Delphine Caraz

Lier, relier

sculptures et broderies

du 25 avril au 26 mai 2024 du jeudi au dimanche de 15h à 19h

vernissage le samedi 27 avril de 17h à 19h

présence de l'artiste les vendredi 26 et samedi 27 avril, les samedis 11 et 25 mai et les dimanches 12 et 26 mai

Blouse à pois © Delphine Caraz



Soi © Delphine Caraz



Soi (détail) © Delphine Caraz



Cœur, 8 (détail) © Delphine Caraz

"Au sein de l'atelier je cherche à mettre en jeux ce qui m'interroge, qui m'échappe, qui part du corps, du féminin pour aborder des thèmes plus précis autour du geste de l'artisan, de la valeur travail, de la chasse, du corps armé.

C'est en partant d'un médium particulier ; réserves de matières, de techniques liées au patrimoine textile (châle de laine, draps blancs, tablier de travail..., fils anciens, de coton, de soie, de laine...) que mes sculptures prennent formes.

Je peux par exemple partir d'un châle que je remplis très densément des chutes de papier, de tissus, de fils nécessaires à son élaboration, de tout ce qui entre dans la corbeille de l'atelier et également de tissus, vêtements que je mets en lambeaux.

Puis par des points lancés, je viens fermer puis tendre la surface jusqu'à ce qu'elle ait subie sa pleine transformation.

Le tissu craque, je reprise. La densité, la dureté de l'intérieur rend fragile la peau extérieure. J'aime cette tension qui apparaît, le jeux qui s'établit alors entre la matière que je travaille et mes gestes. Comme un corps fragile, corps sur la brèche, qui résiste, cicatrise, jusqu’à ce qu’il trouve sa place et laisse sa place à celui qui va suivre.

Trouver, s'émouvoir, attendre, couper, déchirer, piquer, remplir, s'arrêter, comprimer, recouvrir, tendre, s'interroger, repriser, broder, marquer, recommencer..."

Delphine Caraz


FRAGMENTS DE LA BRODERIE

Toute œuvre renferme une histoire. Est-elle visible cependant, devant nous, comme un arbre dans le pré, ou le ciel qui couvre la terre d’un voile infini ? Toutefois l’œuvre peut raconter une histoire, celle d’une vie, d’un instant de vie, de ses épars de mystère, de non-dits, de caché, de tu. Ou de simplement murmuré. 

Donc l’œuvre d’art serait de deux mondes ou de plusieurs faces. L’un ou l’une que l’on verrait. Et l’autre que l’on soupçonnerait dans un sous entendu iconique. L’un transcendant l’autre, mais cependant liés comme les doigts de la main. Indispensables.

Delphine Caraz a un prénom et un royaume de conte. Elle a une maison dans la campagne. Elle possède un univers d’antécédents matériels liés au tissu, à une qualité du tissage ou des impressions à motifs ou méandres végétaux qui nous évoquent tout un patrimoine féminin. Cet héritage matériel est gravé dans la matière sociale, lourd et familier, enfermé dans des coffres ou les armoires, il est souvent brassé, usé, dilapidé, oublié mais essentiel, antique, fondamental. Telle est l’infra-histoire qui se raconte.

Delphine Caraz est une tapissière de la mémoire. Elle ravaude l’esprit des secrets qu’elle renferme au moyen d’objets, de signes, de morceaux dévoyés, dans ses boules ou à la surface de ses images brodées. Son travail réajuste la déperdition du réel qui dans la matière fabriquée par l’humanité, retourne à la déréliction et à la poussière. Une résistance, un détournement des regrets, une réparation. 

L’énergie formidable qu’elle met à fabriquer ses objets, n’est jamais vraiment perceptible tant ses reprises, repentirs, accumulations, avancements en fils de laine d’Aubusson, sont d’une douceur, d’un velouté parés de moirures, de dessins en griffures, complexes de couleur et d’enchevêtrements, d'images subliminales.

Ce sont autant d’éléments de sa création à l’œuvre qui viennent se recouvrir, se substituer, les uns aux autres dans une lutte acharnée entre désirs, questions existentielles, travail physique de réalisation, formes à trouver jusqu’à la douleur et au sang au bout de ses doigts que pique l’aiguille. L’affirmation en quelque sorte d’une profondeur corporelle, cousue et enfouie au gré des couches ou des reprises. Une parabole que son art nous dévoile dans une paradoxale perfection de la broderie et faisant en sorte de s’associer en harmonie à ce qui subsiste du passé : ces traces de tissus imprimés, visible là, par une cartographie de continents de souvenirs, fluide comme de l’eau, sans commencement ni fin. 

De toute éternité, de toute beauté !

Comment toucher à la substance d’un travail d’artiste ? L’incarner dans l’histoire, l’y référer ? Ou plutôt y révéler, dans le texte, l’émotion qu’il suscite.

C’est un peu à l’image de ses pièces en volume qui recèlent un acharnement et une intégrité de recherche. De ce langage plastique constitué de matériaux amalgamés, et que viennent comme des veines de fils multicolores, irriguer les broderies à la surface de cette peau d’être. On a beau s’y pencher, chercher à dire cette transparence opaque de la tapisserie, on ne parvient pas à aboutir à percer le mystère de l’intention.

On sent seulement que quelque chose d’essentiel se joue là, fusionne, se diffuse, se géographie, porté par une obstination de faire et qui pourtant parvient à une surface tranquille de couleurs aux formes insaisissables, tel un parterre de fleurs, un moment impressionniste du printemps dans les collines dans un ensemble vibrionnant de touches de vie comme autant d’images à décrypter pour y réinventer la temporalité de l’ouvrage et de sa fabrication.

Marc Chopy, le 3 mars 2024