René Burri (1933-2014) photographe suisse, né à Zurich, d'un père suisse et d'une mère allemande. Tout petit il est passionné par l'image, en 1946, à l'age de treize ans, il réalise sa première photo avec l'appareil de son père, celle de Winston Churchill en visite en Suisse, à bord d'une décapotable.

  • De 1949 à 1953, il étudie à l'école des Arts et Métiers de Zurich où il apprend la composition, la couleur et le design, auprès de ses professeurs, le photographe Hans Finsler, le sculpteur et peintre Alfred Willimann et le peintre Johannes Itten qui par la suite vont fortement l'influencer.

  • En 1952, dans l’immédiat après-guerre, il gagne l’Allemagne à vélo pour réaliser ses premières photos à Munich et Ulm, deux villes profondément marquées par les stigmates du conflit.

  • En 1953, diplômé, durant son service militaire il découvre l’usage du Leica qu’il troque avec son Rolleiflex, de retour à la vie civile ouvre un studio avec Walker Binder. Amateur de cinéma, il obtient une bourse et apprend le maniement de la caméra « Bolex » en réalisant un film sur son école.

  • De 1954 à 1955, il travaille en tant qu'assistant-caméraman chez « Switzerland », production appartenant à Walt Disney. Il filme lors d'un déplacement le photographe Edward Steichen, mais rapidement il abandonne définitivement la caméra pour s'orienter vers la photographie, et est engagé comme photographe dans l’atelier du graphiste Josef Müller-Brockmann.

  • En 1955, il visite la chapelle de pèlerinage de Le Corbusier à Ronchamp et réalise un essai photographique qui est publié dans « Paris Match », il devient membre associé au sein de l'agence Magnum-Photos, puis enchaine un autre reportage sur les enfants sourds-muets, « Touch of Music for the Deaf » publié dans le Life Magazine qui lui vaut une reconnaissance internationale. La même année, il photographie son ami, le sculpteur, peintre et dessinateur suisse, Jean Tinguely.

  • Entre 1956 et 1958, il sillonne comme correspondant de Magnum Photos, la Tchécoslovaquie, l’Égypte, la Syrie, l’Irak, la Jordanie, le Liban, l’Italie, la France, l'Espagne et la Grèce. Puis il se rend en Amérique latine ou il passe six mois, réalisant une série photographique sur les gauchos, publiée dans la revue suisse « Du ».

  • En 1957 à Cannes, avec l’autorisation du peintre Pablo Picasso, il réalise son vœu le plus cher, celui de dresser au travers une série photographique, le portrait mémorable de l’artiste.

  • En 1959, il devient membre à part entière chez Magnum-Photos et voyage à nouveau en Égypte, au Brésil et au Japon.

  • En 1962, il couvre de nombreux événements au Proche-Orient, puis travaille à un nouvel ouvrage, « Die Deutschen », publié en suisse et édité un an plus tard en 1963 par Robert Delpire sous le titre, « Les Allemands ».

  • En 1963, pour le magazine « Look », il réalise un grand-reportage à Cuba ou il rencontre Fidel Castro et Che Guevara dont il dresse un portrait de ce dernier fumant le cigare.

  • En 1964, il se rend en Chine populaire, et dès son retour publie dans le Life Magazine son reportage, intitulé « Red China, Spruced up for show ».

  • En 1965, il participe à la création de Magnum Films. En 1967, il tourne un documentaire pour la télévision allemande sur les conséquences religieuses, à Jerusalem, de la guerre des six jours.

  • En 1970, il coproduit et coréalise un film avec Peter Amann sur les ouvriers étrangers en Suisse, intitulé « Braccia si – uomini no », « Des travailleurs oui, des hommes non », long métrage qui est primé par la ville de Zurich et en 1972, réalise un film documentaire, « Jean Tinguely ».

  • En 1982, il est élu président de Magnum France. En 1984, une première rétrospective lui est consacrée à Zurich, Paris et Lausanne, qui présente son livre « One World » retraçant 30 ans de son travail, la même année il devient président de Magnum Europe.

  • En 1998, il reçoit le « Prix Erich Salomon » pour l’ensemble de sa carrière de photojournaliste.

  • En 2004, la Maison européenne de la photographie, à Paris, lui consacre un vaste rétrospective.


Muni de son Leica qu'il nomme son « Troisième œil », il est bien plus qu'un photographe de presse, il est un cueilleur d'icônes, sensible et engagé, qui transcende perpétuellement ce qu'il voit, rapportant de tous les coins du monde ses images-métaphores d'artiste, passant du portrait au paysage de rue, de l'architecture aux conflits planétaires. Sa signature est l’élégance, l’harmonie, une capacité unique à recréer l’espace et la géométrie, d’aller toujours au-delà pour proposer un point de vue personnel. Il ouvre la voie à la photographie d’auteur avec des clichés qui racontent sans jamais verser dans l’anecdote. Des tasses à café, à contre-jour, immergées dans le soleil qui entre par la fenêtre d’une maison, tel est le sujet de ses premières photographies.

