Elliott Erwitt (1928-2023) photographe américain, né Elio Romano Erwitz à Paris, issu d'une famille d'émigrants russes. Il a une enfance et une adolescence nomade, voyageant entre l'Italie et la France.
De 1935 à 1938, il est scolarisé à Milan, puis de 1938 à 1939 à Paris.
En 1939, avec ses parents, ils émigrent aux Etats-Unis, à New York, à Chicago puis en 1941 à Los Angeles.
De 1945 à 1947, il suit des cours au Los Angeles City College. C'est à cette époque, adolescent, vivant à Hollywood, que son intérêt pour la photographie se manifeste, en apprenant sur le tas dans un laboratoire professionnel, dans lequel il développe des tirages « signés » pour les fans de stars de cinéma.
En 1948, il s'installe à New York, et étudie le cinéma à la « New School for Social Research » jusqu'en 1950, devient assistant dans le studio du photographe new-yorkais, Valentino Sarra.
En 1949, il retourne en Europe, voyage en France et en Italie accompagné de son fidèle Rolleiflex.
En 1951, il effectue son service militaire, incorporant « L'US Army Signal Corps », au sein du service de Transmission pour lequel il exécute plusieurs missions photographiques en Allemagne et en France.
À la fin de son service, il retourne à New York, fait la connaissance d'Edward Steichen, de Robert Capa et de l'ancien directeur de la Farm Security Administration, Roy Stryker qui appréciant son travail, l'invite à contribuer à la photothèque qu'il est en train de constituer pour la Standard Oil Company, puis lui propose de réaliser une commande sur la ville de Pittsburgh.
En 1953, sur l'invitation de Robert Capa, il intègre l'agence Magnum Photos, un an plus tard en 1954, il en devient membre à part entière, travaillant en free-lance, à cette époque, les sujets ne manquent pas, entre les ruines de l’après-guerre et la guerre froide, mais les magazines cherchent aussi des sujets plus légers et insolites, le caractère jovial de ses photographies, avec une ironie subtile lui apportent un succès rapide auprès de plusieurs publications, il collabore avec les magazines, « Collier's », « Look », « Life » et « Holiday » ainsi que pour des revues européennes, « Stern », « Paris Match », « Le Ore », « Epoca » et « L’Europeo ».
En 1955, il participe à l'exposition « Family of Man » organisée par Edward Steichen au Museum of Modern Art de New York.
En 1959, il réalise une photographie, intitulée « The Kitchen Debate », qui de suite est un retentissement international, image effectuée dans la cadre de l'Exposition nationale américaine présentée à Moscou, lors de la rencontre houleuse entre Richard Nixon et Nikita Khrouchtchev.
En 1960, grâce à Magnum Photos qui reçoit la mission de couvrir le dernier film de Marilyn Monroe, « The Misfits », il est envoyé sur le tournage à Reno dans le Nevada, aux cotés de Eve Arnold, Cornell Capa, Henri Cartier Bresson, Bruce Davidson, Erich Hartmann, Ernst Haas, Dennis Stock, et Inge Morath.
En 1969, il est nommé président de Magnum Photos, restant trois ans aux commandes de l'agence.
En 1970, tout en continuant la photographie, il se tourne vers le cinéma, réalisant des spots publicitaires ainsi que des longs métrages et films documentaires, notamment « Beauty Knows no Pain » en 1971 et « Red, White and Bluegrass » en 1973.
Celui qui dès ses débuts change de prénom en Elliott, son véritable prénom étant trop difficile à prononcer lorsque l'on lui dit bonjour, « Hello Elio », est un photographe incontournable qui a traversé le 20eme siècle, appareil toujours à la main, effectuant quelques-unes des photographies les plus iconiques, celle de la rencontre de Nikita Kroutchev et de Richard Nixon, dans laquelle les gestes des deux protagonistes sont chargés de sens, celles de Fidel Castro, du Ché, de Marilyn Monroe, ou encore celle de Jacqueline Kennedy, aux obsèques de son mari. Il porte aussi un regard subtil sur les injustices du monde, comme sa photographie de lavabos dans une ville ségrégée des États-Unis, dans laquelle l’impact de l’injustice humaine a raison de la valeur documentaire de son cliché.
Lorsque l’on lui demande, comment il travaille, il répond « Vous mettez le film dans l’appareil ».
Rencontrer Elliott Erwitt, blagueur et accueillant, est une leçon d’humour et d’humilité, il est l’incarnation d’une époque révolue, de l’âge d’or du photojournalisme, il aime parler de ce qui le passionne, des autres, des petites choses remarquables de la vie. Pour lui, la bonne photo n’a pas de secret, rien en particulier ne le guide mais il admire tout de même Henri Cartier-Bresson qui lui a transmit à toujours sortir armé d’un appareil.et avec lequel, il a appris les bases pour forger son propre style, dans la recherche de l’instant tout en y apportant son degré d’ironie.
