Seydou KeÏta (1921-2001) photographe malien, né à Bamako, fils d’un menuisier, il est le premier de cinq enfant, ne va pas à l'école et suit les pas de son père en tant qu’apprenti.
En 1935 son oncle, de retour d’un séjour au Sénégal, lui offre son premier appareil photo, un Kodak Brownie Flash, immédiatement il se passionne pour la photographie, se forme tout seul, avec l'aide de son voisin instituteur et photographe Mountaga Dembélé et d'un Français installé à Bamako, Pierre Garnier, marchand de photographie local.
En 1948 à Bamako, il installe dans sa cour son studio, en artisan photographe, il se spécialise dans l’art du portrait qu’il réalise sur commande, en lumière naturelle et en noir et blanc, avec une chambre 13 x 18. Ce format lui permet de fournir des tirages par contact de grande qualité optique sans avoir recours à l’agrandisseur, rapidement, il apprend à développer et à tirer lui-même. Très vite ses photographies connaissent un grand succès. Son exigence professionnelle et esthétique l’impose comme le portraitiste le plus apprécié des habitants de Bamako, du Mali et de l’Afrique de l’Ouest.
De 1949 à 1962, Keïta photographie le tout Bamako, dresse des portraits, en couple, en famille, en groupe, entre amis, cadrés en buste trois quart, ou en pieds, qu’il positionne lui-même. Dans son studio, les clients peuvent se faire photographier avec des vêtements chics, chapeaux, accessoires, comme des bijoux, montres et fleurs jusqu’au poste de radio, vélo, scooter, voiture qu’il met à leur disposition. Il utilise des fonds à motifs décoratifs qu’il renouvelle tous les deux ou trois ans, c’est grâce à ces fonds qu’il peut par la suite dater ses clichés. Il travaille essentiellement à la lumière du jour et pour des raisons d’ordre économique ne fait qu’une seule prise de vue pour chaque portrait.
En 1960 lors de l’indépendance du Mali, deux ans plus tard en 1962 il devient photographe officiel pour le gouvernement malien à la « Sûreté nationale », en 1963, il ferme son studio, et prend sa retraite en 1977.
Au début des années 1990, son travail est découvert en Occident, sa première exposition personnelle a lieu en 1994 à Paris à la « Fondation Cartier », suivie par de nombreuses autres dans le monde entier.
Seydou Keïta, autodidacte, porte un regard d'Africain sur les Africains, il est considéré comme le « père » de la photographie africaine.
Il invente un nouveau style dans l’art du portrait, sur des fonds bigarrés, ses clients posent toujours avec un accessoire, véritable attribut les situant dans la société africaine. Portrait entre désir de modernité et respect des traditions, il reprend à son compte les codes classiques du portrait, accessoire, décor et pose se conjuguent harmonieusement aux règles de convenance de la représentation de la société malienne.
Il produit des images avec des attitudes souples et fermes, des mains obligatoirement présentes y compris dans les portraits de buste et le teint de peau toujours doux, sont les éléments qui caractérisent normes de la représentation pour Keïta.
Il porte une importance au fond, avec des tentures africaines, de wax ou de batik, les vêtements traditionnels et les bijoux pour les femmes s’opposent aux accessoires, signes d’un statut social occidentalisé et d’une représentation émancipée.
Ses portraits sont exemptes de toute forme de tricherie, d’excentricité et d’illusion sensorielle, ce qui leur donne un caractère objectif et une dimension intemporelle.
« La technique de la photo est simple, mais ce qui faisait la différence, c’est que je savais trouver la bonne position, je ne me trompais jamais. Le visage à peine tourné, le regard vraiment important, l’emplacement des mains, j’étais capable d’embellir quelqu’un. A la fin, la photo était très belle. C’est à cause de ça que je dis que c’est de l’Art. » Seydou Keïta
Dans son studio, à Bamako-Coura, un quartier très animé où tout le monde se pressent pour se faire photographier, il effectue des portraits à deux, à trois, frères et sœurs, amis, parents et enfants, enfants seuls, avec un bébé. Quelquefois on sourit mais souvent on a l'air sérieux car on n'a pas l'habitude et on est intimidé.
« Il y avait beaucoup d'animation autour de mon studio, il y avait tout le temps du monde, c'était un lieu de rendez-vous et de palabre, je travaillais tout le temps. » Seydou Keïta
Ses mises en scène avec des accessoires, marquent une modernité réelle ou rêvée, il cherche en permanence à embellir ses sujets, à les montrer sous leur meilleur jour, il ne cesse de travailler les poses, les mettant de trois quarts, déplaçant une main, posant un bras sur le dossier d'une chaise, installant les filles par terre, leur robe déployée autour d'elle en corolle.
Il constituent avec ses nombreux portraits, un témoignage de la société malienne de la fin des années 1940 à 1977. Intuitivement il invente ou réinvente l’art du portrait à travers la recherche d’une précision extrême. Une grâce, une élégance transparaît de toutes ses images. Sa maîtrise de la lumière, du sujet, du cadrage ramène à l’essentiel. Tout ce qui figure dans ses images, participe à la beauté naturelle. Inventif et très moderne il s’inscrit dans la lignée des grands portraitistes comme Richard Avedon. A l’époque du multiculturalisme, son travail prend tout naturellement place dans l’histoire mondiale de la photographie.
« J'ai tellement aimé la photographie. » Seydou Keita
Deux Jeunes Femmes, Bamako, 1949
Dans son petit studio de Bamako, Seydou Keïta dresse le portrait de deux maliennes, vêtues de robes que l'on nomme dyakaase, terme dérivé de la ville de Dakar, capitale du Sénégal, pays limitrophe, autour de leur cou, elles portent des rosettes en or ainsi que des colliers de perles, plus qu'une simple photographie dans laquelle on peut se contenter d'admirer le portrait en surface, c'est aussi une multitude d'éléments qu'il cherche à valoriser.
Velosolex, Bamako, 1954
Visage de Bamako, 1956
Une jeune femme africaine pose avec un poste radio cadré au premier plan, occupant un bon quart de l’image, lui donnant une importance de ce qui est rare au Mali, son coude et son bras repose sur le bois de la radio, sur un fond décoratif bien élaboré à l'avance, une toile ornée de motifs végétaux. La femme est couverte de bijoux qui ornent ses oreilles, ses poignets et son cou, vêtue d'une robe à volant et à gros pois découvrant une nuque habillée d’un collier avec un pendentif d’un buste vu de profil. Le cadrage de Keïta est légèrement désaxé, augmentant la dynamique de l’image et la vitalité du portrait, c’est une femme rayonnante qu’il cherche à restituer.