Manuel Álvarez Bravo (1902-2002) photographe mexicain, né à Mexico dans un quartier situé en plein cœur de la ville, issu d’une famille pauvre mais cultivée, il est le cinquième enfant des huit, d’un grand-père peintre, d’un père professeur qui pratique la photographie ainsi que peinture en amateur et d’une mère, fille de l’artiste Manuel Alvarez Rivas.

  • De 1908 à 1914 il suit un enseignement catholique chez les frères de Marie, il est témoin de la révolution mexicaine qui le marque. En 1915 à la suite de la disparition de son père à l’âge de 13 ans, il quitte l’école pour gagner sa vie en tant que comptable.

  • A partir de 1917, il étudie en cours du soir la littérature et la musique à l’Académie San Carlos. Il reçoit d'un ami, Fernando Ferrai Pérez, un appareil Daguerréotype, aussitôt fasciné, il installe une chambre noire dans un petit espace et commence à apprendre seul, la photographie et la chimie des révélateurs. Tout en exerçant différents métiers, il ne cesse d’approfondir sa technique photographique avec un matériel rudimentaire, tout en s’initiant aux courants et tendances artistiques de son époque.

  • En 1922, il travaille pour Hugo Conway, directeur de la « Mexican Light and Power Company », lui même passionné de photographie. Par son intermédiaire, Manuel prend connaissances des revues comme « The Amateur Photographer », « Camera Craft » et « El Progresso Fotografico ».

  • En 1923, il rencontre le photographe allemand Hugo Brehme qui lui permet d’apprendre l’art photographique et le pousse à acquérir un appareil photo.

  • En 1924, il achète son premier appareil photographique, un Century Master 25, avec lequel il débute son propre travail sous l’influence du Pictorialisme. Il épouse Dolores Martinez de Anda, le couple s’installe à Oaxaca.

  • En 1925, en autodidacte, il obtient le premier prix à un concours local dans la ville de Oaxaca, c’est à partir de ce prix que débute la carrière d'un de pères fondateurs de la photographie mexicaine. Il découvre au travers de revue, des photographies modernes comme celles de Henri Cartier-Bresson et Edward Weston.

  • En 1927, il ouvre une modeste galerie dans son appartement de Mexico où il expose notamment Frida Kahlo et Diego Rivera.

  • En 1928, il participe au premier salon mexicain de la photographie. Il est très vite remarqué par la critique internationale et se lie d’amitié avec de nombreux photographes, comme le couple Edward Weston et Tina Modatti qui le poussent à devenir un vrai photographe. Tina lui donne sa chambre photographique au moment ou elle est expulsée du Mexique à cause de ses sympathies communistes. Sous l’influence du photographe Albert Renger Patzsch, Alvarez délaisse le Pictorialisme et se tourne vers un langage visuel plus rigoureux.

  • En 1930, il découvre les œuvres du photographe français, Eugène Atget. En 1931, il abandonne définitivement son emploi fixe au ministère des Finances pour se consacrer entièrement à la photographie. Il continue son travail de photographie des grands peintres de l'époque, en 1932 il présente sa première exposition à la galerie Posada.

  • En 1933, il fait connaissance du photographe Paul Strand et rencontre Henri Cartier Bresson en 1934, qui devient son ami le plus proche et avec lequel en 1935 il expose dans les salles du Palais des beaux-arts de Mexico. Il réalise par la suite de nombreuses expositions et est nommé professeur de photographie à l' « Académie d'arts de San Carlos » de 1938 à 1940, et rencontre le poète André Breton fasciné par son travail. Son onirisme, sa quête de la magie des choses ne pouvaient que les rendre proches. D’autre part il collabore avec le réalisateur Luis Buñuel.

  • En 1942, le MoMA acquiert neuf de ses œuvres. D’expositions à la constitution des collections du Musée Mexicain de la photographie jusqu’en 1986, il mène un long travail. La gloire advient avec l’exposition au MoMA en 1997 avec la présentation de presque 200 de ses photographies.

  • Manuel Alvarez Bravo s’éteint le 19 octobre 2002, à l’âge de 100 ans, dans le quartier de Coyoacan à Mexico, là où il est né.


Il est l’un des plus grands photographes mexicain, reconnu comme fondateur de la photographie moderne au même titre que Paul Strand, André Kertész, Walker Evans, Henri Cartier-Bresson, et noue des amitiés avec tous les artistes, d’André Breton, Luis Buñuel, et Diego Rivera. Il est un pionnier de la photographie moderne, l’artisan discret qui regarde la vie qui va, la mort qui marche à ses côtés, éternellement liée à elle.

« La mort renaît à nouveau avec chaque nouvelle vie. » Maunel Alvarez-Bravo

Pendant sa longue vie, ses quatre-vingt ans d’activité photographique, il a plus que rempli son devoir de traquer l’impossible, il l’a apprivoisé, l’a fait ruisseler de toutes les pluies bienfaisantes de la poésie. Il ne se laisse pas enfermer dans un labyrinthe de solitude. Il sort au-devant du monde, il aime le monde et plus précisément sa terre mexicaine, sa complexité envoûtante et écartelée entre religion et magie.

Il chemine dans son Mexique comme un photographe du dimanche, car il se considère comme tel. Il s’attarde non pas sur les bruits du monde, sinon rarement lors de grèves sanglantes, mais sur ses murmures. Manuel Alvarez Bravo met l’oreille de ses émotions sur le ventre de la terre mexicaine, et il comprend le sens de la terre.

