Vivian Maier (1926-2009) photographe américaine, née à New York, d’une mère française Marie Jaussaud et d’un père Charles Maier, employé dans une droguerie, issu d’une famille d’émigrants autrichiens.

  • En 1929 ses parents se séparent, son frère ainé, Carl est confié à ses grands-parents paternels, et Vivian reste avec sa mère, trouvant refuge auprès d’une amie, une photographe professionnelle reconnue, Jeanne Bertrand, résidant dans le Bronx.

  • En 1933, sa mère rentre en France avec elle, rejoignant les Hautes-Alpes, d’où sa famille est originaire, et s’installant dans un premier temps, à Saint-Julien-en-Champsaur, puis à Saint-Bonnet-en-Champsaur, elle apprend le français.

  • Le 1er août 1938, âgée de douze ans, elles retournent aux États-Unis, embarquant à bord du Normandie, qui relie Le Havre à New York. Elle travaille en tant que vendeuse.

  • Après la Seconde Guerre mondiale, en 1950, elle se rend de nouveau en France pour effectuer la vente aux enchères d'une propriété qui lui a été léguée par sa grand-tante. Sur place, elle parcoure la région, rend visite aux membres de sa famille et par tous les temps réalise de nombreuses photographies avec ses deux appareils en bandoulière.

  • Le 16 avril 1951, elle repart pour New York et entre au service d’une famille de Southampton comme nourrice, restant à leurs cotés durant cinq ans, en 1952, elle s’achète son premier Rolleiflex.

  • En 1956, à trente ans, elle s’établit définitivement à Chicago, où elle continue son activité de gouvernante pour enfants, engagée dans un premier temps chez Nancy et Avron Gensburg, à Highland Park, s'occupant de leurs trois garçons John, Lane et Matthew, endroit ou elle dispose d’une salle de bain privée qui lui sert de chambre noire dans laquelle elle développe ses négatifs et ses films. Durant ses temps libres, elle donne libre cours à sa passion pour la photographie, sillonne les rues pour y photographier la vie quotidienne des habitants, des enfants, des travailleurs, des gens de la bonne société, des malheureux, des aveugles mendiants ou des marginaux.

  • De 1959 à 1960, en accord avec les Gensburg, elle entreprend un voyage autour du monde pendant six mois, se rend au Canada, en Égypte, au Yémen, en Italie, à Bangkok et effectue un dernier séjour dans le Champsaur qu’elle sillonne à vélo, prenant de nouvelles photographies.

  • En 1967, après onze ans de loyaux services au sein des Gensburg, les trois enfants devenus grands, n’ayant plus besoin d’être élevés, elle les quitte et poursuit son activité de famille en famille. A cette époque, elle décide de passer à la photographie couleur en utilisant différents appareils photographiques, dont un Kodak et un Leica, à ce moment précis elle ne développe plus ses négatifs, ni effectue de tirages.

  • En 1975, suite à la disparition de sa mère, avec laquelle elle n'a beaucoup de relations, elle se retrouve seule mais reste toujours animée par sa passion photographique en continuant à quadriller la rue quotidiennement. En 1977, son frère Carl décède en hôpital psychiatrique.

  • En 1987, Zalman Usiskin, professeur de mathématiques à l’université de Chicago, et son épouse Karen l'interrogent avant de la prendre comme gouvernante, elle leur répond, « Je dois vous dire que je viens avec ma vie, et ma vie est dans des cartons ». Durant un an, elle entrepose dans un garde-meuble plus de 200 cartons, représentant ses trente années de photographies, contenant des négatifs, du matériel photographique, des coupures de journaux et de magazines soigneusement rangés dans des classeurs auxquels elle attache beaucoup d’importance.

  • De 1989 à 1993, engagée par Frederico Bayleander, elle prend soin de sa fille Chiara, une adolescente handicapée mentale, qui est pour elle une compagne enjouée et dynamique, elle stocke de nouveau ses nombreux cartons dans l’entresol de la maison de son employeur.

