Pierre Gaudu

"Le fond des mers est doux"

dessins

Exposition du 9 septembre au 10 octobre 2021

du jeudi au dimanche de 15h à 19h

de 13h à 19h les 18 et 19 septembre à l'occasion de la biennale de dessin Saint-Laurent 2021

présence de l’artiste tous les samedis et dimanches

trois six neuf, 50x65, plume et encre de Chine , © Pierre Gaudu


un ange brûle, 30x40, 2019, © Pierre Gaudu


pour ainsi dire, 36x48, 2004, encre et brou de noix, © Pierre Gaudu

"Le titre le fond des mers est doux s'est imposé à moi tout naturellement, il pourrait symboliser le lieu ou reposent mes rêveries et mon imaginaire..."

Pierre Gaudu


Le travail de base de Pierre Gaudu est celui de la « collecte » d’images, par tous les moyens. Ses impressions visuelles, virtuellement, mentalement stockées et rappelées à la mémoire, mûrissent peu à peu, se dépouillent de l’émotion du moment de la captation. Cette trace est le fil conducteur à partir duquel il construit l’œuvre. Il applique alors les techniques classiques de peintre-dessinateur pour reprendre cette empreinte psychique et la mener jusqu’à l’expression de l’œuvre aboutie. Dans ces dessins, gouache, encres, crayons de couleurs ou mine de plomb sont utilisés, rien que du très orthodoxe. La tradition picturale se marie ici au travail, plus conceptuel, mental, réalisé jusque-là.

Pierre a toujours été un dessinateur hors-pair et sa maîtrise du dessin tend réellement vers la perfection. Il avoue, devant passer près d’une semaine sur un dessin, à réinterpréter, à révéler sur le papier sa mémoire, atteindre une véritable ascèse par ce travail. Mais cette répétition du geste, retenu, contrôlé, maîtrisé, à l’opposé de toute « expression gestuelle » lui laisse l’esprit libre. La pensée court, se détache du sujet dont l’exécution devient quasi mécanique, comme un paravent le protégeant de cette émotion qu’il désire différer de son travail.

On tend ici vers la révélation du presque rien, du non vu, du non existant, ou si peu. La création est en fait divulgation, redécouverte de l’existence de la réalité insignifiante. Tirer de la gangue du néant un sublime caché. Les motifs de l’artiste sont ceux que l’on foule au pied, que l’on passe sans voir. Roches, petits cailloux, pelotes de racines et de brindilles, joncs couchés, feuillages en transparence, herbes sèches, traces sur la neige, algues, coraux, eaux vives, reflets de surface ou sur le fond… Dans l’approche du sujet, le caractère d’intemporalité de l’objet, du terme de passage vers sa destruction, est essentiel pour lui. Pouvoir lire le passé dans la pierre et le limon du chemin, dans le sable d’un trou d’eau à marée basse. « C’est quand il n’y a plus rien à voir, à découvrir, que se révèle l’essentiel ».

Pierre Gaudu est un artiste qui travaille comme un artisan et dévoile le monde comme un poète, simplement.

Yves Gemain – 25/06/2021

LE DESSIN EST UN ANIMAL TERRÉ

Il faut dire d’abord la somptuosité presque animale de ces masses d’encre. Il y a l’ombre qui les habite et les nourrit, il y a la lumière qui les ronge et les hante. La lumière est un acide, quand l’ombre est un ferment. On les dirait mus d’une vie propre, ces enroulements de matière sombre, ces lents ondoiements ! Rouleaux de vagues, tourbillons de vent, spirales d’air ascendant… Ces dessins ont du souffle, ces dessins ont une âme. Et d’ailleurs, s’ils n’ont pas le don de parole, ils ont du moins celui du cri, du murmure et du gémissement. Approchez-vous d’eux, scrutez chacune des hachures d’encre et prêtez l’oreille : on entend encore le crissement de la plume sur le papier !

Le dessin est un exercice physique. C’est le corps qui est à la manœuvre : l’épaule, le bras, le poignet, la main, les doigts ; et le cerveau, qui tente tant bien que mal de coordonner tout ça. Le dessin de Pierre Gaudu relève du gestuel autant que du mental. Il habille de muscles les mouvements de l’esprit, il donne forme aux élans, il prête corps aux émois. Le corps est dans le dessin en même temps qu’il le fait. Le corps est à la fois le sujet et l’objet du dessin. Au reste, ce dessin-là, on dirait une peau ! Les traits pullulent comme des empreintes digitales. Le dessin est un épiderme, c’est un sac de peau gonflé d’ombre et travaillé par la lumière.

Pierre Gaudu pratiqua naguère la gravure. Et l’on songe, en contemplant ses dessins, aux admirables burins d’Albrecht Dürer. Non pas simplement parce qu’ils en ont la facture minutieuse, tranchante, scrutatrice, esthétique jusqu’au trouble, mais aussi parce qu’ils en portent la mélancolie. En dessinant, Gaudu s’abîme dans quelque chose de plus grand que lui et qu’il ne maîtrise pas. Et qui le déborde, et qui le comble, et qui l’alarme. Et qui le tient entre l’illumination et le tourment. Pierre Gaudu dessine des formes qui se tendent, puis s’infléchissent et s’inclinent, s’incurvent et se courbent, se tordent et s’engouffrent dans le Grand Tout du dieu Pan. Cela respire, cela palpite, cela frémit. Vous ai-je déjà dit la somptuosité presque animale de ces masses d’ombre ?

Jean-Louis Roux


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