Erwin Blumenfeld (1897-1969) photographe américain d'origine allemande né à Berlin. Il se passionne et débute la photographie dès l’âge de 10 ans avec son premier appareil.

    • Pendant la Première Guerre mondiale, il est ambulancier à la frontière Française, il perd son frère, et songe alors à déserter, sa mère avertissant les autorités, par manques de preuve, il n'est pas exécuté et est renvoyé sur le front.

    • En 1923, il s'installe aux Pays-Bas, s'initie en autodidacte à la photographie, au dessin et au collage, il devient ami avec le peintre George Grosz et le peintre photographe Paul Citroen dont il épouse la cousine Lena Citroen avec laquelle il a une fille, Lisette, période ou il abandonne un temps sa passion pour les arts, à la recherche un métier plus lucratif, ouvre un magasin de maroquinerie, « Fox Leather Company », en l'honneur de la 20th Century Fox, producteur de la star Charlie Chaplin qu'il admire. Encouragé par sa femme, qui pose parfois pour lui, il propose à ses clients des portraits photographiques, le couple ayant deux fils, Henry et Yorick , déménage leur boutique à Amsterdam, dans un bâtiment où Erwin découvre une chambre noire délaissée dans la boutique.

    • Aux débuts des années 30, il commence une carrière dans la photographie professionnelle et participe au mouvement Dada sous le pseudonyme de Jan Bloomfield.

    • L'accession de Hitler au pouvoir provoque la chute de son commerce de maroquinerie et par désœuvrement, il commence à faire poser ses belles clientes devant l'objectif. Avec la crise économique et le hasard des rencontres et surtout celle de Geneviève, fille du peintre français Georges Rouault, séduite par ses clichés, elle lui propose de les exposer dans la salle d'attente de son cabinet de dentiste parisien, il quitte alors les Pays-Bas pour tenter sa chance en France où l'essor de la presse illustrée donne des ailes aux photographes.

    • En 1936, il arrive à Paris, sans passeport, sans argent et sans famille, vit dans un hôtel insalubre dans le quartier de Montparnasse, rue d’Odessa, tirant gratuitement le portrait du Tout-Paris pour se construire une réputation, il réalise celui de Georges Rouault et d'Henri Matisse.

    • En 1937 il réalise ses premières photos publicitaires et ouvre un studio 9 rue Delambre, tout en continuant de mener parallèlement son activité de portraitiste est son travail personnel sur le nu. Il décroche sa première couverture dans « Votre Beauté » et ses photographies sont publiées dans « Verve ».

    • En 1938, il obtient sa première publication dans le « Vogue France » grâce à son ami photographe Cecil Beaton, contrat qui permet à sa femme et ses enfants de le rejoindre à Paris. Il commence à travailler à temps complet pour les magazines « Verve » et « Vogue France », embauché par le rédacteur en chef, Michel de Brunhoff. Il réalise ses premières expositions, à la galerie Billiet à Paris et participe à l'exposition collective Photography, 1839-1937 au Museum of Modern Art de New York.

    • En 1939, au début de la Seconde Guerre mondiale, il se réfugie avec sa famille à Vézelay dans Yonne, en essayant à de nombreuses reprises de quitter le pays. En 1940 de part son origine allemande il est interné, dans le camp de Montbard-Touillon Marmagne en Côte d'Or. En 1941, il parvient à s'enfuir avec sa famille pour les Etats Unis.

    • De 1941 à 1943, à New York, dans un premier temps, il partage un studio avec le photographe hongrois, Martin Munkacsi, et reprend sa collaboration avec le « Harper's Bazaar ».

    • En 1943 il ouvre son propre atelier au 222 Central Park South, puis de 1944 à 1955 collabore avec le magazine Vogue, pour lequel il réalise de nombreuses couvertures dont celle de « L'Œil de biche », qui fait la « Une » de la revue en 1950. Il est alors le photographe le plus demandé à l’époque, ses images sont présentes dans toute la presse, de « Look » à « Life » de « Coronet » au « Cosmopolitan ».

    • A partir de 1955, il commence son autobiographie « Jadis et Daguerre », qu'il termine l'année de sa mort à Rome en 1969.


