Brassaï (1899-1984) photographe français d'origine hongroise né Gyula Halász à Brașov, d'un père professeur de littérature française à l'université ayant fait ses études à la Sorbonne.
De 1903 à 1904, il se rend à Paris pour la première fois, en 1905 il retourne dans sa ville natale. De 1917 à 1918, il sert dans la cavalerie de l'armée austro-hongroise.
De 1918 à 1919, il étudie la peinture et la sculpture à l’Académie des Beaux-Arts de Budapest, auprès de Mattis-Teutsch.
En 1920, il s’installe à Berlin, et jusqu'en 1922, il suit les cours de l’Académie des Beaux-Arts de Berlin-Charlottenburg, où il obtient son diplôme, et fréquente des académies libres où il rencontre le cercle d’artistes qui deviennent ses amis, László Moholy-Nagy, Oskar Kokoschka, Vassily Kandinsky, Lajos Tihanyi et Varèse. Il dessine, grave et met en place sa démarche artistique et intellectuelle en se donnant Goethe comme maître à penser.
En 1924, il débarque à Paris, parlant le hongrois et l’allemand, il s’établit dans le quartier de Montparnasse, et travaille en tant que peintre et journaliste. Très rapidement il rencontre peu de temps avant sa mort le photographe Eugène Atget qui devient une référence pour son futur travail.
En 1925 il se lie d'amitié avec l'écrivain, poète et peintre belge, Henri Michaux. En 1926 il rencontre le photographe André Kertész, à partir de ce moment il se fascine par la vie nocturne parisienne et décide d’être photographe.
En 1929, il acquiert son premier appareil, un « Voigtländer » et débute son activité de photographe, au départ pour illustrer ses propres articles. Son amour tellement fort pour la cité française le mène à déambuler de jour comme de nuit dans la capitale, il fait ses premières photographies de Paris, celles de rues désertes, de places vides, de pavé ruisselant.
En 1930, ses parents lui rendre visite quelques mois à Paris. Il commence à photographier de façon systématique des objets ordinaires à grande échelle avant de débuter son long corpus sur « Paris la Nuit », il installe une chambre noire dans son hôtel et réalise lui-même ses tirages.
En 1931, il se lie d’amitié avec Alexander Calder et Stanley William Hayter, puis fait la connaissance du romancier Henry Miller avec lequel il arpente les rues de Paris jusqu’au petit matin.
« Brassaï possède ce don rare que tant d'artistes méprisent, une vision normale. » Henry Miller
1932, il adopte définitivement le pseudonyme de Brassaï, signifiant « Brassó » nom de sa ville natale, signant tous ses travaux photographiques sous ce nom. Année ou il rencontre les frères Prévert, Fernand Léger et Le Corbusier.
En 1933, par l’intermédiaire de son ami critique d'art à « L’intransigeant », Maurice Raynal, il publie son premier ouvrage, « Paris de nuit » aux éditions Teriade, avec lequel il rencontre un immense succès, peu de temps après la maison Tériade lui présente Pablo Picasso.
Il photographie les œuvres sculptées et l'atelier de l'artiste rue de la Boétie, images qui s'affichent dans le premier numéro du « Minotaure », revue au sein de laquelle il collabore activement. C'est grâce à cette revue éditée par Albert Skira qu'il entre en contact avec les surréalistes, André Breton, Paul Eluard et Tristan Tzara. Il séjourne sur la Riviera avec ses parents et son plus jeune frère, il y photographie le jardin exotique de Monte-Carlo et le monde minéral.
Au cour de la même année, il réalise sa première exposition personnelle à Paris, intitulé « Paris de Nuit », suivie par une seconde à Londres organisée par la Galerie Batsford.
En 1934, il reçoit la médaille londonienne, Emerson et fait connaissance dans la capitale britannique du photographe Bill Brandt qui devient l’un de ses plus proches amis. De retour en France, il rencontre le peintre Henri Matisse lors d'un reportage pour « Verve ».
Cette même année, il souhaite rassembler une seconde série d'images sur les mœurs de la société déclinante, dans un nouvel ouvrage, « Paris secret des années 30 », qui est le pendant de « Paris de nuit ». Mais l'ouvrage publié sous le titre « Voluptés de Paris », caricature son projet pour n'en retenir que l'aspect le plus croustillant, s'estimant trahi, il le raye de la liste de ses publications.
