Du fil à l’encre : Broder le temps

C’est une histoire de mains, une histoire qui passe de mains en mains, une histoire tissée à points étroits.

C’est une histoire de mains inconnues, dont nous suivons quelques bribes, éclats échappés à l’outrage du temps, jusqu’aux mains d’Isabelle Massin. Du fil très blanc, travaillé et virtuose, jusqu’aux estampes qui redessinent des paysages fantasmagoriques, couleurs poétiques et matières.

Alors nous remontons le fil du temps, les mains se frôlent par l’imaginaire de la gravure. Broder c’est raconter des histoires.

Les mains sur le fil, jusqu’à 94 fuseaux sur le carton, sans trame ni chaîne. Fil de soie, lin, nylon. Et l’on est pris dans la transe des appellatifs : passementerie, guipure, dentelles, « petites dents » dit le mot qui apparait en 1545, dans l'inventaire de la dot de la sœur de François Ier. Brodent les doigts agiles. Alençon, Bigoudène, Caen, Chantilly, le Puy. Et les manufactures, machines dans le bruit et pourtant c’est la grâce à l’état pur qui en sort, Calais ou Caudry.

Pour l’histoire de celles qui les ont conçues et fabriquées.

Les mains sur les vêtements d’apparat, d'abord l’apanage des hommes, puis des femmes, dès le XVIIe siècle. Coudre la précieuse étoffe comme une perle très rare de féminité, vêtements, lingeries ou bijoux. Dansent et marchent les élégantes et les coquettes de dentelles parées. Mais aussi napperons, rideaux ou tableaux.

Pour l’histoire de celles qui les ont portées ou qui en ont rehaussé leurs maisons, translations de leurs corps.

Les mains aux malles des grand-mères, celles qui ont plié les vêtements désuets, celles qui ont décousu le précieux lambeau sauvé du naufrage du temps. Les mains sur les étals des brocantes ou chez les antiquaires. Voyagent les dentelles édentées, déchiquetées et malmenées.

Pour l’histoire de celles et ceux qui les ont sauvées de la déperdition.

Et voici enfin les mains d’Isabelle Massin. Dans son atelier d’artiste, la lumière et l’encre, les matrices, le papier et la presse. Dentelles transformées, recomposées, revisitées et magnifiées. Entrer dans le graphisme, la délicatesse et la finesse que les œuvres transfigurent. Enjoliver, orner, embellir.

Pour les histoires auxquelles nous convie l’artiste, ce qui était perdu, fait dans la dentelle pour le spectateur, assurément.

Corine Robet

Novembre 2020

PennSardin 28x38 © Isabelle Massin - photo Pierre Desmazières

Déchiquetées 2 20x20 © Isabelle Massin

photo Pierre Desmazières