  • A la fin des années 1990, elle connaît de sérieuses difficultés financières, vivant dans un petit appartement en banlieue de Chicago, à Cicero, les frères Gensburg la retrouvent et l’installent dans un appartement agréable à Rogers Park, dans l’immeuble 7755 - 57, situé à N Scheridan Road, en continuant de veiller sur elle qui passe son temps à arpenter le parc Rogers Beach Park, au bord du lac Michigan.

  • En 2007, sans que personne autour d'elle ne le sachent, les frais de stockage de ses cartons au garde-meuble étant impayés, ses appareils de photographie, ses négatifs, ses bobines de films sont mis à la vente aux enchères, un jeune agent immobilier de vingt cinq ans, John Maloof, à la recherche de photographies pour illustrer un livre d'histoire locale, se porte acquéreur d’un lot, incluant une grande quantité de tirages, de films et de négatifs, sans connaitre le nom de la photographe.

  • En décembre 2008, elle chute sur une plaque de verglas, se blesse à la tête et est emmenée d’urgence à l’hôpital, les Gensburg la font entrer dans une maison de retraite médicalisée ou elle s’éteint quelques mois plus tard, le 21 avril 2009.

  • En 2009, John Maloof découvre dans l'un des cartons, sur une enveloppe le nom de Vivian Maier, il lance une recherche sur internet, et suite à un avis d'obsèques d'une femme du même nom, disparue quelques jours plus tôt, il contacte les auteurs de la nécrologie, les trois frères Gensburg, à compter de ce jour, il va reconstituer sa vie, élaborant sa biographie. Et parallèlement, il trie, classe et numérise son travail photographique.

  • En janvier 2011, John Maloof organise une première exposition au Chicago Center Cultural, intitulée « Finding Vivian Maier », qui rencontre un succès immédiat avec le public. En 2013, il coproduit un documentaire, « Finding Vivian Maier », dans lequel est relaté les conditions de sa découverte, ainsi que des interviews avec ceux ayant connu la photographe.


Parcours atypique et destin exceptionnel de cette femme, espionne de son temps, qui exerce le métier de nourrice toute sa vie et pratique la photographie de rue en tant qu'amatrice, qui devient à titre posthume, l'une des plus grandes photographes du 20eme siècle. C’est au cœur de la société américaine, en étant gouvernante d’enfants, qu'elle observe méticuleusement le tissu urbain, reflétant les grandes mutations sociales et politiques de son pays, c’est le temps du rêve américain et de la modernité surexposée dont l’envers du décor constitue l’essence même de son travail. Sans jamais dévoilé sa production artistique de son vivant, prolifique et talentueuse ne se séparant jamais de son appareil photographique, elle accumule plus de 150 000 clichés, des images principalement de personnes, d'enfants, d’architectures, d'autoportraits ainsi que des films.

Découverte en 2007, suite à l'achat aux enchères d'une partie de son travail par John Maloof, ce dernier ainsi que des collectionneurs américains la propulse sur le devant de la scène photographique, en rendant son œuvre publique, ses photographies aujourd'hui sont exposées en Amérique du Nord, en Asie et en Europe.

La rue est pour elle un endroit propice à l'observation, car c'est là que tout se passe, elle privilégie les quartiers ouvriers des villes ou elle réside, d'abord New York, puis ensuite Chicago. Elle quadrille, arpente infatigablement, de long en large les rues, s'aventure dans une géographie humaine en constante circulation, dont le tissu urbain est formé par des individus anonymes, qui ne font que de se suivre ou de se croiser tout azimuts. Dans ce théâtre de l'ordinaire, chacun joue son rôle à son insu et en devient le protagoniste.

Elle regarde la vie dans cet énorme réservoir qui n'est jamais le même, les scènes qu'elle photographie sont des anecdotes qui passent inaperçues, chacune de ses images se situe à l'endroit ou l'ordinaire défaille, ou le réel se dérobe et devient extra-ordinaire. Elle aime la figure humaine, se rapproche au plus près pour en saisir les détails, leurs attitudes, leurs postures, leurs gestes, de ceux qui attendent, de ceux qui regardent, de ceux qui s'endorment. Elle dresse un inventaire de cette rue, relève les indices comme si ces êtres sont les témoin de quelque chose qui va survenir, de quelque chose d'imminent. Elle s’arrête sur les visages, s'en approche et les photographie, comme si elle échangeais avec son objectif quelques mots avec eux, ces visages parlent de pauvreté, de travail harassant, de misère et de sombres destins, elle photographie ceux que l'on ne regarde pas, ceux qui ne figure nulle part.