Réaliste, onirique, documentaire, paysagiste, chercheur de symboles mayas, catholique, formaliste, tout cela est dans ses images. Il est un explorateur et un témoin qui cherche à tout montrer sans rien oublier, depuis la révolution zapatiste.

Il est la figure tutélaire de la photographie mexicaine, celui qui rend compte, de la vie de son peuple entre religion, sorte de magie animiste, culte de la mort, et échappées par le rêve. Il veut connaître l’autre, l’autre humain, Il veut comprendre pourquoi on ne peut séparer le corps des âmes. Avec un credo simple, ses photos de nus sont autant spirituelles que sensuelles, ses gamins, ses paysans, ses objets religieux, sont le quotidien de son pays, vu avec amour et respect.

« On doit être au-delà du langage, la contradiction de la pensée enrichira toujours la part intime des êtres. » Manuel Alvarez Bravo

Malgré quelques expériences en couleurs, il se consacre uniquement au noir et blanc. Il change de type d’appareil, passant de la chambre 6x9 à l’Hasselblad, puis au Leica M4 et M6, mais ce ne sont que des outils occasionnels, qui jamais ne le détournent de sa mission d’aller au cœur du monde afin de réaliser des énigmes en noir et blanc, silencieuses et éloquentes. Il travaille lentement, il semble soupeser le temps dans la balance du moment espéré. Et quand la balance penche, il appuie sur le déclencheur.

« Quand je travaille, c'est par impulsion. Pas dans le sens de la planification de la photographie à l'avance. Je travaille par impulsion. Aucune philosophie. Pas d'idées. Non pas par la tête, mais par les yeux. Finalement inspiration vient. L'instinct est le même que l'inspiration, et finalement il vient ». Manuel Alvarez Bravo

Son travail n’est fait que de reflets et trompe-l’œil, il réduit à de simples masses les volumes de tissus laissant entrevoir des fragments de corps, les décors sont minimalistes à l’harmonie géométrique, les objets ont une signification ambiguë.

Manuel Alvarez Bravo emplit à la fois un discours poétique et une harmonie géométrique. De tout cet ensemble élaboré, domine une impression de mystère. Hanté par le langage, il parle avec ses images et le titre qu’il leur donne. Il ne supporte pas que des photos ne soient pas légendées, car pour lui elles deviennent anonymes. Aussi il choisit méticuleusement ses titres, souvent marqués par le surréalisme, donc à connotation onirique.

« La pire chose qu’on puisse faire est de donner pour titre à une photographie « Sans titre », car dès lors elle ne se différencie pas des autres images. » Alvarez Bravo

Ses nus se réclament de l’accident et de l’absence, son cadrage particulier dans la nudité, accorde à la lumière une identité qui repose sur la différentiation, sans la rencontre du corps, la lumière n’est qu’apparence, ses nus ouvrent de la sorte un accès sensible à l’ontologie, ils offrent au regard de la connaissance un corps désireux d’éclaircie. Le nu est une perspective aztèque, chère à Álvarez Bravo, le corps obscur et rebelle accueille une extase et une violence anonyme venues du tréfonds, le corps et les masses sur-présentes des courbes féminines conditionnent l’existence de la lumière comme vecteur de la manifestation du réel et de l’apparaître.

Il intègre à ses images un processus de séparation et d’union, transcrit par le jeu des ombres et des lumières, par des courbes féminines opposées aux lignes droites de l’architecture, par la sensualité des corps offerts occupant tout l’espace, il coupe par un cadrage serré le corps qui devient un monument de chair, comme de la pierre, comme une statue aztèque ou le sexe et les seins s’offrent.

Il tente d’établir un contact immédiat entre la matière et la forme, à la loi qu’impose la nature sur la matière charnelle. Le monde de Bravo est un monde d’ombres, noires, denses, elles ne sont pas simplement une négation de la lumière, un contrepoint spatial, mais une force en elles-mêmes.

« L’idéal du corps féminin et sa négation, l’harmonie du corps avec l’âme mais aussi sa possible dysharmonie, la présence du corps mais aussi son inévitable absence, son plaisir mais aussi sa douleur. » Manuel Álvarez Bravo

Les éloges de ses amis proches :

« La photographie a bien de la chance de compter un homme doté de votre regard. » Edward Weston

« La poésie profonde et discrète et l'ironie désespérée et raffinée émanent des photographies de Manuel Alvarez Bravo, comme ces particules suspendues dans l'air qui rendent visible un rayon de lumière comme s'il pénétrait une chambre noire. Les particules émotives nous rejoignent par un vol lent et continu, petit à petit, elles nous saturent. » Diego Rivera

« Je perds mon plus vieil ami. Malgré ma gueule d’Anglo-Saxon, ce qu’il y a de Mexicain en moi, c’est à Don Manuel que je le dois. Son œuvre pénètre profondément le terroir Mexicain, la rêverie et la violence, le sang qui bat devant les émotions, je me sens amputé par sa disparition. Je ne suis pas ami avec beaucoup de photographes. Mais avec Manuel, le Mexique est mon deuxième pays. Il y avait une solidarité absolue entre nous. Je suis allé à Juchitan avec lui, et puis à la frontière du Guatemala. Maintenant, il est parti ailleurs. Il ne faut pas oublier son œuvre immense, très présente. Qu’elle vive ! » Henri Cartier-Bresson

« Je ne peux pas précisément dire que je travaille. Prendre des photographies et les développer font partie de ma vie. » Manuel Alvarez Bravo

Site Officiel : Manuel Álvarez Bravo

The Day Dream, 1931