Recours de plein contentieux

Le recours des tiers en appréciation de la validité d'un contrat

Dossier thématique : le juge administratif et la commande publique, Conseil d'Etat, 2014

Par sa décision du 4 avril 2014, Département du Tarn-et-Garonne, le Conseil d’État ouvre à tous les tiers justifiant d’un intérêt lésé par un contrat administratif la possibilité de contester sa validité devant le juge du contrat.

Cette décision revient sur une jurisprudence ancienne réservant cette voie de recours aux parties au contrat et aux concurrents évincés lors de sa passation. Elle ne correspond pas, pour autant, à une ouverture à tous les tiers du droit de contester toutes les illégalités affectant les contrats administratifs.

En effet, afin de concilier le principe de légalité, auquel est soumise l’action administrative, avec la préoccupation de stabilité des relations contractuelles, d'une part, seuls certains tiers seront recevables à former un tel recours, et d'autre part, seuls certains moyens, tirés d’illégalités particulièrement graves ou en rapport direct avec l’intérêt lésé des tiers requérants, seront susceptibles d'être soulevés

D’autre part, la jurisprudence a doté le juge du contrat de nouveaux outils lui permettant de sanctionner les éventuelles irrégularités d’un contrat autrement qu’en l’annulant rétroactivement de manière systématique (décision Société Tropic Travaux Signalisation précitée et CE, Assemblée, 28 décembre 2009, Commune de Béziers, n° 304802), par exemple en le résiliant seulement pour l’avenir ou en décidant que l’intéressé n’a droit qu’à une réparation indemnitaire. Une ouverture plus large des voies de recours pouvait donc être compatible avec l’objectif de stabilité des relations contractuelles.

Par sa décision Département de Tarn-et-Garonne, le Conseil d’État décide de créer une nouvelle voie de recours direct contre le contrat ouverte sans distinction à tous les tiers susceptibles d’être lésés, dans leurs intérêts, par sa passation ou ses clauses. Ce nouveau recours se substitue totalement au recours « Tropic » précédemment ouvert aux concurrents évincés. Il ferme également aux tiers la voie du recours direct contre les actes « détachables » du contrat, dont l'illégalité ne pourra être invoquée que devant le juge du contrat.

La nouvelle voie de recours est strictement encadrée dans ses modalités.

Pour pouvoir saisir le juge du contrat, les tiers doivent justifier que leurs intérêts sont susceptibles d’être lésés de manière suffisamment directe et certaine.

Sur le fond, ils ne peuvent se plaindre que des vices du contrat en rapport direct avec l’intérêt lésé dont ils se prévalent ou de ceux d’une gravité telle que le juge devrait les relever d’office.

Le juge apprécie l’importance de ces vices et les conséquences à en tirer. Il peut, selon les cas, soit décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, soit inviter les parties à le régulariser.

Ce n’est qu’en présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, et après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, que le juge résilie le contrat ou, si

ce dernier a un contenu illicite ou se trouve affecté d'un vice d'une particulière gravité, en décide l’annulation totale ou partielle. Enfin, le juge peut dans certains cas condamner les parties à verser une indemnité à l’auteur du recours qui a subi un préjudice.

Le même recours est ouvert aux élus des collectivités territoriales concernées par le contrat et au préfet de département chargé du contrôle de légalité. Toutefois, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, ces requérants peuvent invoquer tout vice entachant le contrat. En outre, dans le cadre du

contrôle de légalité, le préfet de département peut continuer de demander l’annulation des actes « détachables » du contrat tant que celui-ci n’est pas signé.

En raison de l’impératif de sécurité juridique tenant à ce qu’il ne soit pas porté une atteinte excessive aux relations contractuelles en cours, la nouvelle voie de recours ouverte par la décision du Conseil d’État ne pourra être exercée par les tiers qui n’en bénéficiaient pas auparavant que contre les

contrats signés à compter de la date de cette décision (à savoir le 4 avril 2014). Pour les contrats signés avant cette date, l’ancienne voie de recours contre les actes « détachables » leur reste ouverte.