Dès 1936, à Paris, il ne tarde pas à recevoir des commandes photographiques de portraits, de mode et publicitaires, lui permettant de vivre et de se consacrer essentiellement aux variations d'un seul et unique thème, la femme. Il développe un répertoire de formes particulièrement original, le corps féminin devient son axe principal, cherchant à faire apparaître la nature inconnue et cachée de ses sujets. L’objet de sa quête n’est pas le réalisme, mais le mystère de la réalité. Il est déjà depuis un certain temps en contact avec les magazines parisiens alors qu’il vit encore à Amsterdam. Ses publications en France de la fin des années 1930 rehaussent son image de photographe moderniste et attirent l’attention du célèbre photographe britannique Cecil Beaton qui lui rend visite dans son atelier en 1938 et l’aide à signer son premier contrat avec l’édition française de Vogue. Par la suite, il part pour la première fois à New York et en revient avec un nouveau contrat de correspondant de mode pour Harper’s Bazaar à Paris.

« C’est par la découverte du pouvoir magique de la chimie, des jeux de l’ombre et de la lumière et de l’opposition à double tranchant entre positif et négatif qu’a vraiment commencé ma vie. J’ai débuté avec un bon œil de photographe. Pour mettre immédiatement à l’épreuve ce petit appareil et m’assurer qu’il était véritablement capable d’enregistrer tout ce qu’on plaçait devant sa lentille. » Erwin Blumenfeld

L’éditeur Tériade ayant quitté la revue surréaliste « Minotaure » pour le luxueux magazine trimestriel « Verve » est de suite impressionné par son travail, et retient alors plusieurs de ses photographie, qu’il s’empresse de publier dans son deuxième numéro, des images qui voisinent avec celle de Man Ray et de Brassai. Cette collaboration au sein du magazine, lui permet d’obtenir sa première reconnaissance dans le monde de l’art. D’autres photographies sont publiées dans « Photographie », « Lilliput » et il vend une cinquantaine de ses clichés au magazine américain « Coronet ».

Solarisation, combinaison d'images positives et négatives, photomontage, « sandwich » de diapositives couleur, fragmentation opérée au moyen de miroirs, séchage du négatif humide au réfrigérateur pour obtenir une cristallisation. Blumenfeld sait mettre à profit ses expérimentations de « dadaïste futuriste » pour la photo de mode. Du maquillage des modèles qu'il réalise souvent lui-même aux manipulations diverses dans l'obscurité de son laboratoire, il n'hésite jamais à jouer avec les couleurs qu'il sature, décompose, filtre, colle ton sur ton.

Les photomontages, les distorsions, la mode, le portrait et le nu font partie de ses sujets de prédilection. Ses photographies, qui jouent sur de forts contrastes, ont un aspect dramatique, contrebalancé par sa malice et son humour. Il affectionne les cadrages serrés ainsi que les éclairages permettant des effets impressionnants. Contemporain de Man Ray, il utilise lui aussi la technique de la solarisation, qui consiste à inverser les valeurs d’ombre et de lumière.

Il révolutionne la mode, par son vertigineux photomontage du mannequin de Lisa Fonssagrives sur la tour Eiffel à sa fragmentation cubiste d'un visage à plusieurs bouches pour un rouge à lèvres, de son Œil de biche où il recadre l'une de ses photos en noir et blanc sur l'œil gauche, la bouche et le grain de beauté qu’il rehausse de couleur.

Il est un des pionniers de la couleur en photographie, ses clichés sont d’une élégance raffinée et distillent un érotisme subtil. La femme est à la fois sensuelle et distante, stylisée à l'extrême, résumée à des détails frappants, les sourcils sont en accent circonflexe, les lèvres sont d’un rouge extrême. Les femmes sont tout à la fois lointaines et irréelles, sensuelles, la femme de Blumenfeld est une silhouette floue, un songe, un fantasme.La couleur, il la traite non comme un accessoire décoratif, mais comme un sujet central, il joue avec les tons, place ses modèles sur de grands panneaux colorés dans son studio, en alignant toutes les couleurs, obtenant les dégradés d’un arc-en-ciel.