En 1935 , il déménage dans le XIVème arrondissement de Paris, lieu qui lui sert de point de départ pour toutes ses investigations photographiques, il installe son laboratoire dans son appartement et confie la diffusion de ses images à son ami hongrois Charles Rado qui vient de fonder l'agence photographique Rapho, avec laquelle Brassaï collabore. Il engage le tout jeune Emile Savitry en tant qu'assistant et s’achète un nouvel appareil, un « Rolleiflex ».
1937, il débute sa collaboration avec les directeurs artistiques Carmel Snow et Alexis Brodovitch pour « Harper’s Bazaar », collaboration qui dure plus de vingt-cinq ans. Parallèlement il travaille pour de nombreux autres magazines, « Verve », « Picture Post », « Lilliput », « Coronet », « Labyrinthe », « Vu », « Réalités », « Plaisirs de France » dans lesquels il publie textes et photographies.
En 1939, suite à la demande de Henri Matisse, il exécute une série de Nus dans l’atelier de l'artiste.
En 1940, il part en exode à Cannes avec les frères Prévert et une partie de leur groupe, mais très vite Brassaï décide de rentrer à Paris pour retrouver ses négatifs. Sollicité par les autorités allemandes, il refuse de demander une accréditation pour photographier, l’empêchant de publier ses clichés et d 'exercer son métier. En 1943, il réalise une série de photographies consacrée aux sculptures de Pablo Picasso. Il écrit « Bistro-tabac » évoquant les absurdités du temps de l’Occupation.
En 1944, il perd son plus jeune frère durant la campagne de Russie et se remet au dessin et à la peinture.
En 1945, il rencontre Giberte-Mercédès Boyer, réalise les décors photographiques de « Rendez-vous » de Jacques Prévert, Joseph Kosma et Roland Petit. Il expose ses dessins à la galerie « Renou et Colle ».
En 1947, il effectue à nouveau des décors photographiques pour la pièce, « En passant » de Raymond Queneau au théâtre Agnès Capri.
En 1948, il épouse Gilberte et écrit « Histoire de Marie », préfacée par Henry Miller. Il séjourne la majeure partie de l’année dans l’arrière-pays niçois.
En 1949, il est naturalisé français. Son reportage sur les sculptures de Pablo Picasso est publié sous le titre, « Les sculptures de Picasso » avec des textes de l'écrivain, collectionneur et marchand d'art allemand, Henri Kahnweiler.
En 1950, il réalise les décors photographiques pour le ballet « Phèdre » de Jean Cocteau à l'Opéra de Paris.
En 1952, il perd sa mère, sa première monographie est publié par l’éditeur français Robert Delpire suivie d'une exposition personnelle à Nancy de ses photographies.
En 1956, il tourne un film au zoo de Vincennes, « Tant qu'il y aura des bêtes » avec lequel il obtient le prix de l'originalité au festival de Cannes. En 1957, il est récompensé à la Biennale de photographie de Venise, obtenant la médaille d'or. Edward Steichen organise pour le « Museum of Modern Art » de New York son exposition « Graffiti ».
En 1957, il effectue son premier voyage aux États-Unis où il photographie la Louisiane en couleurs pour le compte du magazine « Holiday », il fait la connaissance de Robert Frank et Walker Evans.
En 1960, il édite son ouvrage en Allemagne, intitulé « Graffiti ». En 1961 il cesse définitivement la photographie pour se consacrer à la réimpression de ses œuvres originales et à la sculpture.
En 1963, une rétrospective de son travail est organisée à la Bibliothèque Nationale de Paris. En 1964 il publie « Conversations avec Picasso », traduit dans une vingtaine de pays.
En 1966, il reçoit avec le photographe Ansel Adams, le prix de l' « American Society of Magazine Photographers ».
En 1967, exposition les « Transmutations » à la galerie Les Contards à Lacoste dans le Vaucluse. Il se lance dans ses premières tapisseries sur le thème des graffiti. En 1968, il expose cette fois ci, ses sculptures, dessins et gravures à la galerie du Pont des Arts. Le MoMA, à New York, lui consacre une rétrospective. Il perd son père et débute de la rédaction d’un essai sur Henry Miller.
En 1974, il est l'invité d’honneur des Rencontres internationales de la photographie à Arles, et est récompensé par la médaille de la ville d'Arles, puis est fait Chevalier des Arts et lettres.