« La photographie c'est la synthèse d'une situation. L'instant où tout s'assemble. L'idéal insaisissable. » Elliot Erwitt
Il observe une scène, mais avec des yeux qui ont déjà vu de nombreuses autres scènes et avec un esprit préparé. Malgré son gout pour le hasard, celui-ci n’entre que pour la moitié de l’instantané, ses photos sont des conceptions imposées à la réalité par son esprit ingénieux. Son regard n’est pas sans filtre, il prend ce qu’il voit, mais c’est à la fois intentionnel et circonstanciel, les yeux sont le miroir de l’âme, ses instantanés reflètent ses convictions comme ses émotions. Ses images sont un signe rendant compte du monde qui l’entoure. Il ne doute pas un instant qu’il doit suivre sa ligne de conduite, celle de capturer des photos fraiches, légères, mais jamais rhétoriques. Son objectif fige les instants dans le temps, tout en suggérant des actes passés et présents. Il réalise des instantanés de mouvement figés, son appareil enregistre ce que l’œil humain peut à peine déceler.
« lorsque la photographie est réussie, c’est vraiment intéressant, lorsqu’elle est très réussie, alors c’est irrationnel et même magique, c’est un cadeau qui n’a rien à voir avec la volonté consciente ou l’habilité du photographe. » Elliott Erwitt
Il sait effectuer des images cocasses, basées souvent sur un simple clin d'œil, mais toujours avec une émotion qui les sous-tend, qui leur ajoute une profondeur inattendue, pour lui l'émotion est difficile à anticiper au moment de shooter, « Shoot first, ask questions later », aime t-il répéter. Il est un expert du pris sur le vif, tout est dans l’instant, celui qu'il appelle le « snap », un claquement de doigt, un déclic.
« En photographie, penser ne sert pas à grand chose, il faut surtout voir. » Elliott Erwitt
Sa capacité est de capter et de pressentir le moment insolite, drôle ou étrange de certaines scènes du quotidien, de saisir des signes qui parlent, qui raconte une histoire. Sa photographie, a une qualité rare et précieuse d’être simple sans être simplificatrice, son style est de photographier l’insolite, de traduire en images une vision subtile, de montrer des situations paradoxales et humoristiques. Il sait parcourir le monde, l’observer, apprendre à le connaître et se laisser surprendre par les mille facettes qui se présentent à son objectif. Avec son appareil, il sait faire rire, sans complexe, ne demandant jamais l’autorisation de prendre sa photo, personne ne s’aperçoit qu’il saisit l’instant.
« Je ne rigole pas avec l'humour, l’humour est dans la photographie, pas dans ce qu'on photographie. » Elliott Erwitt
Il est capable d'exprimer des pauses complices et tendres, en privilégiant l’ironie, l’humour et le surréalisme, ses photos sont un langage universel qui traverse le temps, aucune de ses images ne semblent prendre un ride. La tendresse, l'humanité et l'espièglerie animent son objectif en s’infiltrant avec légèreté, même dans les moments les plus sérieux, il a ce formidable talent, avec un œil et un cœur de regarder, regarder plus et regarder encore.
« Ce sont juste des choses que vous voyez. Pas besoin de chercher quelque chose. Tout est là. » Elliott Erwitt
Dans les portraits de personnes célèbres ou ordinaires, il pose sur eux un regard plein de sympathie ou d'un humour débonnaire, réalisant des portraits qui ne sont jamais perfides, jamais obséquieux, jamais officiels, il les prend la plus part du temps de profil pour que les visages évitent le face à face à son objectif, afin de garder toute le naturel de la personne.
« On ne prend jamais la même photo que quelqu’un d’autre » Elliott Erwitt
Il est rare dans l’œuvre d'un photographe d'avoir un travail composée en deux parties distinctes, l'une dédiée à la comédie humaine, et l'autre à l'univers canin. Sa fascination pour les chiens débute dès les années 40, alors qu’il arpente appareil au poing les rues d'Hollywood, en adolescent solitaire, il réalise sa toute première image d'un chien en 1946, qu'il prend au ras du sol, publiée la même année pour un reportage sur la mode au sein du « New York Sunday Times Magazine ». Plus tard, lorsqu’il parcourt ses planches-contacts, il réalise que les chiens occupent une place considérable. Ces portraits atypiques sont pour lui une manière originale de parler de la condition humaine, dont le chien par excellence devient miroir.
