient et lui offre en 1935 son premier appareil photo, un Detrola.
Au début des années 1940, il suit les cours du collège rabbinique de la Yechiva de Telshe à Cleveland dans l'Ohio, et découvre l'art dans des ouvrages d'une bibliothèque publique.
En 1944 il expose ses premières toiles à la « Ten-Thirty Gallery » de Cleveland, puis en 1945 à l’« Outlines Gallery » de Pittsburgh ainsi qu'au grand magasin « Gump's » de San Francisco.
En 1946, brillant étudiant en théologie, il décide à l’âge de 23 ans d’abandonner ses études et de s’installer à New York pour se consacrer pleinement la peinture. Il se lie d'amitié avec le peintre expressionniste abstrait Richard Pousette-Dart qui l'encourage à pratiquer la photographie.
En 1947 lors de l'exposition d’ Henri Cartier-Bresson organisée au Museum of Modern Art de New York, il commence à s’intéresser à la photographie et décide de suite d’en faire son métier. Il continue d'exposer aux côtés de Philip Guston et Willem de Kooning et rencontre le photographe William Eugène Smith qui lui offre le livre « Ballet » d'Alexey Brodovich. En contrepartie, il lui échange quelques tirages contre un Leica et part flâner dans les rues de New York, qu’il photographie dans un premier temps en noir et blanc.
En 1948, il se tourne vers la couleur, travaille avec du film inversible et des appareils tels que l'Argus C3, l'Auto Graflex Junior et un vieux Rolleiflex, allant même jusqu'à utiliser des films périmés qui lui procurent des surprises au développement, et alterne alors les deux styles, le noir et blanc et la couleur, en parvenant à les confondre dans une même image.
En 1951, le Life magazine publie sa série noir et blanc « The Wedding as a Funeral » dans son numéro du 3 septembre, puis une seconde image « Chaussures du cireur de chaussures » dans celui du 26 novembre.
En 1952, il emménage sur East 10th street dans le quartier new-yorkais d'East Village.
En 1953, Edward Steichen, conservateur en chef de la photographie au MoMA, sélectionne vingt-cinq de ses tirages noir et blanc pour l’exposition « Always the Young Stranger », par la suite ses photographies font parties de l’exposition « Contemporary Photography » au Musée d’Art Moderne de Tokyo. Il ouvre un studio photographique sur Bleeker Street, ou il se consacre au portrait, à la mode et à la publicité.
En 1955 il réalise sa première exposition de photographies couleur à l’ « Artist’s Club », lieu de rencontre des peintres expressionnistes abstraits.
En 1956, la « Tanager Gallery » de New York, lui organise une exposition totalement personnelle.
A la fin des années 1950, il effectue une présentation de son travail en couleur avec des projections de diapositives à « The Club », espace artistique situé dans le East Village, puis expose ses clichés couleur à la « Kootz Gallery » de New York.
Il rencontre le mannequin Soames Bantry qui devient de suite son modèle de plusieurs de ses photographies, tout deux passent ensemble plus de quatre décennies, entre leur appartement new-yorkais d'East Village et les fréquents voyages motivés par les missions de Leiter en tant que photographe de mode.
En 1957, à nouveau Edward Steichen fait figurer au MoMA, vingt de ses photographies couleur lors d'une conférence avec diaporama, intitulée, « Photographie expérimentale en Couleur ». La même année, Henry Wolf, directeur artistique de la revue « Esquire », publie plusieurs des ses images de mode.
En 1958, il débute une collaboration avec le magazine « Harper's Bazaar », dont Henry Wolf est devenu le nouveau directeur artistique.
En 1959, pour le compte d' « Esquire », il est envoyé en Europe afin de photographier Gina Lollobrigida sur le tournage de « Salomon et la reine de Saba ». Il continue son travail de mode, publié dans le « Harper's Bazaar », « Elle », « Show », « Queen » et « Nova » et collabore avec le « Life », « US Camera », « Photography Annual and Infinity ».
En 1981, il ferme son studio de photographie commerciale, au numéro 156 de la 5eme avenue de New York.
En 1991 le « Victoria & Albert Museum » de Londres lui consacre une exposition intitulée « Appearences, Fashion Photography Since 1945 ».