Ses autoportraits jalonnent son parcours photographique et traversent son œuvre de part en part, elle a recours à différentes formes et typologies visuelles pour signifier sa présence dans l'image, comme le dessin d'une ombre, une silhouette projetée, un reflet, une réflexion, ou encore une image dans une image, qui font la richesse et la singularité de son langage photographique. Elle décline un vocabulaire selon les situations qu'elle rencontre et joue avec les éléments pour affirmer sa présence à un instant, à un endroit précis, elle se fait face à elle même d'une manière ou d'une autre, auto-représentation ou autoportrait, allusion ou déclaration d'intention, son but est qu'elle invite le spectateur dans ses images à un jeu de piste dont la finalité reste toujours une énigme.

L'enfance est pour elle, un endroit ou le réel se défile, se transfigure, joue des tours et raconte des histoires, c'est en côtoyant pendant toute sa vie en tant que nourrice qu'elle sait regarder ce monde avec cette aptitude propre aux enfants, c'est comme si le visible est en soi une découverte toujours renouvelée, un jeu sans règle ou tout est possible pour son appareil. Elle prend part à la vie des enfants, attentive au moindre détail qui en dise long, et enregistre tout ce qui habite un enfant, un visage, une émotion, une expression, une mimiques.

Au début des années 1960, installée dans la famille Gensburg, un changement se produit dans son langage photographique, son rapport au temps se modifie, elle s’intéresse au cinéma qui prend le pas dans son travail, elle installe le mouvement dans ses images, elle joue avec les temporalités en créant des séquences cinétiques, transpose les spécificités du langage cinématographique dans celui de ses images. Elle a recours à la fragmentation et à la répétition pour simuler le mouvement et à la simultanéité pour indiquer le déplacement et la durée. Elle crée de véritables séquences filmiques avec les douze vues de son appareil Rolleiflex, générant l'idée d'un développement linéaire de l'espace-temps propre au cinéma. Cette période est fondamentale dans l’évolution de son œuvre, marquant un lieu de passage entre deux langages afin d’établir une correspondance dans son écriture visuelle.

Après cet intervalle cinétique, elle aborde de plein pied le langage cinématographique, elle parcoure les rues, équipée de sa Caméra Super-8 et son Rolleiflex, et filme ce qui est en train de se passer devant elle, ce qui lui échappe à l’œil nu, filme de manière frontale, sans artifice ni montage, la réalité qui se présente à elle. Ses films ne restituent pas seulement ce qu'elle voit, ils informent aussi sur sa manière de regarder, ils matérialisent et rendent visible sa vision, le déplacement de son regard, le cheminement dans l'espace, prenant forme d'un documentaire expérimental. Le film est pour elle un outil de vision qui précède l'image photographique.

Si son travail en noir et blanc est profondément silencieux, elle aborde la photographie couleur comme un espace de sonorités, un lieu ou la vision passe par l'écoute. Cette notion musicale de la couleur répond au tempo de l'espace urbain, à ce blues qui court les rues de Chicago, en particulier les quartiers populaires qu'elle fréquente, elle fait vibrer les tons avec une simple juxtaposition, et crée avec souplesse et légèreté ce tempo, un rythme qui jaillit dans l'image. Derrière son jeu chromatique d'une extrême richesse, la réalité semble se dissoudre, comme si le véritable protagoniste de son image n'est plus que la couleur.Pour effectuer ses vues tout en couleurs, elle utilise un Leica 35mm qui diffère littéralement du format carré de son Rolleiflex.

New York, 5 mai 1955

New York, 24 septembre 1959

Chicago, 1961

Autoportrait, 1971