En 1976, il est décoré Chevalier de la Légion d'Honneur. Il publie pour la première fois son ouvrage « Paris secret des années 30 » chez Gallimard.
1978, il reçoit le Grand Prix National de la Photographie, en 1983 celui de la Société des Gens de Lettres pour son dernier ouvrage.
En 1984, il s’éteint sur la Côte d'Azur à Beaulieu-sur-Mer, à l’âge de 85 ans, après avoir achevé son ouvrage sur Proust.
Il est le photographe le plus renommé de l’entre les deux guerres, le plus célèbre explorateur du ventre caché de la ville de Paris de jour comme de nuit, il ouvre une nouvelle voie dans la photographie, portant sa réflexion sur une réalité que chacun a devant les yeux, le jour, et qui mue lorsque la pénombre tombe. Il est « l'œil de Paris » comme le surnomme son ami Henry Miller.
« Je suis né en Transylvanie en 1899. Mon père était professeur de littérature française. Il a vécu à Paris qu’il aimait tant, et il a étudié à la Sorbonne. Quand j’eus cinq ans, mon père me fit venir avec ma famille à Paris pour un an. Je me souviens parfaitement de cette année magnifique. Mon père me disait toujours que je devrais vivre à Paris, il me le disait même quand j’étais tout petit. Mais comme nous étions en période de guerre entre l’empire Austro-Hongrois et la France et que j’étais hongrois, je n’ai pas pu venir à Paris. Je partis à Berlin en attendant et à Berlin j’ai rencontré Kandinsky et le groupe Sturm. Je devins donc peintre. J’avais appris la peinture à l’École des Beaux-Arts de Budapest et ensuite à Berlin. Je n’ai pas beaucoup réalisé d’œuvres en ce temps. J’étais admis pour deux ans. J’ai intégré l’académie de peinture de Berlin en 1921 et plus tard je suis enfin arrivé à Paris. Je n’ai plus peint pendant cinq à six ans, car la vie était trop passionnante et je l’ai vécue pleinement et ardemment. J’ai fait un peu de journalisme, écrivant pour des journaux allemands et hongrois pour survivre. En 1930 j’ai commencé la photographie et j’ai publié mon livre Paris la nuit. » Brassaï
Lorsque Brassaï arrive à Paris en tant que peintre, il a de suite le regard perçant et lucide, ses photos sont travaillées avec le même sérieux que s’il avait dû écrire un papier, il ne laisse rien au hasard, ni son cadrage, ni la lumière, il sait quel rendu la pluie, une ombre, la pénombre ou encore la brume donne sur ses clichés.
« Le surréalisme de mes images ne fut autre que le réel rendu fantastique par la vision. » Brassai
À partir de 1930, il arpente la capitale, de jour comme de nuit, muni de son appareil à plaques et de son flash au magnésium, il opère en jouant avec le noir pour inscrire les lieux dans des décors identifiables. Brassai piéton des rues de Paris est un révélateur du monde, il rend visibles aussi bien les quartiers que ceux qui les habitent. Son instinct, sa patience, font qu’il capte ce qu’il semble voir et entendre, une façade, des affiches placardées sur un mur, le tintement des verres, le bruit des lits d'un hôtel de passe, les choses cachées. Une flaque est pour lui une multitude de variations abstraites qui rythment une petite musique de nuit, les ombres qui enveloppent le pavé parisien ainsi qu'un passant qui l’enjambe. Il quadrille les lignes des trottoirs, le pavé mouillé des rues, les lueurs des becs de gaz, sculpte les colonnes Morris, se penche sur les phares d’automobiles déchirant le brouillard, imprime les reflets de la Seine symétrisant l’arche d'un pont.
Il passe d'un quartier à un autre, d’une rue à l’autre en captant le moindre recoin, l'esprit de chaque parisien. Toute sa vie Paris demeure au cœur de sa réflexion, le fil rouge de son travail. Dans son œuvre, on retrouve Paris, toujours Paris.
Le Paris de Brassaï, c'est son amour des pavés et des reflets de la nuit, il réussit à imprimer de façon quasi-fantastique la capitale faiblement éclairé à l'époque, avec un temps de pose très long, qu'il mesure en fumant entièrement sa Gitane.