Le recours des parties en contestation de validité du contrat

■ ■ ■ Principe de loyauté des relations contractuelles. Lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ; que, toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel ; qu'ainsi, lorsque le juge est saisi d'un litige relatif à l'exécution d'un contrat, les parties à ce contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation, ni le juge le relever d'office, aux fins d'écarter le contrat pour le règlement du litige (CE, Ass., 28 décembre 2009, Commune de Béziers, n° 304802).

Le fait pour le pouvoir adjudicateur d'exciper de la nullité du contrat pour absence de mise en concurrence, afin d' échapper à sa responsabilité contractuelle dans le cadre d'un différend financier relatif à l'exécution du contrat, ne concerne ni le contenu du contrat ni les conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement ; le litige doit donc être tranché sur un terrain contractuel (CAA Bordeaux, 16 décembre 2010, Société Expertises Melloni et Associés, n° 09BX02266 ) ; y compris lorsque le vice a trait à une erreur de classement des attributaires (CAA Paris, 6 déc. 2012, n° 10PA02811)

■ ■ ■ Exception au regard de la gravité du vice et des circonstances. Dans le cas seulement où le juge constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel (CE, Ass., 28 décembre 2009, Commune de Béziers, n° 304802 ; CE, 12 janvier 2011, Crédit municipal de Paris, n° 338551 ; en matière de DSP, cf. CE, 19 janv. 2011, Synd. mixte pour le traitement des résidus urbains, n° 332330).

Il appartient alors au juge, lorsqu'il constate l'existence d'irrégularités, d'en apprécier l'importance et les conséquences, après avoir vérifié que les irrégularités dont se prévalent les parties sont de celles qu'elles peuvent, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, invoquer devant lui (CE, Ass., 28 décembre 2009, Commune de Béziers, n° 304802).

Pour une illustration à propos du vice tiré de l'incompétence du signataire cf. s'agissant d'un avenant régulièrement conclu mais rattaché à un marché irrégulièrement signé CAA Nancy, 5 juill. 2010, Sté SOGREAH CONSULTANTS n° 09NC00896 ; cf. également CAA Bordeaux, 11 mars 2010, Cne de Baie-Mahault c/ Sté. Serco, n° 08BX02268, régularisé en l'espèce).

De même s'agissant de l'exécution d'un contrat par reconduction tacite, "eu égard à sa gravité et sans même que le juge du référé provision, compte tenu de son office, ait à examiner les circonstances dans lesquelles elle a été commise" (CE, 20 avril 2011, COMMUNE DE BAIE-MAHAULT, n° 342850)

L'absence de transmission de la délibération autorisant le maire à signer un contrat avant la date à laquelle le maire procède à sa signature ne saurait à l'inverse être regardée comme d'une gravité telle que le juge doive écarter le contrat et que le litige qui oppose les parties ne doive pas être tranché sur le terrain contractuel (CE, Ass., 28 déc. 2009, Cne Béziers ; CE 10 décembre 2010, Communes d'Amigny-Rouy et de Servais, n° 336638).

■ ■ ■ Cas spécifique des contrats d'assurance. Le juge doit également apprécier le respect des dispositions du code des assurances, notamment son article L. 113-8 du code des assurances pour apprécier la validité d'un marché public. Celui-ci prévoit qu’un « contrat d'assurance est nul en cas de réticence ou de fausse déclaration intentionnelle de la part de l'assuré, quand cette réticence ou cette fausse déclaration change l'objet du risque ou en diminue l'opinion pour l'assureur, alors même que le risque omis ou dénaturé par l'assuré a été sans influence sur le sinistre » (Conseil d'État, N° 396751, 6 décembre 2017).

