Germaine Krull (1897-1985) photographe allemande née en Pologne à Wilda, dans l’Empire allemand à l’époque, fille de parents allemands, d'un père ingénieur changeant souvent de lieu de travail, elle passe son enfance en France, en Suisse, en Autriche et en Italie et rejoint Munich en 1912.

  • En 1916, elle étudie la photographie à Munich à la « Lehr-und Versuchsanstalt für Photographie, Chemiegraphie, Lichtdruck und Gravüre » ( Centre d'enseignement et d'expérimentation en photographie, chimigraphie, phototypie et gravure » . Elle fréquente la bohème munichoise, se lie aux mouvements d’avant-garde, aux côtés d’agitateurs révolutionnaires, elle rencontre Ernst Toller, Kurt Eisner et Tobias Axelrod, un anarchiste russe, qu'elle épouse en 1919, elle se rend en URSS ou elle s'implique dans les luttes révolutionnaires. Suite à la République des conseils de Bavière au pouvoir, puis son écrasement qui s'accompagne d'une féroce répression des militants d'extrême-gauche par les contre-révolutionnaires, elle est arrêtée et condamnée à mort, échappant in extremis à son exécution, elle s'enfuit à Berlin.

  • En 1923, tout en poursuivant ses activités politiques, elle ouvre un atelier de portrait avec Kurt Hübsschmann, près de l'avenue Kurfürstendamm, en vendant discrètement des photographies de Lénine, elle fréquente les dadaïstes berlinois et les expressionnistes, rencontre le cinéaste Joris Ivens avec qui elle s'installe aux Pays-Bas et commence à expérimenter la photographie d'architecture en collaborant avec des revues.

  • En 1926 elle s'installe à Paris avec une nouvelle approche, l'objectivité de la photographie, elle est fascinée par l'architecture métallique et le monde industriel, elle détourne ce monde avec des clichés poétiques et graphiques, sa modernité dans ses images lui vaut le surnom de « Walkyrie de fer » et « Walkyrie de la pellicule ». La « Nouvelle Revue française » de littérature lui consacre une monographie dans ses pages. Influencée par le photographe László Moholy-Nagy, elle fréquente les surréalistes et rencontre Éli Lotar qui devient son compagnon ainsi que Florence Henri, et débute une collaboration au sein de tout nouveau magazine « VU ».

  • En 1927, elle expose ses photographies intitulées « Fers » au Salon d’automne et publie « Métal », un ouvrage moderniste et tout à la fois provocant, se présentant sous la forme d’un recueil de 64 planches accompagné d’un texte de Florent Fels, considéré comme un manifeste de la modernité, se situant dans la lignée de celui réalisé deux ans plus tôt par László Mohogy-Nagy « Fotografie Malerei in Film ». Elle entame un travail avec Berenice Abbott, André Gide, Jean Cocteau, et Colette.

  • Elle est soutenue par les peintres Robert et Sonia Delaunay et l'acteur Louis Jouvet, participe en compagnie de d'André Kertèsz au « Salon de l’escalier » des champs Élysées à Paris, lors de la première exposition moderne réalisée en réaction à la photographie pictoraliste, puis enchaine les expositions, à la « Fotografie der Gegenwart » de Essen, à la « Film und Foto » de Stuttgart en 1929, celle de « Das Lichtbild » à Munich en 1930, et à l’ « Exposition internationale de la photographie » de Bruxelles en 1932.

  • En 1931, l'écrivain Pierre Mac Orlan lui consacre le premier volume de la collection « Les Photographes nouveaux », publiée aux éditions Gallimard. Elle participe avec ses photographies, à illustrer les textes rédigés par Georges Simenon, aux deux premiers ouvrages de la collection « Phototexte », éditée par Jacques Haumont, livres policiers populaires novateur, précurseur du roman-photo, consistant à combiner textes et d'images.

  • En 1935, elle s'installe à Monaco, où elle travaille jusqu'en 1940 pour le casino, photographiant les célébrités. En 1937, elle épouse le cinéaste Joris Ivens.

  • En 1940, elle quitte la France pour rejoindre les États-Unis. En 1941 elle émigre au Brésil, à Rio de Janeiro, puis rejoint Brazzaville, chef-lieu de l'Afrique-Équatoriale française ralliée dès août 1940, où elle dirige le service photographique de la France libre.

  • Après un passage à Alger, elle accompagne le 6e Groupe d'armées des États-Unis lors du débarquement des Alliés en Provence en août 1944, puis la 1re armée française du Général de Lattre de Tassigny jusqu'à la fin de la guerre. Lors de la campagne d'Alsace, elle participe à la libération du camp de concentration du Struthof et celui de Vaihingen près de Stuttgart. Ses photographies sont publiées dans l'ouvrage « La Bataille d'Alsace », accompagnées de texte de Roger Vailland.