« C'est pour saisir la beauté des rues, dans la pluie et le brouillard, c'est pour saisir la nuit de Paris, que je suis devenu photographe. » Brassaï
Telle une chauve-souris, il est toujours à la recherche d’un Paris aux mille mystères et confusions, son appareil est un filet à papillons qu’il remplit de jour comme de nuit, au cours de ses excursions dans la capitale, il dévoile Paris et ses habitants en scènes étranges et fixe l'insolite beauté des silhouettes fugitives, il n’est pas insensible à la lumière du jour ni aux gens qui sont au centre de son œuvre. Il propose une vision tout à fait personnelle des petits artisans, des marchandes de ballons, des ouvriers, des jardiniers balayant les feuilles, des amoureux, des pêcheurs à la ligne sur les quais de seine, des passants, des sans-abris, de la foule élégante de la rue de Rivoli, des badauds devant les magasins des Grands Boulevards et même des chiens.
Il met en valeur, la nuit à pas feutrés, la danse lente de la lumière, la pénombre, une personne, dans ses images c’est l’inattendu qui surgit, un être que l’on n’avait pas su voir est bien là, présent,vivant, en parvenant à rendre le peu de luminosité totalement claire. Il passe des nuits entières à observer les lieux et les gens et dans lequel il finit par se fondre avec tous ceux et celles qui font la légende de Paris.
« La nuit suggère, elle ne montre pas. Elle nous trouble et nous surprend dans son étrangeté, elle libère ses forces en nous qui dans la lumière du jour son dominées par la raison. » Brassaï
Après avoir arpenté la cité, il pousse les portes de ce décor, il entre au bal musette des « Quatre Saisons », fréquenté par les gens du milieu, s'invite au grand bal des homosexuels, ou encore au bar « Le Monocle », couru des lesbiennes, fixe l'ambiance des maisons closes, comme chez Suzy, il photographie les prostituées sur les grandes avenues, puis pénètre l’intimité des chambres d’hôtel de passe, pénètre au plus près ce monde considéré comme marginal, réalise des clichés tout en gardant leurs anonymats, de ceux qui courent tout ces endroits, pour faire exister quelques scènes, il va jusqu'à faire jouer à un ami le rôle du client.
« Je ne cherchais qu'à exprimer la réalité, car rien n'est plus surréel. Mon ambition fut toujours de faire voir un aspect de la vie quotidienne comme si nous la découvrions pour la première fois. » Brassaï
Brassaï dans la photographie ne se cantonne pas à un seul sujet, il photographie tout ce qu’il l’intéresse, des visages, la rue, des paysages et les milles aspect de la vie quotidienne, l’art et les artistes, font partie de sa vie. Ses pérégrinations permanentes dans les milieux les plus divers, lui permettre de rencontrer le Tout-Paris artistique et littéraire, il fait la connaissance des frères Prévert, de Fernand Léger, de Le Corbusier, de Salvador Dali et surtout de Pablo Picasso qui impressionné par ses photos de nuit, lui demande de photographier ses sculptures.
« J’ai toujours refusé de me spécialiser, j’ai toujours fait beaucoup de choses, photos, dessins, sculptures, films, livres, finalement c’est aussi dur d’avoir beaucoup de talent, car chacun d’eux vous accapare. On ne peut agir que par alternance en suivant son instinct, je n’ai pas peur de me disperser, je veux être libre. » Brassai
Il ne se laisse enfermer dans une seule activité, l'ensemble de ses négatifs permet de montrer que ses images sont des reconstitutions du réel, devenues plus véridiques, plus authentiques que la réalité. Il n'est pas un pickpocket du réel mais un artiste qui construit et met en scène une œuvre, celle de sa propre vision du monde.
Il s'est toujours défendu d'avoir fait parti du groupe surréaliste, il est sensible à cette fièvre de la découverte hors des chemins battus de l'art et de la science, cette curiosité à prospecter de nouveaux gisements. Mais il trouve qu'en 1933 la révolution surréaliste, dont les rangs se sont éclaircis par les purges successives, s'est singulièrement assagie. Son assimilation au surréalisme lui parait un malentendu, les membres considérant ses photographies comme surréalistes car elles révèlent un Paris fantomatique, irréel, noyé dans la nuit et le brouillard.