■ ■ ■ Sort du contrat. Il revient au juge administratif, après avoir pris en considération la nature de l'illégalité commise et en tenant compte de l'objectif de stabilité des relations contractuelles, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties, soit de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, la résiliation du contrat ou, en raison seulement d'une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, son annulation (CE, Ass., 28 décembre 2009, Commune de Béziers, n° 304802).

Les cas de nullité d'office, sont désormais limités à deux : caractère illicite du contenu du contrat et vice d'une particulière gravité ; les autres cas, de nullité facultative, laissent au juge la faculté de prononcer la poursuite de l'exécution du contrat, sous réserve de régularisation, ou sa résiliation pour l'avenir, avec le cas échéant effet différé.

■ ■ ■ Action des membres d'un groupement solidaire. La désignation d'un mandataire pour représenter les membres du groupement auprès du maître de l'ouvrage n'a, sauf stipulation particulière de la convention de groupement, pas pour effet de confier à ce mandataire la représentation exclusive des autres entreprises solidaires devant le juge du contrat. Les membres du groupement gardent donc la possibilité de saisir le juge pour obtenir le paiement des sommes dues en exécution du marché (CAA Marseille, 28 mai 2009, Cne de Saint-Florent-sur-Auzonnet, n° 07MA01445, CP-ACCP n°91, sept. 2009, p. 24)

■ ■ ■ Action du sous-traitant. Seul le juge du contrat peut déclarer nul ou annuler un marché public ; il ne peut à cet effet être saisi que par l’une des parties ou par un concurrent évincé. Le sous-traitant n’est alors pas recevable à saisir le juge du contrat d’une telle demande (CE, 23 juillet 2010, SNC EI Montagne, n° 328710)

■ ■ ■ Action en nullité contre une clause indivisible du contrat. « Le caractère indivisible d'une clause contractuelle au regard de l'ensemble du contrat ne fait pas obstacle à la recevabilité, devant le juge du contrat, d'une action en nullité introduite par l'une des parties au contrat et tendant à ce que cette seule clause soit déclarée nulle. Cette indivisibilité implique seulement que, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité de cette clause, le juge du contrat se prononce, au besoin d'office, sur les conséquences à en tirer sur le contrat dans son ensemble, après en avoir, le cas échéant, informé les parties en application de l'article R. 611-7 du Code de justice administrative (CE, 1er juillet 2009, 306756, Publié au recueil Lebon).

Recours des parties en contestation des mesures d'exécution contractuelles

■ ■ ■ Contestation des mesures d'exécution du contrat. Le juge du contrat, saisi par une partie d'un litige relatif à une mesure d'exécution d'un contrat, peut seulement, en principe, rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité ; que, toutefois, une partie à un contrat administratif peut, eu égard à la portée d'une telle mesure d'exécution, former devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles (CE, 1er octobre 2013, Société Espace Habitat Construction, n° 349099).

■ ■ ■ Pouvoirs du juge du contrat. Il incombe en principe au juge du contrat, saisi par une partie d'un recours de plein contentieux contestant la validité d'une mesure de résiliation et tendant à la reprise des relations contractuelles, de rechercher si cette mesure est entachée de vices relatifs à sa régularité ou à son bien-fondé et, dans cette hypothèse, de déterminer s'il y a lieu de faire droit, dans la mesure où elle n'est pas sans objet, à la demande de reprise des relations contractuelles, à compter d'une date qu'il fixe, ou de rejeter le recours, en jugeant que les vices constatés sont seulement susceptibles d'ouvrir, au profit du requérant, un droit à indemnité ; que, toutefois, dans le cas où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, qui le conduirait, s'il était saisi d'un recours de plein contentieux contestant la validité de ce contrat, à prononcer, après avoir vérifié que sa décision ne porterait pas une atteinte excessive à l'intérêt général, la résiliation du contrat ou son annulation, il doit, quels que soient les vices dont la mesure de résiliation est, le cas échéant, entachée, rejeter les conclusions tendant à la reprise des relations contractuelles (s'agissant de la résiliation : CE, 1er octobre 2013, Société Espace Habitat Construction, n° 349099).