  • En 1946, elle s'embarque pour l'Indochine en tant que correspondante de guerre, elle parcoure l'Asie du Sud-Est, et rapporte plus de deux mille photographies sur l'art bouddhique. Parallèlement, elle débute des recherches sur la photographie couleurs, en nommant ses réalisations photographiques, « silpa-grammes ».

  • En 1947, elle divorce de Joris Ivens et se lance dans une expérience de l'hôtellerie, en s'associant avec cinq personnes, ensemble ils reprennent l'hôtel Oriental de Bangkok dont elle en devient la première directrice, puis vit en Inde dans un âshram, avant de rentrer en Allemagne en 1955.

  • En 1967 elle abandonne sa participation au sein de l'hôtel Oriental de Bangkok et revend sa part. La même année, son ami et ministre de la Culture, André Malraux, lui consacre une exposition de ses photographies de Thaïlande à la Cinémathèque de Paris.

  • Après l'exposition, elle repart immédiatement vivre en Inde dans une communauté tibétaine, fréquente le Dalaï Lama et rentre en 1983 sur le continent européen deux ans avant sa mort.


Égérie de la modernité photographique, elle est au cœur des avant-gardes et au cotés de figures clés de la scène artistique de l'entre-deux-guerres, « Métal » son ouvrage publié en 1928, marque de suite les esprits en soulignant l'entrée du monde industriel et urbain, de l’esthétique de la machine dans l’esthétique des avant-gardes, en transposant un paysage de machines en une symphonie stupéfiante.

« Ces géants d'acier m'ont révèle quelque chose qui m'a fait à nouveau aimer la photographie. » Germaine Krull

Son œuvre est composée de ses convictions politiques et professionnelles, caractérisées par un individualisme forcené. Son travail et sa vie sont indissociablement liés, la photographie est pour elle un outil pragmatique qui lui permet de survivre dans toutes une série d'endroits et de réagir aux cultures dont elle est témoin.

« Soit toujours libre d'entreprendre ce que tu veux. » Germaine Krull

Poésie et intensité graphique se côtoient dans ses images d'architecture et de structures métalliques, avec des prises de vues qu'elle alterne en plongée et contre-plongée. Elle incarne en France la « Nouvelle Vision » et contribue à l'invention du reportage moderne aux cotés d'André Kertész et Eli Lotar.

A la fin des années 1920, elle se plonge dans le Paris, joue avec ses lumières, avec ceux des fantômes, des faits divers et des androïdes de la prostitution, elle photographie les gens du peuple, les bas-fonds, les marchés, les bals musette, les clochards et les fêtes foraines.

« Germaine, nous sommes les deux plus grands photographes de notre temps, moi dans la veine classique, vous dans le moderne. » Man Ray

Photographe aux multiples facettes, de mode, de nus, de portraits, du monde industriel et publicitaire, travaillant pour les grandes marques de l'époque, Peugeot, Citroën, les disques Columbia. Elle se distingue aussi par son goût pour l'expérimentation photographique, pratique le photomontage, la surimpression. Son champs d'action est infini comme l'est son goût pour le voyage. Elle adore conduire et sa passion pour l'automobile est sans limite, car elle représente pour elle toute à la fois la modernité et la liberté féminine.

« Je fais des nus, parce que c'est beau depuis toujours et qu'un matin d'été ça m'a plu. » Germaine Krull

«  Le vrai photographe, c’est le témoin de tous les jours, c’est le reporter.  » Germaine Krull

Autoportrait à l'Ikarette, 1925


A l'emplacement de l’œil se trouve un appareil photographique, dans cet autoportrait de 1925, Germaine Krull tient l'appareil dans sa main droite, tandis que sa main gauche arbore entre ses doigts serrées une cigarette, sa bague répète la circularité de l'objectif comme celle de l'oeil cerclée par le viseur. Une image qui renvoie à tout un imaginaire de l'appareil photographique envisagé comme un œil surnuméraire, en s’inscrivant dans la tradition de l'autoportrait, cliché dans lequel la photographe se confond avec son outil de travail et qui pour elle, l'appareil reste supérieur à l’œil, en se représentant en une femme émancipée qui fume.


« L'objectif est un œil mieux fait que l’œil, il mérite de voir le monde mieux fait que le monde, ou autrement fait, ce qui est déjà très bien, chaque angle nouveau multiplie par lui même. » Germaine Krull

Étude publicitaire Paul Poiret, 1926

Les Halles de Nuit, Paris, 1927

Imprimerie de l’Horloge, 1928

Jean Cocteau, 1929

André Lhote et ses deux modèles, 1960