Henrichs

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Celui qui formant le Soleil,

Arracha d’un profond sommeil

L’air et le feu, la terre et l’onde,

Renversera d’un coup de main

La demeure du genre humain,

Et la base où le Ciel se fonde ;

Et ce grand désordre du monde

Peut-être arrivera demain.

Théophile de Viau, 1590-1626

La poésie baroque aura porté, en France, vers le 17e s., un regard soupçonneux, sinon critique, sur l’idée de permanence dans l’existence humaine. Pour ce faire, elle eut recours à nombre de métaphores, donc à des décalages, déplacements de sens. Égrenons-en quelques-unes : lumière et brouillard, inconstance, irisation, écume... C’est à ce socle de l’écriture que je me raccroche pour évoquer l’effet produit par l’œuvre de Nicolas Nuttein.

J’écarte d’emblée une hypothèse qui me paraît incongrue. Cet ensemble de dessins multicolores serait une célébration du règne solaire, dispensant une luminosité jubilatoire.

S’il est vrai que la note jaune est parfois ici à son apogée, on ne peut se dispenser d’observer tout le reste, à savoir cette multitude de créatures hybrides qui émaillent le fond.

Ces représentations qui semblent parfaitement achevées, équilibrées — et elles le sont — laissent entrevoir quelque chose du tumulte qui les anime.

Une idée lors de ma visite a surgi, pour le moins bizarre. Ce serait comme un écho ou un reflet du plafond de la Sixtine, mais d’avant la Création, dépourvu de la rencontre du Père et du Fils.

Cela évoque plutôt un genre de magma primordial, un état de fusion indécis, où grouillent larves, protozoaires, ectoplasmes, avant de se fixer dans une forme achevée.

Et ces portions de créature sont vouées à tourbillonner en un mouvement incessant, qui les projettent à la fois vers le dehors, et les aspire en un centre tout autant indéfini.

Le baroque, tant en littérature qu’en peinture aura tenté de figurer ces tiraillements ou contradictions, d’où surgit ce que nous dénommons “être”. Il faut pour accomplir cela une infinie patience, une minutie à toute épreuve, dont on ne saurait trop louer Nicolas Nuttein, toujours à l’étape du commencement.

Laurent Henrichs,

17/01/17.

ι² Tropochrome I, 65×47,7 cm © Nicolas Nuttein

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ε¹ Tropochrome II, 75×55 cm © Nicolas Nuttein