« Quand je pars faire des photos, je n’ai jamais une photo en tête, il m’arrive de chercher une image des jours entiers, parfois la lumière n’est pas bonne, un détail m’a échappé, difficile de tomber juste, mais quand tout est devant moi, c’est comme un joueur qui marque un but, en un déclic, c’est la grâce. » René Burri

Loin d’être un stéréotype de grand reporter, il essaye de comprendre et de donner à comprendre, cherchant plus que la bonne distance, ou le meilleur cadrage, cette petite faille de la réalité qui reste dans l’éternité, il est fidèle au grain de l’humanité, celui d’enrichir la vie. Il ne s’embarrasse guère de reproduire fidèlement la réalité, son objectif est de créer une illusion par la lumière du soleil.

« Tout ce qui se passe dans la vie est mouvement, le mouvement a tant de directions. Avec un appareil photographique on peut arrêter la vie pour un instant. J’ai utilisé l’appareil comme une arme, comme un moyen de défense contre le temps. » René Burri

Depuis le début de sa carrière, pour René Burri, la photographie est une passion ou il n’y a pas de grand ou de petit sujet, elle est un concours de circonstance patiemment attendue, un choc émotionnel et des sensations avant le sensationnel, il fait partie des photographes qui ont imposé l’image photo, son œil est avant tout un cerveau.

« Avant de fixer un moment, j’ai besoin de comprendre ce qui se passe, ce que je veux exprimer. C’est la présence du photographe qui détermine une bonne image. » René Burri

La puissance de ses images célèbrent aussi bien les gestes quotidiens que les grands moments de l'histoire, de la crise de Suez au conflit chypriote, de la révolution cubaine à la guerre froide, il porte son regard incisif et inspiré partout sur la planète, il n’exprime jamais la mort et le sang, aucun cadavre sur ses photos de guerre, c’est le monde, l’humanité qu’il veut enregistrer.

« Le problème est de savoir ce que l'on veut exprimer. Je suis sûr qu'en montrant la balle qui tue le soldat, ou le charnier, je n'ai rien expliqué, rien montré. » René Burri

Il sait rendre compte de la ville, de la foule, du Brésil, du Mexique, de Cuba, du communisme, de la guerre, intégrant chacun de ses clichés dans des suites narratives capables de raconter l'Histoire en mouvement, avec l'art de faire coïncider acuité documentaire et subtilité esthétique. Ce génie du photo-reportage parvient à rejoindre la réalité des choses, ensevelie parfois derrière les discours flous, simplement par une image forte et pure.

« Les images sont comme des taxis aux heures de pointe, si l’on n’est pas assez rapide, c’est un autre qui les prend. » René Burri

Il considère la photo comme un moyen d'expression personnel, un outil lui permettant de montrer des images qui reflètent avant tout ses propres préoccupations, contrairement à son mentor Henri Cartier-Bresson qui capte « l'instant décisif », Burri travaille davantage sur le long terme. Son œuvre est universelle, assume une esthétique tout en délivrant un message en contribuant à construire la mémoire iconographique du vingtième siècle.

« Un de ces jours, je publierai un ouvrage de toutes les photos que je n'ai pas prises. Ce sera un énorme succès. » René Burri

En 1953, âgé de 20 ans, il se rend à Milan, « Au Palazzo Reale » lors de la rétrospective de Pablo Picasso, il est de suite subjugué en découvrant l’œuvre du maître Catalan, depuis ce jour, obsédé par l’idée de photographier Pablo Picasso, il ne lâche rien et met plus de 4 ans afin de décrocher un rendez-vous avec le peintre, il quitte Zurich pour rejoindre Paris, passe une semaine à essayer de convaincre la secrétaire de Picasso de le laisser venir effectuer des clichés de l’artiste dans son appartement et atelier de la rue des Grands Augustins.

« Lorsque j'ai vu pour la première fois le Guernica de Pablo Picasso, en 1953, je me suis dit, tu dois absolument faire la connaissance de cet homme. J'ai essayé de le rencontrer pendant quatre ans, en vain. Puis un jour, alors que j'étais à Saint-Sébastien, j'ai appris que Picasso devait aller à Nîmes assister à une corrida. J'ai couru à mon hôtel, j'ai bouclé mes valises et je suis parti tout de suite pour Nîmes. On pourrait dire que c'était idiot, que je n'avais pas plus de chances d'approcher Picasso à Nîmes qu'à Paris. Et pourtant, le hasard m'a permis de le faire. A Nîmes, je suis descendu dans le premier hôtel venu, et il s'est trouvé que c'était le même que lui. Il avait organisé une petite fête dans sa chambre avec quelques amis. Avec la complicité d'une femme de chambre, je m'y suis rendu, et ce fut mon premier contact avec lui ». René Burri

« Lorsqu'on parvient vraiment à capter la vibration du vivant, alors on peut parler d'une bonne photographie. » René Burri

Son œil de virtuose est marqué par l'insolence, la fraternité, l'intuition et la subtilité. Ses images sont de grandes images, tout à la fois picturales et décisives, les sujets qui s'infiltrent dans son obturateur trouvent la puissance graphique conforme au symbole qu'ils s'apprêtent à incarner, comme ses portraits de Che Guevara, de Le Corbusier, de Richard Nixon, Alberto Giacommetti, et d'Yves Klein.

