Gordon Parks (1912-2006) photographe américain, né Gordon Roger Alexander Buchannan Parks, à Fort Scott dans l’état du Kansas. Il est le dernier d'une famille de quinze enfants et perd sa mère à l'âge de 16 ans. Il emménage dans le Minnesota, chez l'une de ses sœurs. Après avoir abandonné ses études secondaires, il exerce divers métiers, dont celui de pianiste, de garçon de café. En 1929, il est employé aux « Gentlemen’s Club de Minneapolis », où il profite de l’accès à la bibliothèque pour parfaire sa culture littéraire.
En 1937, âgé de 25 ans, il s’installe à Chicago en étant serveur dans le train de la « North Coast Limited » qui relie les villes de Chicago à Seattle, lors d'un trajet, il récupère sur une banquette des exemplaires des magazines « Life » et « Vogue », oubliés par des passagers, il y découvre les reportages photographiques de l’époque, lui donnant de suite envie de faire la même chose, celle de photographier.
En 1938, il s’achète son premier appareil photo pour la somme de 12 dollars, un Voigtländer Brillant, appareil bon marché en Bakélite à la mise au point aléatoire, mais doté d’une excellente optique. Lorsqu’il fait développer son premier film, la personne du labo est si enthousiaste qu’il lui communique quelques adresses afin de pouvoir démarcher et vendre ses photos. Il débute sa carrière en travaillant en freelance en tant que photographe de mode.
En 1942, il déménage à Washington, sur place, il est choqué par la ségrégation raciale qui règne dans la capitale, en réalisant combien son appareil photo peut être une arme contre l’injustice, il effectue son premier cliché professionnel, celui d’une femme de ménage, Ella Watson, qui devient l'une de ses plus célèbres images. La même année, résolu définitivement à devenir photographe, il frappe à la porte de Roy Stryker, qui dirige la section historique de la « Farm Security Administration », organisme mis en place par le président Roosevelt, dans le cadre du New Deal, consistant à effectuer l’état des lieux des conditions de vie et de travail des Américains dans les zones rurales, Roy Stryker l’engage au sein de son équipe, en étant le premier photographe noir à rejoindre la FSA. Au sein du groupe, il côtoie les photographes Walker Evans et Dorothea Lange et réalise son premier photoreportage.
En 1944, il habite à Harlem et travaille comme photographe de mode pour les magazines, « Vogue » et « Glamour ». Il se fait une spécialité de photographier ses modèles en mouvement, quand la mode est à la photo posée. Inlassablement, il photographie de belles et capricieuses jeunes femmes, tour à tour femmes fatales ou ingénues, en voilettes et fourrures, en chapeaux et robes longues, de face ou de trois quarts, les yeux baissés ou fixant l’objectif, occupées à se repoudrer ou faisant mine de se retourner dans la rue, elles s’appellent Suzy Parker, Dorian Leigh, Sophia Malgot, ou encore Janine Klein. Parallèlement, il continue de réaliser ses travaux personnels et écrit deux ouvrages techniques sur la photographie.
En 1948, fatigué par les clichés de mode, il décide de tenter sa chance auprès de Wilson Hicks, éditeur en charge du pôle photos pour la revue « Life », il lui présente son porte-folio, Hicks lui offre 500 dollars, plus les frais, en échange d’un reportage sur les gangs d’Harlem. Il part rejoindre le quartier et effectue de nombreuses images dont le portrait de Leonard « Red » Jackson, 17 ans, chef du gang des Midtowners. La publication de son reportage, lui vaut un engagement définitif au sein du journal, il devient une fois de plus le premier photographe noir à incorporer le magazine « Life ». Il y reste vingt ans, sans jamais cesser de faire des photos de mode, une robe Dior devient dans son objectif, du même rouge que le sang de l’homme assassiné qu’il a photographié un matin à Harlem.
En 1961, la publication par « Life » de sa photo d'un pauvre garçon brésilien dénommé « Flavio da Silva » entraîne 30 000 dollars de dons, du jamais vu, qui va sauver le jeune asthmatique et lui permettre d'acheter une maison pour toute sa famille.
