Thibaud Bernard-Helis

Les intérieurs

dessins

du 8 septembre au 9 octobre 2022 du jeudi au dimanche de 15h à 19h

Inauguration le samedi 10 septembre de 15h à 19h - lecture à 18h30

présence de l'artiste tous les samedis et dimanches

En cette rentrée, Alter-Art présente l'exposition « Les intérieurs » de Thibaud Bernard-Helis, aperçu d'une recherche qui utilise dessins, gravures, schémas, écrits et vidéos comme autant de soutiens pour avancer. Les objets exposés sont les dépôts et les marges d'une tentative avant tout intérieure. L'œuvre de Dante y est dépliée pour sonder les plans invisibles qui régissent nos vies.

Dante dans la Rose Céleste - ©Thibaud Bernard-Helis

Dante en exil - ©Thibaud Bernard-Helis

Dante à la porte de l'enfer - ©Thibaud Bernard-Helis

Les intérieurs

Lors d’un vernissage, un chien attendait sa maîtresse. Calme, soumis, le regard sans événement. Ennuyé – bien sûr, il appartient à un autre monde – et pourtant, l’idée d’imposer son temps ne lui serait pas venue. Il se laissait diriger sans mot dire, relié aux humains par une affection simple. C’était l’image même de la situation de Thibaud dans le monde. Ceux qui le connaissent en voient l’évidence. Le caractère désemparé, le silence, et cette manière d’aimer intensément et de loin.

Thibaud Bernard-Helis a commencé par le dessin, encore enfant. C’est même tout ce qu’il savait faire. Ce n’est que tard, vers ses vingt ans, qu’il rencontre la philosophie. Rencontre qu’il accueille d’ailleurs avec la radicalité et l’effort nécessaires : il faut compenser le retard et une dyslexie quasi handicapante. Lectures obstinées, méthode folle : lire chaque page au moins trois fois pour s’assurer de ne pas avoir pris un mot pour un autre. Ainsi commence son parcours. Les dessins, affectés par les lectures, s’épaississent, il s’inscrit aux Beaux-Arts de Grenoble, où il laissera un souvenir doux-amer. Référence pour les élèves, problème pour les professeurs – Surtout, on n’aimait pas son sourire.

Thibaud a une nature suicidaire. Si vous voulez partir, la porte est toujours ouverte. Chez lui, j’ai rencontré pour la première fois cette chose curieuse : une nature suicidaire non pas d’une âme désespérée, mais d’une qui n’aurait pas entièrement cru à la vie, qui aurait laissé un pied là-haut. Une qui choisissant une famille, un lieu, un siècle, aurait eu une dernière réticence, tardive, qui l’aurait fait entrer de travers dans l’existence. Que la mort soit donc centrale dans ses œuvres, rien de plus naturel. Il dit vouloir changer notre rapport à la mort, c’est selon lui ce qu’il y a de plus urgent à faire. On aurait du mal à le contredire.

Sa résistance à l’incarnation était telle que, nous rapporte sa sœur, en posant quelque part le bébé qui marchait pourtant, on le trouverait des heures après au même endroit – nulle inquiétude à se faire. S’il restait à contempler la matière ou s’il l’abandonnait pour des voyages astraux, on ne peut le savoir ; on note néanmoins que contrairement aux autres enfants, ce n’était pas le rapport aux parties qui l’occupait, mais le rapport à la totalité. Il en était paralysé.

Je dis nulle inquiétude, mais il y a eu une exception : un jour on l’a posé quelque part, et il a marché cette fois, vers une piscine où il a failli mourir. De ce moment, il a gardé un souvenir étrangement doux, d’une lumière vacillante et belle, dont il a suspecté la nature récemment, en découvrant les témoignages de ceux qui sortent de leur corps suite à un accident.

Ce que Thibaud appelle « les intérieurs » c’est cette dimension qui l’a si brièvement salué, et qui est tout le temps là, vivifiant nos membres, informant la matière, mais dont nous voyons les formes quand nous quittons nos corps.

Flora Bonfanti - Août 2022