Manon GUILLET

dessins et peintures

Vernissage le jeudi 22 mars à 18h

Exposition du 21 mars au 15 avril 2018 du mercredi au dimanche de 15h à 19h

présence de l'artiste du 21 mars au 8 avril

Atelier d'écriture en écho avec l'exposition le mardi 10 avril à 18h

atelier animé par Elisabeth Chabuel (participation aux frais de 10 euros; inscription par courriel)

Autoportait I - 65x50 © Manon Guillet

Irrévérence © Manon Guillet

La Tia - 50x73 © Manon Guillet

Peindre, en deçà du silence

"C’est avec beaucoup de plaisir et un brin d’émotion pour l’artiste comme pour la galerie, que les peintures de Manon Guillet seront exposées à partir du 21 mars 2018 rue Saint-Laurent. A 17 ans, alors qu’elle venait d’intégrer l’école d’art de Grenoble, Manon a assuré des permanences à Alter-Art pendant quelques mois. Et voilà qu’elle y revient en tant que peintre, après ses expositions à la Biennale de dessin Saint Laurent en 2016 et sa présence au Lyon Art Paper 2017 où elle a obtenu le prix révélation (elle sera donc l’an prochain invitée d’honneur). Un parcours étonnant pour une jeune femme de 25 ans qui, contre vents et parfois marées, commence à construire ce qu’on appelle une œuvre.

Jusqu’ici l’artiste, avec encres, peintures et pastels à l’huile proposait des séries de portraits, souvent à partir de photographies. La série «Asile» qu’elle a montrée à Lyon frappait par la vitalité du trait lancé pour traduire la pulsion ressentie face à ces visages oubliés, ceux d’internés psychiatriques italiens et français dans les années 1970. Elle dit : «La véracité et la transparence de l’humain y est troublante. Une de mes plus belles rencontres. Le caractère propre et cru des visages, leur transparence, sans masques, c’est comme de l’argile sous les doigts.» Une recherche frontale qu’elle poursuit sur papiers accrochés sur le mur ou sur bois, surfaces dures qui lui permettent «d’entrer» dans son sujet dans un corps à corps sans détour. Manon Guillet se passionne aussi pour la langue des signes. Des mouvements analogues animent son geste afin de faire vibrer dans chaque image-portrait leur nécessité intérieure.

Dans les peintures à l’huile et dessins en moyen et grand format qui sont présentées à Alter Art, on retrouve ce travail à partir de photographies, glanées dans la rue ou chinées dans les brocantes, mais le champ s’élargit : totalité du corps, animaux familiers, suggestion de l’espace autour parfois, et l’artiste intègre plus franchement la couleur. Ce ne sont pas toujours des images «plaisantes» ainsi de cet enfant dans le sable aux mains de gisant. Mais leur force est évidente.

Et le traitement du détail est d’une grande finesse, tels ces aplats blancs qui évoquent les plis des robes dans un tableau nommé «Irrévérence». L’artiste écrit : «Quand je pense au mot «Irrévérence», mon cerveau me dirige bien malgré moi dans les plis d’une robe lourde, accentués par l’inclinaison vers l’avant d’un buste de jeune fille engoncé dans son carcan, à l’époque de Velázquez. Puis presque simultanément je me corrige en disant: «Non, l’Irrévérence. L’inverse.» Et là je contemple les Ménines genoux et fesses par terre. C’est l’image qui m’arrive et se meut progressivement. Rapidement je pense à cette photographie trouvée de deux fillettes assises au beau milieu d’un terrain vague, avec ce chien incongru vautré à leur hauteur. (…) «Irrévérence» dans ma tête à quelque chose à voir avec un vêtement chiffonné qui se tache de poussière.»

Ainsi vogue son imaginaire et ces tableaux, issus de la mythologie de l’artiste et de ses rencontres à la croisée des rues, ébauchent des solitudes, des enfances inquiètes, des visages de « tía » maternelles – en fait l’humaine condition et souvent son «inquiétante étrangeté». Des alter ego de nous-mêmes, dénués du masque des convenances, crus et pudiques en même temps.

Quand le tableau nous fait ressentir ce «vêtement chiffonné dans la poussière», la dégaine du chien en attente, le poing serré d’un «sans titre», c’est que l’artiste a réussi ce pari d’être un révélateur : au-dedans du sujet épouser son regard, en être le passeur vers notre propre regard ; peindre en deçà du silence, en son intérieur même, libérer ce souffle ; rendre présente cette étrange absence qui, brusquement, s’impose à nous, comme des figures surgissant de leur propre chair, dans l’espace d’une œuvre.

Proust disait que grâce à l’art nous pouvions sortir de nous-mêmes et voir se multiplier notre monde - expérience intérieure fragile, vitale à laquelle nous invite Manon Guillet."

Janine Desmazières

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