En 1969, sur les conseils du réalisateur John Cassavetes, il devient encore le premier noir à écrire et réaliser un film produit par un studio hollywoodien. Pionnier du cinéma africain-américain, « The Learning Tree » est son premier film en 1969, basé sur son roman autobiographique où le jeune héros lutte avec la peur et le racisme. C'est en 1971 avec « Shaft » les nuits rouges de Harlem qu'il accède à la reconnaissance cinématographique, en y décrivant l’image d’un héros noir, détective solitaire et séducteur vivant à Harlem, polard où les détectives et les gangsters sont aussi bien noirs que blancs. Il lance la mode de la « blacksploitation », films d'action, de séries B à succès dans lesquels les noirs n'ont pas forcément le mauvais rôle, mais il n'oublie jamais de révéler les tensions raciales et politiques dans les ghettos urbains. Par la suite il tourne une série de « Shafts » et « The Super Cops » en 1974, « Aaron Loves Angela » en 1975 et « Leadbelly » en 1976.
Gordon Parks, photographe polyvalent, aime faire les choses bien, il s’intéresse aux guerres des gangs comme aux boulevards parisiens, aux modes extravagantes comme aux rues sales de Rio, à la politique, la pauvreté et surtout la ségrégation.
Harlem, il ne cesse d’y revenir, autant par la photographie que par le cinéma, confrontant l’Amérique à ses contradictions. L’appareil photo est mon arme de prédilection, dit-il, et à un militant des Black Panthers qui le prend à partie, il lui répond « tu portes un colt. 45 automatique, moi une focale de 35 millimètres, je suis convaincu que je possède l’arme la plus puissante ».
Pour son premier reportage dans « Life », Gordon Parks photographie les combats de rue et suit le jeune « Red Jackson », chef de gang à Harlem, aux cheveux roux, dont il pénètre l’intimité, le regard inquiet du garçon, les instants où il prend un peu de repos, allongé sur un lit entre deux murs pelés. Le reportage est publié en 1948, et couronné d’un succès phénoménal. Dans la foulée, on lui confie d'autres commandes, des photos de défilés, de mannequins, de personnalités publiques. Il est envoyé à New York, à Paris, puis à Stromboli pour rencontrer Ingrid Bergman sur le tournage du film du même nom. Sur l'une de ses photos, prise dans la rue, l'actrice détourne un peu le visage, les lèvres crispées, tandis que sur elle pèse le regard réprobateur de trois vieilles dames.
Il dresse de nombreux portraits, Giacometti dans son atelier à Paris, la main squelettique de l'une de ses statues pointée vers lui. Glenn Gould courbé sur son piano, les cheveux humides de sueur, ainsi que Marilyn Monroe, Miles Davis ou encore Malcolm X.
Il consacre à Mohamed Ali, un long reportage, tour à tour le boxeur fanfaronne devant la presse, s'abandonne à un masseur et prie avant un combat. Il se rend en Alabama, où sévit le Ku Klux Klan ou il réalise de nombreux clichés comme celui d’une gamine posant un regard d'envie sur des robes en vitrine d'un magasin, portées par des mannequins blancs, ou encore celui d’enfants faisant la queue à l'entrée d'un marchand de glaces, réservée aux « colored ».
Il retourne à Harlem afin de dénoncer la misère des Afro-Américains des grandes villes en suivant la famille Fontenelle, une mère épuisée avec ses enfants agrippés à elle.
« Ce que je veux, ce que je suis, ce que vous m'obligez à être, c'est ce que vous êtes. Car je suis vous, et je vous dévisage dans le miroir de la misère et du désespoir, de la révolte et de la liberté. Regardez-moi et comprenez que me détruire, c'est vous détruire vous-même. » Gordon Parks
« L’appareil photo est mon arme de prédilection. » Gordon Parks
Ella Watson, Washington D.C, 1942
Tout jeune photographe, à 30 ans, il brûle de dénoncer la ségrégation sans trop savoir comment s'y prendre, lorsque Roy Stryker l'envoie rencontrer la femme de ménage d’un l'immeuble. Elle lui raconte sa vie, une vie pire que la sienne, le père d'Ella Watson avait été lynché, sa mère morte lorsqu'elle était enfant, et son mari abattu d'une balle alors qu'elle attendait leur fille. Gordon Parks la suit chez elle dans son quartier, sa maison. Ella longue et maigre, pose devant un drapeau américain, un balai dans une main, une serpillière dans l'autre, très droite, très digne, malgré une moue de fatigue et un regard qui se perd. L'image, est titrée « American Gothic » en référence du tableau de l’artiste peintre Grant Wood.
Mobile, Alabama, 1956