« Je ne fais pas des photos avec des chiens mais je prends des chiens en photo. » Elliott Erwitt
« Les photos de chiens jouent sur deux terrains. Les chiens sont simplement amusants quand on les prend dans certaines situations, et ont des qualités humaines, je pense que mes photos ont un charme anthropomorphique. En fait elles n’ont rien à voir avec des chiens et j’espère surtout qu’elles traitent de la condition humaine et les gens peuvent y voir ce qu’ils veulent. » Elliott Erwitt
Il dévoile une complicité inattendue avec ses sujets canins et parvient à rendre leur psychologie, teintée d’indépendance, de loyauté, pour lui le chien ne craint pas les situations compromettantes et est en aucun cas corrompu par la société. Chien de luxe ou chien errant, héros de la famille ou bâtard, tous ces dogs sont mis à l’honneur et incarnent le thème universel de l’ami fidèle ou du compagnon au cœur tendre, l’homme, finalement à travers ses clichés devient presque un accessoire.
« Les chiens sont comme les gens, avec des poils en plus. » Elliott Erwitt
La réalité photographiée par Erwitt n’a nul besoin de retouches ou de maquillage, il ne recadre jamais ses photos au tirage, ce que l’on voit, c’est ce qu’il a pris. Il ne met qu’une fraction de seconde pour décider, déclenche et en ressort comme par magie un mouvement hors du temps, donnant l'impression que sa photographie aurait pu être prise à n’importe quel moment de sa carrière. Il travaille pratiquement qu'en noir et blanc.
« J’ai commencé par le noir et blanc, qui permet de mieux maitriser le résultat final et je m’y suis tenu. » Elliott Erwitt
Site Officiel : Elliott Erwitt
« C’est bien de ne pas pouvoir expliquer une photographie, cela signifie qu’elle est visuelle. » Elliott Erwitt
Caroline du Nord, Usa, 1950
Cette photographie que signe Elliott Erwitt en 1950 en Caroline du Nord devient une des plus célèbres de son œuvre, nulle autre image ne dénonce avec autant de simplicité l’horreur du racisme. Un monde divisé en deux, entre white et colored, riches et pauvres, entre un lavabo propre et un autre vieux et sale. Et pourtant c’est la même eau pour tout le monde qui sort de la sinueuse tuyauterie, reliant les deux mondes en un seul. La photo peut être un scénario, comme si il a voulu dévoiler quelque chose, témoigner d'un magistral coup d'œil lors de sa prise de vue insolite, un instant simple, capté en plein vol. Ces fontaines de la ségrégation lorsqu’il les photographie, il ne se pose aucune question, c’est une scène comme tant autres, il n’imagine pas que son cliché par la suite va prendre une telle importance dans la société américaine ainsi que dans le monde entier, par son choc visuel, il symbolise une idée et crée une émotion immédiate. L’image est à de nombreuses reprises afin être publiée dans des ouvrages d'histoire ainsi que des manuels scolaires pour illustrer la question raciale.
« C'est une scène tragique, mais ordinaire, on voyait ce genre de scène partout dans le Sud dans les années 1950. » Elliott Erwitt
New York, Lucienne Matthews and Ellen, 1953
En 1953 à Manhattan avec des rayons de soleil qui éclairent une chambre à coucher, Elliott Erwitt âgé de 25 ans photographie sa première femme, Lucienne Matthews, et son premier enfant, Ellen. C'est très certainement son premier et dernier cliché de chat, si l’on en croit son adoration pour les chiens. Le regard du chat veille sur la mère et la fille, suggère des caresses, secondé par le regard du photographe, curieux et attentif. Il réalise cette photographie en silence, une merveilleuse photo de famille. Deux ans plus tard la photographie est sélectionnée par Edward Steichen pour figurer à l’exposition « The Family of Man ». Un modèle de maternité des temps moderne, la perfection limpide de la composition, la simplicité du regard maternel et ce sourire à peine esquissé d’un amour sans bruit.
Wyoming, Steam-train Press, 1954
Sur un route de l’état du Wyoming, à bord d'une voiture, depuis la lunette arrière, Erwitt déclenche rapidement, en un seul instant, il vient de raconter la route, mythe de la culture américaine, le symbole de la conquête et de sa palpitante histoire, avec une image dans laquelle, une automobile et un train à vapeur roulent en parallèle, deux époques qui voyagent simultanément, celle des « Hobos » de Jack London et celle de la « Beat génération » de Jack Kerouac.
Provence, France, 1955
Cette photographie est à la base destinée à une publicité pour un office de tourisme, ce sont ici les symboles d’une France racontée avec une légèreté qui fait voler les autres clichés en éclats. Une route bordée d’arbres, une bicyclette, une baguette, l’oncle et le neveu, tout deux coiffés du classique béret noir, chacun incliné dans un sens opposé avec la présence d'un caillou au milieu du chemin, la roue l’évitant.
Che Guevara, La Havane, 1964
En 1964, Elliott Erwitt est pendant une semaine l'hôte de Fidel Castro à Cuba, le magazine « Newsweek » l'ayant chargé de photographier le « Lider Maximo », surnom de Castro donné par les médias, en compagnie de Che Guevara, figure de proue de la révolution cubaine.
« Le Che était un peu froid, Fidel nettement plus sympa. » Elliott Erwitt