En 1992, des photographies noir et blanc sont publié dans l’ouvrage « The New York School, Photographs 1936-1963 », de Jane Livingstone.
En 1993, ses travaux noir et blanc sont exposés à la « Howard Greenberg Gallery » de New York.
En 1994, il reçoit des financement de la marque de papier Ilford afin d'effectuer des tirages Cibachrome avec les laboratoires new-yorkais Laumont.
En 2005, exposition de ses photographies couleur à la « Howard Greenberg Gallery ».
En 2006, parution de sa première monographie, intitulée « Early Color », éditée par Steidl. La même année il effectue sa première exposition personnelle dans un musée, le « Milwaukee Art Museum » dans le Wisconsin.
En 2008, première exposition de son travail dans un musée européen, en France, à la Fondation Henri-Cartier Bresson de Paris.
En 2009, première exposition de ses peintures, depuis plus de trente ans, à la « Knoedler Gallery » de New York.
En 2012, une grande rétrospective lui est organisée en Allemagne par le « Deichtorhallen » de Hambourg.
En 2014, tout juste un an après sa disparition, la fondation Saul Leiter est créée.
Saul Leiter, peintre ou photographe, c'est bien les deux qu'il mélange durant toute sa carrière, faisant de lui un pionnier de la photographie contemporaine couleur à une époque où seul le noir et blanc est digne d'intérêt, mais aussi un pionnier d'une photographie couleur abstraite de rue, génial magicien chromatique au prisme décalé, à la lumière ruisselante et au silence flouté, son œuvre inspire des générations de photographes qui le suivent, il demeure pendant plus de soixante ans dans le quartier new-yorkais d'East Village, peuplé d'artistes en tous genre, de sans-abri, d'immigrés et de personnes âgées solitaires, il ne cherche pas l'image, il capture des instants transcendants qui ne révèlent d'aucune intention.
Il est un homme pudique, qui s’exprime par aphorismes et ironise sur son flegme, son travail le surprend et l’amuse. Il cherche à capter un sentiment profond, au hasard des rues, sans velléité sociale ou documentaire, têtu dans son approche, préférant poursuivre sa voie plutôt que d’entrer dans un moule. Sa rencontre à New York en 1946 avec le peintre Richard Pousette-Dart est décisive, comme l'est aussi la visite de l’exposition Henri Cartier-Bresson au MoMA en 1947.
Il débute en peignant des petits formats à la gouache sur papier, ses références en peinture sont Édouard Vuillard, Pierre Bonnard ou Sotatsu, avec des sujets d'inspiration qui sont figuratifs mais aussi avec une approche de l'expressionnisme abstrait, sa démarche de peintre va rapidement se retrouver dans ses photographies, influencé par la toile « Le Talisman » de Paul Sérusier. Avec la photographie, il trouve sa philosophie du vrai photographe de rue, créant un univers particulier, un style unique dans la photographie, celui de réussir à peindre, appareil photo en main comme un pinceau.
Il comprend rapidement que la photographie peut être une forme d’art et emprunte un appareil photo tout en continuant la peinture et les pastels, sa tentation pour l’abstraction commence à s’exprimer dans ses premières images en noir et blanc. Il est souvent associé à la « New York School », mais son rapport au temps, l’intuition profonde du moment où l’on s’abandonne, son goût pour le désordre, la solitude et la fugacité des choses en font un artiste à part, peu soucieux de se situer dans un courant.
A partir de 1953, il s'illustre pendant de longues années en tant que photographe de mode en travaillant dans son studio de Bleeker Street, jusqu’au milieu des années 1980. Parallèlement il ne cesse d’arpenter les rues de New York, un travail qui est découvert bien plus tard, au milieu des années 1990, grâce à la « Howard Geenberg Gallery » qui lui consacre en 1993 une exposition de ses photographies noir et blanc.
« Je ne sais pas comment j'ai pris telle photo à tel moment ni pourquoi. Je ne sais pas si j'ai réussi à faire ce que je voulais, je n'ai jamais su ce que je voulais faire ! » Saul Leiter
Sa façon de cadrer n’appartient qu’à lui, décalée, hors norme, ne respectant aucune des règles d’or des 2/3 ou autres, il assemble des éclats de vie comme des morceaux de verre, comme des billes transparentes de rêves. Peu lui importe de montrer ses sujets en entier, seuls les fragments intimes sont pour lui signifiants, révélateurs. Il travaille dans ses clichés, des cadrages originaux et surprenants en utilisant beaucoup de vides comme des noirs, ou sa photo est mangée par des reflets ou des jeux de transparence, quasiment abstraites. La succession des plans dans ses photos superpose différentes histoires génératrices de mystère. Il aime jouer avec le flou, la buée et l'anonymat des passants. La couleur est pour lui une matière, qu'il étale sur ses images comme des aplats dans ses toiles.