« La photographie, c'est la conscience même de la peinture. Elle lui rappelle sans cesse ce qu'elle ne doit pas faire. Que la peinture prenne donc ses responsabilités. » Brassaï
Il est un sculpteur de l’image, il met en scène des volumes modelés par l’ombre et la lumière. Ses cadrages sont très travaillés en passant parfois des heures avant de prendre un cliché. Le mouvement ne vient pas de ses sujets qui sont statiques, mais du rythme du clair-obscur de la scénographie de l’exposition. Ce qu’il cherche c’est avant tout de capter l' atmosphère, de redonner une réalité sublimée et décalée. L’unité dans ses photographies provient de l’utilisation du noir et du blanc, il use comme personne d'un noir profond de l'héliogravure, et attache une grande importance au développement de ses tirages qu’il réalise lui même.
« J’ai toujours tenu la structure formelle d’une photo, sa composition, pour aussi importante que le sujet lui-même. Il faut éliminer tout ce qui est superflu, il faut diriger l’œil en dictateur. » Brassai
Flâneur nocturne, Brassaï s’intéresse dès ses débuts aux quartiers mal famés de Paris ainsi qu'à la culture populaire. Il est le premier, dans l’histoire de la photographie moderne, à penser intuitivement que l’appareil photographique est un outil de dissection de l’urbain.
« Ce que j'aime, c'est les photos où il y a un sujet très simple qui, par une saisie particulière, devient un objet de luxe. » Brassai
Les « Graffitis » : Les dessins et signes tracés ou grattés sur les murs de Paris fascine Brassaï dès le début des années 1930 jusqu’à la fin de sa vie. Il traque constamment ces expressions, leur consacrant une importante série, intitulée « Graffiti », à laquelle il travaille pendant plus de vingt-cinq ans sans relâche produisant des centaines d’images, dont certaines paraissent dans la revue du « Minotaure ».
« Le mur appartient aux demeurés, aux inadaptés, aux révoltés, aux simples, à tous ceux qui ont le cœur gros. Il est le tableau noir de l'école buissonnière. » Brassaï
Ces graffitis qu’il découvre de jour en jour, autant de griffures, de morsures dans la pierre parfaitement cadrées et modelées par les clairs obscurs. Il concentre son regard sur des dessins, signes et gribouillages inscrits sur les murs de Paris. À l’instar de ses clichés des pavés, il resserre son cadre, s’attache au détail et met en valeur un objet a priori sans importance. Sur ces murs défraichis, il y laisse courir son imagination, en découvrant des formes humaines ou animales. Avec des règles formelles établies, il entame un projet d’enregistrement systématique, constitue un catalogue, un imagier populaire, des traces laissées sur les murs par les habitants de la capitale. Il les décrit dans des carnets, note leur adresse et revient, plus tard, voir ce qu'ils sont devenus.
« Ces signes succincts ne sont rien moins que l’origine de l’écriture, ces animaux, ces monstres, ces démons, ces héros, ces dieux phalliques, rien moins que les éléments de la mythologie. » Brassaï
« Je m’intéresse à trop de choses, c’est un drame. » Brassaï
Allumettes, 1930
Des allumettes métamorphosées par un gros plan, c’est ce que Brassaï entreprend de photographier, entre 1930 et 1933, au sein d'une série intitulée « Objets à grande échelle », il le fait aussi bien avec des tickets roulés, trombones, dé à coudre, punaises, coquillages, boutons de manchette, aiguilles, deux extrémités de lacets, une bougie, une paire de ciseaux, un engrenage de montre, de la pâte dentifrice, agrégat de coton roulé, un morceau de pain et une chaise métallique. Cet inventaire visuel à la Prévert est constitué d’objets usuels, de rebuts ou autres éléments culinaires photographiés en très gros plans, comme vus à travers d'un microscope, de sorte que la différence d’échelle procède d’une transformation anamorphique.
Dans cette photographie, il place les allumettes dans une mise en scène par un processus de sculpturisation, sur un journal, flottant au dessus d’un fond clair. Une lumière latérale, traitée en clair-obscur, fortement contrastée, dissocie leurs contours, transfigure leur nature usuelle, pour lui un simple dé à coudre peux prendre l’allure d’une architecture, une paire de ciseaux se transforme en une paire de jambes de femme, et des allumettes en troncs d’arbres. Salvador Dali passionné par ce projet, sélectionne six de ses clichés afin de les publier en décembre 1933 dans le numéro 3 de la revue du « Minotaure » sous le titre de « Sculptures involontaires ».