*“ De La Maison Des Morts” (opera)

Leoš Janáček “De la maison des morts” (Willard White & Esa-Pekka Salonen • Opéra national de Paris)

L'opéra De la maison des morts (Z mrtvého domu), probablement plus connu sous son titre en anglais From the house of dead, est la dernière œuvre lyrique de Leoš Janáček. Cet opéra, chanté en tchèque, est composé entre 1927 et 1928. Il est créé deux ans plus tard, le 11 avril 1930, de manière posthume, à Brno. Le livret est traduit et adapté par Leoš Janáček lui-même à partir du livre de Fiodor Dostoïevski (1861-1862) Souvenirs de la maison des morts, ouvrage dans lequel l'écrivain raconte sa propre expérience du bagne.

Hormis deux ou trois courts passages, l'œuvre de Janáček suit de près le texte de l'écrivain: il n'y a pas une ligne de son livret qui ne soit pas directement liée au texte de Dostoïevski. « C'est dans la juxtaposition et la succession de ces emprunts que Janáček s'autorise...une certaine liberté... Le compositeur s'est livré à un exercice de découpage-collage. Un collage parfois naïf et magnifique qu'on retrouve en miroir dans l'hétérogénéité du matériau musical qui compose la partition. ».(Patrice Chéreau). Musique et paroles sont de Leoš Janáček.

« Tant dans sa forme musicale que théâtrale, De la maison des morts reste une œuvre primitive, dans le meilleur sens du terme.» (Pierre Boulez). Il y a de nombreux endroits où la notation rythmique change. Tout se passe comme si Janáček a arrêté son travail à un point pour le reprendre ensuite en changeant son optique. Cette manière de faire rend l'œuvre extrêmement hasardeuse à diriger.

Janáček ne développe jamais. Au contraire, il répète, répète encore puis modifie le motif de répétition, l'ostinato. C'est, en soi, une forme de primitivisme. L'œuvre comporte des moments très durs exprimant la colère, d'autres empreints de nostalgie, d'autres, enfin, de désespoir. Mais tout est direct. On saisit immédiatement le sens de la musique, de ce qu'elle exprime. Il est étonnant et en même temps fascinant de sentir à quel point le primitivisme de Janáček peut être puissant.

Janáček écrit cet opéra sachant que ce serait son dernier. Il rompt délibérément avec son habitude qui est de créer des personnages proches de Kamila Stösslová, la femme qu’il aime désespérément (cependant, les thèmes de la solitude et de l’isolement sont, à l’évidence, une réponse à l’indifférence de celle-ci à son égard). Fait marquant, il n’y a pas de personnage féminin dominant dans cet opéra. Le thème du bagne dans lequel se déroule l’action permet de donner à un grand ensemble vocal la possibilité d’exprimer des sentiments au lieu de confier ce soin à un ou plusieurs personnages principaux. Il n’y a pas de récit à proprement parler. Chaque acteur du drame lyrique raconte des épisodes de sa vie si bien qu’il y a « plusieurs récits dans le récit » tout au long du deuxième acte. L'opéra apparaît ainsi comme une suite d'instantanés sur la vie de bagnards, le compositeur ponctuant « les scènes de rixes, de larmes, de moments d'euphorie collective et d'une scène de fête (Le Jeu de Kedril et de Dom Juan et La Belle Meunière) qui confère au deuxième acte une dimension pirandellienne hallucinante. »1 Dans cette musique de scène, l'orchestre fait entendre un déchaînement sonore, avec tutti orgiaques, fanfares, glas de cloches et de xylophones, mais ailleurs l'orchestration frappe surtout par ses couleurs dépouillées et glaçantes, qui n'excluent pas un lyrisme à fleur de peau.

De la maison des morts est quasiment terminé à la mort de Janáček. Deux de ses élèves, Chlubna et Bakala, suivant les indications du compositeur, compléteront la partition mais prendront des libertés avec le final pour la rendre plus « optimiste ». Ota Zitek complète le travail de Bretislav Bakala en changeant certaines parties du texte et en modifiant la survenue des évènements2. Plusieurs décennies plus tard, une version plus proche de la pensée réelle du compositeur, enregistrée par Charles Mackerras en 1980, supplante la version corrigée. C’est la plus jouée actuellement.

L’imposant orchestre nécessaire à l’interprétation de cette œuvre est enrichi par des bruits de chaînes utilisés en tant qu'instruments de percussion et destinés à évoquer la mort.

L'opéra a été présenté pour la première en France en 1966 à l'Opéra de Nice3. Il fait partie du répertoire de l'Opéra de Paris.