« Je me souviens, de l’impression proprement catastrophique que j’eus en découvrant, peu avant l’Exposition universelle de New York, en 1939, les premières reproductions imprimées à partir de vues Kodachrome. À l’évidence, les photographes s’étaient acharnés à prouver qu’ils étaient capables de fixer toutes les couleurs à la fois dans une seule et même vue, mais le principal secret de Kodachrome, c’est qu’il ne faut pas travailler avec des couleurs, mais avec des lumières colorées. » Erwin Blumenfeld

Refusant de montrer la réalité telle qu’elle est, il met en scène ses modèles sous les spots du studio des visages qui semblent être pris à la fois de face et de profil, il utilise des filtres de toutes sortes, des dédoublements et des miroirs, des jeux sur les opposés, des cadrages obliques ou décentrés, allant jusqu'à solariser, il sait mettre en valeur une robe, un maquillage, un chapeau, un bijoux.Sans succomber à la photographie classique de l’époque, surprendre, c’est l’effet qu’il emprunte à ses recherches dadaïstes et qu’il transpose dans ses images, il montre un nu insistant sur les lignes graphiques, le représente tel un objet, faire de l’image, créer des images pour transmettre des émotions, est son but, il évacue l’idée d’une pratique essentiellement photographique. Il propose un regard sur la photographie contemporaine le plus large possible avec aucune division profonde entre le nu, le reportage, la photographie scientifique, la photographie abstraite et la photographie de mode.

Fasciné par le corps féminin, il en fait le sujet principal de ses photographies, il crée un style propre à lui. Ses femmes n’ont pourtant pas la perfection artificielle des modèles d’aujourd’hui, images de l’élégance au service de la publicité, elles existent aussi par leurs imperfections qui affleurent en surface de la photographie, un grain de peau irrégulier, l’ombre d’un duvet, une ridule, de nos jours rendues invisibles sur les images féminines.

« Je me vouais résolument, virilement, aux fétiches de ma vie : yeux, cheveux, seins, bouches. » Erwin Blumenfeld

Blumenfeld et le nu, ses premiers nus, très prosaïques, datent de sa période néerlandaise, mais ce thème ne devient une passion que lors de ses années parisiennes, à partir de 1936, avec la découverte des œuvres des photographes d’avant-garde français. Son admiration pour le travail de Man Ray et l’influence de celui-ci sont particulièrement perceptibles dans ses photographies de nu. Dans ses images, les corps des femmes sont des surfaces sur lesquelles il projette son imagination d’artiste en les découpant, en les solarisant et en les tirant vers l’abstraction par le jeu des ombres et des lumières. À partir des années 1930, les visages de ses nus sont rarement visibles et les femmes demeurent des êtres assez mystérieux.

« J’avais en secret à la fois le désir de voir des femmes nues et celui d’avoir un atelier d’artiste, ce n’est que bien plus tard que le mot studio me fit battre le cœur. » Erwin Blumenfeld

« Pour moi, un photographe amateur est un passionné, un esprit libre qui photographie ce qu’il aime et aime ce qu’il photographie. » Erwin Blumenfeld

Site Officiel : Erwin Blumenfeld

Erwin Blumenfeld, self portrait

Lisette, Paris, 1937

Paris, 1938

Nu dans le miroir, Paris, 1938

1938, un modèle nu, le reflet d'un torse dans un miroir, les compostions faisant intervenir un miroir sont récurrentes chez Blumenfeld, en une image il donne une double vision de face et de profil.

« Maman m'avait appris que l’œil est le miroir de l’âme, entre temps j'ai appris le contraire, je reste persuadé que derrière la transparence du verre, se joue une vie d'un autre monde. Nous sommes des doubles, sans miroir, jamais je ne serais un homme, les narquois appellent cela le complexe de Narcisse, pas d'art sans miroir, pas de musique sans écho. » Erwin Blumenfeld

Erwin Blumenfeld, self portrait, New York, 1945

Lisa Fonssagrives, Paris - Vogue (Robe Lucien Lelong), 1939

En octobre 1938, le magazine « Vogue » consacre un portfolio aux photographies de mode de Blumenfeld, d’autres paraissent en février et mars 1939, le numéro de mai est consacré au cinquantenaire de la tour Eiffel, c’est là que rentre en scène Lisa Fonssagrives, déployant sa large robe avec charme et légèreté, dressée sur la pointe des pieds à l’extrême bord, semblant planer au dessus du vide, celle qui est l'un des premiers top-modèle, faisant danser avec une joyeuse insouciance la robe de Lucien Lelong sur une poutrelle, il associe pour la première fois la haute couture et l’architecture dans une même image.

Nude and Colors, New York, 1944

La Chaise Coca Cola, 1944

En 1944 dans son studio photographique, Erwin Blumenfeld dans un but publicitaire, compose une séries d'images pour la firme Coca-Cola qui équipe les bars de chaises légères, faites de tiges de fer torsadées.

