L'envol

"Vêtures, parements, effets, on n'en finirait pas d’égrener la liste des objets censés selon le sens commun, dissimuler notre peau réelle , ou mettre en valeur les formes d’un corps humain.

Pourtant, au dire des acteurs, ces vêtements n’ont jamais été portés. Leur apparition équivaut à la sortie de l’atelier, et on la doit, à l’évidence au regard du photographe, avide de capter matière et lumière, dans le «dehors» de l ’humain, même s’il poursuit son activité de portraitiste.

Cette exposition, «exhibition» pourrait-on dire en anglais, relève de la prouesse. Passons rapidement sur la technique, qui importe cependant : chaque cliché est tiré sur un papier calque, ce qui accentue à l’évidence légèreté et transparence. Par ailleurs, chaque épreuve se détache d’un fond, réalisé à partir d’un échantillon du textile utilisé.

On évoque ensemble la somptuosité des parures, dont les peintres de la Renaissance enveloppaient leurs modèles, pour signifier entre autre leur rang. Un des plus beaux portraits féminins jamais réalisé au XVIème siècle est, à mon sens, celui dû à Palma Vecchio, sobrement intitulé «La Bella». Plis baroques, cela est censé magnifier la beauté du visage, qui émerge de ces sculptures d’étoffe et parfois, la consistance d’un corps, mis à l’abri et dissimulé aux regards.

Rien de tel ici: les habits sont simplement «suspendus», flottant dans l’apesanteur. Que le tissu soit plus ou moins lourd, on s’en soucie peu. Seul compte le rendu, le grain comme on dit en photographie, qui permet d’appréhender au plus près la matière, la «texture», soit l’entremêlement des fibres d’origine.

Nul besoin qu’un corps quelconque s’y drape. Les vêtures vivent de leur propre vie. Elles paraissent nous ignorer, notre ego et désir de se faire valoir dans un enrobage adéquat.

Après ,cela va-t-il à tout le monde? Peu importe, la chose tissée, brodée, ourlée trouvera probablement un(e) destinataire .

L’ essentiel est que nous ayons dans l’immédiat la chance de les capter dans leur vide et liberté, leur chance d’exister à leur état brut et volage.

A mille lieues des fastes illusoires du virtuel, Jean-Pierre Angei décline ici les possibilités d’un réalisme magique."

Laurent HENRICHS