La peinture à l'estomac

Que les œuvres exposées actuellement par l’artiste à la Galerie Alter-Art, puissent susciter le malaise voir même une franche répulsion, nul ne saurait le nier. Il faut toutefois franchir ce seuil, et s’interroger sur ce qu’est réellement l’intolérable, l’insupportable.

A quoi avons-nous affaire effectivement ? A d’interminables séquences de lutte, à un pugilat démultiplié, où des trognes hirsutes se cognent à des tronches immondes se castagnant. C’est une gigantesque foire d’empoigne.

Peut-on résumer l’exposition à ceci ? Délibérément non. Il est en effet des exceptions. Notamment, un tableau ou le contraste noir et blanc, est diminué et où se trouve plutôt souligné, la composition des corps entre eux, toujours animés par une grande énergie, mais dépourvus d’agressivité. Il y a de plus l’actuelle série à laquelle l’artiste travaille fusain rouge sur papier noir, qui évoque plutôt un certain apaisement .Non que le mal soit définitivement exclu. Il y a néanmoins des scènes de jugement où d’interrogatoire ou le violent éprouve la honte et tente de faire amende honorable.

Revenons en à la première série, celle des grands et moyens noir et blanc. On dira simplement, sans rentrer dans les détours d’une analyse psychologique, si nous éprouvons quelque répugnance, elle est due, notamment à l’impression ressentie, d’être à la fois absorbé par l’œuvre, et d’en être aussitôt rejeté. Ce phénomène de fascination tire ses origines d’une source certaine : une part en nous qui aspire indéniablement à la violence, et une autre part qui la rejette pour moult motifs.

Un point reste en suspens, celui du rapport de l’artiste à ce qu’il évoque. Y aurait-il une complaisance envers l’affrontement ou même un clin d’œil louche vers la brutalité, voir le sadisme ? Non point.

On remarquera que ces têtes et torses entremêlés, jusqu'à constituer d’invraisemblables pyramides, ne s’adonnant pas à la boucherie. Pas d’armes, pas de sang. Tout au plus s’écharpent-ils. C’est une lutte à mains nues, pénible certes, mais sans volonté de réduire l’autre à néant. Comme l’aurait énoncé un grand philosophe du 19ème siècle, rendant compte du couple maitre-esclave, c’est « une lutte à mort de pur prestige ». Que gagne le vainqueur ? Rien, sinon un titre qui lui permettra d’exploiter à loisir, le travail de celui qui git à terre.

Ceci n’est évidemment pas sans résonance, dans notre actuelle époque.Si tu veux te hisser au plus haut sommet, rassemble ton énergie pour écraser le plus proche. Ainsi en va-t-il de notre « humaine » condition.

Pourtant, bien que cela ne saute pas immédiatement à l’œil, il y a un brin d’humour dans toute cette histoire. Plus haut la pyramide s’élève-t-elle, plus l’assaillant risque la dégringolade. Ce qui nous vaut donc cette galerie de portraits jouant les bravaches, jusqu’à figurer des grotesques.

Point de leçon de morale toutefois. C’est ainsi, il faut s’accommoder de cette affaire. Et dans ses dernières toiles Christopher Elliot, semble ne vouloir retenir que la spontanéité du geste, l’énergie qui appartient aussi bien à celui qui est déglingué, qu’à celui qui semble l’avoir maîtrisé.

Le 21 02 14 Laurent Henrichs