Sa photographie oppose le dessin net de la chaise moderne aux contours légers du nu féminin, le noir de l'objet à la blancheur du corps son délié ludique à la rondeur d'une forme courbée qui se fond presque dans la clarté de l'arrière-plan. Image qui illustre parfaitement le soin qu'il apporte à l'éclairage afin d'obtenir des effets graphiques.

La Vierge de New York, 1944

Le passage à la couleur que Blumenfeld découvre dès son arrivée à New York, l'oblige à repenser composition et éclairage, confiant ses tirages à des laboratoires extérieurs, prise de vue, pose, éclairage, cadrage, effets comme dans ce cliché, ou il installe une lumière rose orangé, produisant dans son image un aspect irréel, en s'inspirant des films expressionnistes.

Lega, New York, 1945

Croix Rouge, New York, 1945

Un modèle et une croix rouge, la superposition de la mode et de l’actualité, l’image fait la Une du Vogue magazine le 15 mars 1945 à laquelle est destinée deux titres, en haut de la couverture « Mode de printemps » et en bas « Apporter votre contribution à la Croix-Rouge ». La libération des camps et l’aide aux prisonniers constituent l’arrière plan de cet appel humanitaire ou Erwin Blumenfeld détourne aussi bien les signes qu'il en brouille ceux de la mode.

Nude with Light & Shadow, New York, 1945

Nude with Light & Shadow II, New York, 1945

New York, 1946

Dans ce cliché, il braque son objectif afin de créer une illusion de bonheur, celle d'une femme heureuse dans la fraicheur d'une soirée new-yorkaise sur un balcon, les lumières des gratte ciel qui se profilent derrière, sont celles d'une autre photographie qu'il combine ensemble en une seule image composée de deux motifs, l'un graphiquement irréel et l'autre totalement réel.

Trois Grâces, New York, 1947

Blumenfeld transforme son modèle, Leslie Petersen dans une triple variation inspirée de la Venus de Sandro Botticelli, une photographie jamais publiée, à la base elle doit montrer une robe de soirée créée par Cadwallader, l’image est composée encore une fois, de deux clichés, les deux motifs de droite sont semblables, ne présentant pas la même couleur et netteté, celui de gauche est totalement différent, les couleurs sont poussées à l’extrême, l’index et le majeur de la main étant plus écartés en adoptant une composition géométrique ou il allie rigueur et douceur, le sujet démultiplié occupant la verticale du cadre.

Nude, New York City, 1950

L’œil de Biche Vogue, 1950

Rue de la Montagne St Geneviève, Paris, 1950

Nude with Light & Shadow, New York, 1952

O, New York, 1952

S'inspirant du sonnet des voyelles de Rimbaud, Erwin Blumenfeld a l'idée de lui consacrer une série photographique, il prend son assistante en tant que modèle. Ce thème lui permet de s'attacher à l'élément érotique par excellence, celui des lèvres, maquillées, brillantes, arrondies et tendues, elles sont plus que l'organe d’où s’échappe la parole, elles se confondent avec le son qu'elles profèrent.

Décolleté, New York, 1952

Vogue, April 1, 1953

Vogue, 1954

Marlène Dietrich, New York, 1954

Originaire d'Allemagne, Marlene Dietrich partage avec le photographe la même culture berlinoise, cette rencontre à New York ou il l’amène en 1954, dans son studio est l'occasion de parler le même dialecte, mais aussi à travers de cette image de souligner son caractère glamour, il la découpe avec un léger halo en une fine silhouette en donnant à son manteau et sa robe des reflets soyeux, Marlène avec un regard hautain et langoureux recherche et fixe l'objectif, s'impose à lui avec charme et douceur.

Grace Kelly, New York, 1955

New York, 1955, l’actrice Grace Kelly est photographiée par Erwin Blumenfeld, l’année ou elle remporte l'Oscar de la meilleure actrice pour « Une fille de la province » et tourne « La Main au collet » d’Alfred Hitchcock. Ce portrait est issu d’une session photographique répondant à une commande pour la couverture du magazine « Cosmopolitan », séance réalisée dans le studio New-yorkais du photographe, qui la met en scène avec un cadre doré, l’actrice occupe la diagonale du cadre et couvre la partie inférieure gauche de l’image, formant un triangle à l’intérieur duquel bras et tête dessinent un second triangle légèrement appuyé sur le premier.

Empire State Building, New York, 1955

Nude behind screen, New York, 1955

Chanteuse en Bleu, New York, 1955