Suivre le mouvement de l'onde et se laisser aller...

"Où est la frontière entre le réel et l'imaginaire, entre ce que l'on regarde et ce qui est vu, entre ce qui est dit et ce qui est perçu ?

Est-ce le tissu que je vois, est-ce la dune, la montagne ou l'océan qui m'attirent, m'entraînent et m'emportent dans un autre espace, celui où le mot s'absente, celui où juste une sensation, au creux de moi-même se fait jour et me chuchote des histoires secrètes, subtiles : émotions du dedans qui grâce au signe présenté se déploient et s'exaltent ?

Merci à Jean-Louis et Cécile de se tenir ainsi à la frontière de ces deux mondes et de nous offrir de telles fenêtres à double vision, quadruple devrais-je dire, car ils sont deux à tutoyer les deux faces du réel (qui en ce 21ème siècle n'oublient que trop de dialoguer entre elles).

Composition, mise en œuvre, choix du support, du type de tirage, comment le média de la photographie réussit-il ainsi à atteindre si exactement son but ?

Oui, c'est l'Idée, l'Idée du créateur qui fait la force d'une œuvre – L'idée, ailleurs si magnifiquement mise en mots par Jean-Louis (quelle plume dans ses écrits!) là aussi trouve toute sa puissance évocatrice dans ce jeu entre deux mondes. A précédé l’œil qui a vu le lieu (quelques décimètres carrés de tissu) où se passait cette magie. Il a fallu s'en saisir et en respecter tous les contenus pour que parle pleinement l'image offerte ; on peut descendre dans cette image et savourer les noirs profonds, le grain obtenu, les gradations de couleur... ou se laisser bercer par l'histoire qui se raconte.

Chacun de son côté, sans se consulter, ils ont cheminé dans leurs univers pour au final se retrouver devant des œuvres si proches ! Troublant... et séduisant.

Photo, et de l'autre côté dessin, peinture – Cécile utilisant souvent une méthode bien proche du photographe dans son labo qui voit apparaître l'image à partir du négatif : une toile blanche, une couche de noir qu'elle éponge, gratte, épure par différents moyens, pour faire naître le blanc et ainsi créer les formes, les faire apparaître.

Chez elle, la frontière de l'ici et de l'ailleurs est tout aussi mobile que chez Jean-Louis (drapé/paysage...) bien que parfois on aille de l'un à l'autre dans le même tableau, mais où est-elle cette frontière ? Y en a-t-il une ? Allers-retours sans fin ou suggestions discrètes...

Si la maîtrise est une composante évidente de l’œuvre de Cécile, elle n'existe que par le complet lâcher-prise soudain accordé et qui s'exprime dans le trait, dans son tracé, dans la forme qui s'estompe, dans l'incertain qui montre son visage et nous interpelle.

La montagne s'impose, elle dit toute sa magnificence, elle éclate de force et de puissance... mais ne serait-elle pas le seul reflet de quelques plis et replis d'une toile, d'un drapé existant au-delà ? Parfois c'est juste quelques traits, à peine de la couleur, et c'est tout un monde de collines qui apparaît. A moins que dans un drapé une anatomie soudain se révèle. Liberté du regard et de l'imaginaire !

Sur la toile, voilà deux êtres qui, sans dire mot, clairement s'entendent et dialoguent dans le secret de l'intime."

Eric Michon – juin 2014

Cécile Beaupère, Série « Les Beaux Draps », Triptyque (détail), 2013

fusain sur papier 70 x 100 cm © photo Stéphane Bertrand

Jean-Louis Roux, Série « Ciel de lit et lit de fleuve », 2012,

photographie, 100 x 70 cm ; © photo Jean-Louis Roux