« Il ne faut pas venir comme un bulldozer quand on veut photographier une célébrité. » René Burri

Si il photographie la plupart du temps en noir et blanc, il s’évertue à jongler sans cesse avec la couleur, il l’adopte dès les années 50 suite à la demande croissante des magazines d’avoir de la couleur dans leurs pages. Dès 1958, pour son reportage en Argentine sur les derniers gauchos, il équipe à la fois son Rolleiflex et Leica, de pellicules Tri-X et Kodachrome.

« En tant que photographe, j’ai mené une double vie, l’une en noir et blanc, l’autre en couleur. » René Burri

« Mon troisième œil est là pour mettre le nez là où il est interdit de le mettre ! » René Burri

Winston Churchill en visite, Suisse, 1946

Picasso, Villa Californie, 1957

Picasso II, Villa Californie, 1957

Pablo Picasso dans sa villa « La Californie » de Cannes, vêtu de son éternelle marinière joue le cow-boy devant l’objectif de René Burri, avec un pistolet et un chapeau offerts par l’acteur Gary Cooper.

Berlin, Allemagne de l'Ouest - Exposition d'architecture Internationale Interbau, 1957

São Paulo, Brésil, 1960

Le Brésil, synonyme de sa seconde patrie, c'est à São Paulo, ville meurtrie par les conflits sociaux, qu'il réalise cette photographie ou sur le haut d'un building, des silhouettes noires, plates, sans aucun détail, veulent pour lui, dire beaucoup plus qu'un visage bien éclairé. Une image dans laquelle il installe sa géométrie, l'horizontale des favelas qui ne dépasse guère quelques mètres, celle des déshérités qui l'oppose à la verticalité du pouvoir, celle des gratte-ciel, de l'élite, c'est une vérité de quatre hommes marchant sur la terrasse, avec en bas, comme au fond d'un précipice, le trafic, une foule indistincte mais formée de tant de vie qui se côtoient.

Brasilia, Brésil, 1960

Circulation, São Paulo, Brésil, 1960

Rio de Janeiro, Brésil, 1960

Champs-Élysées, Paris, 1962

Ernesto Che Guevara, la Havanne, 1963

Parmi les clichés inoubliables et le plus célèbre de René Burri, c’est celui d’Ernesto Che Guevara, un cigare aux lèvres, le regard ailleurs, à la Havanne en 1963. Il est publié la même année dans le Look magazine avec un tirage à 7,3 millions d’exemplaires, un record pour l’époque. Depuis son assassinat par les militaires boliviens en 1967, Che Guevara fait l’objet d’un culte, icône d’un martyre des temps moderne, quatre ans plutôt Renée Burri en dresse le portrait, effectue un cliché dans la tradition du photo journalisme humaniste.

« Je crois que peu de gens savent que c’est moi qui ai fait cette photo. Elle appartient désormais à l’histoire, la photo du Che ne m’appartient plus exclusivement. Pour un photographe, c’est un très beau compliment. » René Burri

Les deux hommes se rencontrent en janvier 1963, une interview est alors organisée avec la journaliste Laura Bergquist et le photographe Renée Burri. Ce jour là il y a du soleil, les stores restent baissés et de l’extérieur pénètre une lumière laiteuse, renforcée par celles des plafonniers qui évitent à Burri, n’utilisant pas le flash, d’avoir à travailler à contrejour. Il a apporté avec lui deux Leica et un Nikon, pendant les trois heures de l’entretient, il fait un total de six pellicules. Le Che porte comme d’habitude son uniforme, sa tenue de combat, il fume, la fumée monte en volutes vers au plafond, il se penche en arrière, l’air détendu, avec assurance et un air de défi, tenant tête au reste du monde.

Place Tiananmen, Pékin, Chine, 1964

Ferry boat, Ellis Island, New York, 1967

Mexico City, San Cristobal, 1976

Chicago, 1979

John Lennon Memorial, Central Park, New York, 1980

The Dunes, Las Vegas, 1980

Yves Saint Laurent, Pékin, Chine, 1984

Cannes, 1990

Fidel Castro, La Havane, Cuba, 1993