■ ■ ■ Contestation de la légalité de l'acte administratif qui approuve le contrat. 1) Indépendamment du recours de pleine juridiction dont disposent les tiers à un contrat administratif pour en contester la validité, dans les conditions définies par la décision n° 358994 du 4 avril 2014 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, les tiers qui se prévalent d'intérêts auxquels l'exécution du contrat est de nature à porter une atteinte directe et certaine sont recevables à contester devant le juge de l'excès de pouvoir la légalité de l'acte administratif portant approbation du contrat. 2) Ils ne peuvent soulever, dans le cadre d'un tel recours, que des moyens tirés de vices propres à l'acte d'approbation, et non des moyens relatifs au contrat lui-même. Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 23/12/2016, 392815

Déféré préfectoral

Le préfet peut, sur le fondement des dispositions des articles L. 2131-2 et L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, rendues applicables aux établissements publics de coopération intercommunale par l'article L. 5211-3 de ce code, saisir le juge administratif d'un déféré tendant à l'annulation d'un marché public .

Eu égard à son objet, un tel recours formé à l'encontre d'un contrat relève du contentieux de pleine juridiction

Moyens d'ordre public

Les moyens d'ordre public, susceptibles d'être soulevés d'office par le juge administratif, sont communs aux différents types de recours contentieux, même si des moyens spécifiques au recours de pleine juridiction, notamment en matière de contentieux contractuel, peuvent être identifiés.

■ ■ ■ Interdiction de condamner une personne publique à une somme qu'elle ne doit pas. Si l'interdiction de condamner les personnes morales de droit public à payer une somme qu'elles ne doivent pas est d'ordre public, tel n'est pas le cas du moyen tiré de ce que les travaux n'auraient pas profité à la commune dès lors que la rivière en cause appartient au domaine public de l'Etat (Conseil d'Etat, 21 Octobre 2009, Cne de Pointe Noire, n° 312214 ; CE. 25 Janvier 1995, ministre de l'équipement, n°132877 ; CE. 4 avril 1997, société d'ingénierie immobilier Sud, n°127884).

■ ■ ■ Illécéité du contrat. Le juge peut également relever d'office le moyen tiré de l'utilisation d'une procédure de passation d'un marché public méconnaissant les dispositions du code des marchés publics (CE, Section, 29 janvier 1982, Martin, requête n° 19926)

■ ■ ■ Ministère d'avocat. Le moyen tiré de l'absence du ministère d'avocat peut être relevé d'office que si le requérant, préalablement invité par le juge à régulariser sa requête en recourant au ministère d'un avocat, s'est abstenu d'y donner suite (CE, Section, 27 janvier 1989, Chrun, requête n° 68448, publié au Recueil Lebon).

■ ■ ■ Responsabilité. Le juge peut relever d'office le moyen tiré de l'application de la responsabilité sans faute (CE, Section, 24 juin 1961, Chevalier, p. 431 ; CE. 25 octobre 1993, commune de Collonge sous Salève, n° 121616) ou de la détermination de la personne responsable du dommage (CE, Assemblée, 13 juillet 1962, Ministre de la santé publique et de la population c/ Lastrajoli, p. 507).

En revanche la responsabilité extra-contractuelle pour faute n'est pas d'ordre public, tout comme la responsabilité fondée sur l'enrichissement sans cause (CE. 22 février 1982, S.A. des sablières modernes d'Aressy, n° 11939 ; CE. 29 décembre 1999, Société FCA Méditerranée, n°188018)

■ ■ ■ Garantie. Le juge soulève d'office le moyen selon lequel la garantie contractuelle ne peut être invoquée après la réception définitive des travaux (C.E. 31 Mars 1989, commune du Chesnay, n° 83583)

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