Il braque aussi bien son appareil dans la rue que sur les habitants, qui ne sont plus que de minuscules silhouettes de cette ville laissant peu de place à la respiration, les new-yorkais sont comme prisonniers du désordre de la rue, plongé dans un chaos total, des images souvent cadrées avec une verticalité qui est son crédo, dans laquelle se chevauchent le noir, le blanc et les couleurs.
« J’ai un grand respect pour le désordre, le jugement le plus sérieux que je peux avoir sur mon travail, c’est qu’il est inachevé et c’est l’inachevé qui m’attire. » Saul Leiter
Ce sont des instants furtifs qui sont à l’honneur, son œil est à l’affut de la moindre surprise visuelle, il recherche une neige blanche ou souillée, des reflets vaporeux, des vitres crasseuses, il floute sciemment, défiant la photographie classique, ce qui l'intéresse avant tout, n'est aucunement la réalité, mais la superposition du réel, images qui lui permettent d'avoir un rendu tel une gouache.
Il sait saisir un entre-deux-mondes délicat à mille lieux de la jungle urbaine, un monde flottant, embué, dans une succession infinie de mises en abîmes. Il ne photographie pas les rues de New York pour illustrer la vie de ses habitants, il intègre dans ses images le paysage urbain de la Grosse Pomme comme un terrain de jeu et une source immense de créativité, scènes fugaces, joue avec la mise au point en multipliant les pratiques non académiques, coupe ses sujets, provoque des équilibres aléatoires, des pleins et des vides.
Il utilise des couleurs douces et sombres en aplats qui s’équilibrent, donne une nouvelle lecture photographique, brouille les pistes, à travers la lumière et la vitesse qui peuvent s’imprimer dans le même temps, effaçant toutes les limites entre l'extérieur et l'intérieur, ou tout s’inverse.
Les figures humaines, il les traite d’abord en tant que formes, ensuite seulement on y reconnaît, un colporteur, un passant, un boutiquier du trottoir, un homme au téléphone, un postier ou encore une partie d'un corps. C’est un univers d’échos et de ricochets, saisit sous des angles qui remettent à plat des présences diverses qui animent l’espace urbain. Être un inconnu qui se déplace dans le ventre d'une ville et ne pas être vu, c’est ce qu'il capte, avec toujours un regard amusé, des détails des plus significatifs du mouvement urbain, donnant le résultat d'une fresque d’objets, enseignes publicitaires, rue, bâtiment, toit, escalier, le tout en mouvements contradictoires produisant un rythme d’improvisations inattendues.
« Les photographies sont souvent considérées comme la réalité pure, mais en fait elles sont de petits fragments de souvenirs de ce monde inachevé. » Saul Leiter
Des silhouettes en transit, des ombres, visions mystérieuses et indirectes entre romantisme et film noir. En couleur, à New York, mais aussi à Paris, à Rome ou en Espagne, les tons de ses photographies sont à la fois vifs et déteints avec une absence de contours stricts, qui en font des œuvres plastiques dans l’esprit des peintres qu’il admire.
« Je suis un photographe à reculons. » Saul Leiter
L&L Dairy, New York, 1949
Postmen, New York, 1952
Snow, New York, 1952
Lingerie Shop, New York, 1952
New York, 1953
Tulips, New York City, 1954
Foot El, New York, 1954
Subway Window, New York, 1955
Red Umbrella, New York, 1955
Phone Call, New York, 1957
Taxi, New York, 1957
Red Umbrella, New York, 1958
New York, 1958
Réflexion, New York, 1958
Walk with Somaes, New York, 1958
Les Deux Magots, Paris, 1959
Horn and Hardart, New York, 1959
Harlem, New York, 1960
Snow, New York, 1960
Snow, New York, 1960
Snow Storm, New York, 1960
New York, 1960