"Aggravé par la récidive"

« Aggravé par la récidive »…

(passage chez Bernard Roudet)

"J’ai souvent pensé que si Jésus-Christ paraissait aujourd’hui sur le banc des accusés, il se trouverait quelque procureur qui démontrerait que son cas est aggravé par la récidive."

Baudelaire « Du vin et du haschisch » Les Paradis artificiels

Comment ne pas penser à Baudelaire pour une exposition que Bernard Roudet intitule Opium et qui présente une très grande série de flacons?

On est allé le voir dans son atelier – mais son atelier était vide et les bols de peinture desséchés, ce qui le rendait triste (« ça ne vit pas !») pour cause d’épisode sur béquilles, épisode qui l’a obligé à travailler à domicile et à écrire un roman policier, qui paraîtra en même temps que l’exposition à Alter-Art.

On comprendra que le bonhomme est du genre contemplatif …

En tout cas on nous avait dit « Prenez du temps, il aime discuter.», mais on n’avait pas prévu le café, le verre de blanc à l’apéro, le copain peintre complice qui lui peint les couvertures de ses livres… bref, tout un monde prêt à nous accueillir avec générosité, curiosité, vitalité et rire communicatif.

On dira : pourquoi parler du bonhomme, et qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse.

Eh bien, justement, parce qu’on voit mal comment on sépare ici l’un de l’autre…

«Dans notre chienne de vie, où on s’emmerde pas mal, on est tous des héros.» Les héros, c’est le titre d’une série précédente. Et c’est bien ce qui semble intéresser l’artiste ; son sujet c’est l’homme, enfin ce qu’il peut nous rester d’humanité…

Ce pourquoi les flacons nous parlent des paradis artificiels, car le paradis artificiel c’est aussi « l’opium du peuple»; Bernard nous rappelle qu’on est à la veille d’une élection présidentielle et qu’il s’agit de nous rendre bien «réceptif», mou et amnésique. : état d’euphorie suivi d’une phase stuporeuse, amenant l’oubli et causant un engourdissement moral et intellectuel tout à fait dans l’air du temps».

D’abord sombre, la série de toiles a émergé progressivement dans le monde de la couleur, pour prendre une forme de plus en plus minimale.

Roudet nous dit qu’il a commencé par faire ce dont il avait envie pour acquérir une technique au fur et à mesure. Il sculptait ses totems à la tronçonneuse.

Pour terminer, encore Baudelaire1 :

"Un jour, sur un trottoir, je vois un gros rassemblement ; je parviens à lever les yeux par dessus les épaules des badauds, et je vois ceci : un homme étendu sur le dos, les yeux ouverts et fixés sur le ciel, un autre homme, debout devant lui, et lui parlant par gestes seulement, tous les deux ayant l’air animé d’une prodigieuse bienveillance. Les gestes de l’homme debout disait à l’intelligence de l’homme étendu : « Viens, viens encore, le bonheur est là, à deux pas, viens au coin de la rue . Nous n’avons pas complètement perdu de vue la rive du chagrin, nous ne sommes pas encore au plein-mer de la rêverie ; allons, courage, ami, dis à tes jambes de satisfaire ta pensée."

Souhaitons à Bernard Roudet sept vies (Il fut d’abord musicien, puis ingénieur, enfin sculpteur et peintre, le voici écrivain), comme les chats.

J L Desmazières

Photographies : Pierre Desmazières

Mars 2012 Vatilieu