Présentation en français

Contexte historique

La première moitié du XIXe siècle en Russie est marquée par un certain nombre de progrès économiques. L'industrie textile, essentiellement cotonnière, favorisée par une stricte protection douanière (tarifs de 1822), se développe et commence à se moderniser dans les campagnes proches de la capitale. L'activité artisanale et manufacturière se diversifie; pourtant, on ne peut parler de véritable décollage économique avant 1850.

Quatre facteurs peuvent expliquer le retard de la Russie par rapport au capitalisme occidental:

    • la passivité de l'État en matière économique;

    • un manque général d'initiative privée;

    • un marché intérieur qui, bien que numériquement important (60 millions d'habitants en 1851), ne se développe pas assez vite (difficultés des transports, immensité du territoire);

    • l'attache de l'immense majorité de la population au travail de la terre.

Si l'abolition du servage en 1861 fait entrer la Russie de plain-pied dans l'ère du capitalisme, la faible accumulation primitive des capitaux et l'immobilisme de la noblesse foncière, incapable de se transformer en grande bourgeoisie rurale, ne permettent pas de rattraper le retard économique.

Après 1880, l'allure du développement industriel s'accélère brutalement avec la construction intensive de voies ferrées et l'essor de l'industrie sidérurgique et métallurgique. À la fin du siècle, le réseau ferroviaire reliant Moscou, Nijni Novgorod, la Crimée, les pays baltes et l'Ukraine couvrent 25000 km. En 1891, commence la construction du Transsibérien, qui permet la mise en valeur des régions méridionales de l'Empire et de la Sibérie.

La géographie industrielle du pays se modifie considérablement à partir des années 1890. Les régions anciennement industrialisées se développent inégalement (l'Oural stagne, alors que la région de Moscou devient le centre économique le plus actif du pays); les structures de production se modernisent.

Ce décollage industriel génère un prolétariat, encore limité numériquement (3 millions sur une population totale de 128 millions en 1913) mais qui, concentré dans les grandes villes, où il vit misérablement et est exclu du système de représentation municipale, pose un grave problème social. Par ailleurs, le monde paysan est marqué par une lente dégradation des conditions de vie et par des tensions liées à l'inégalité de ses statuts.

La misère généralisée nourrit un très fort courant d'opposition à partir des années 1870. Hostile à l'absolutisme et déçue par les réformes, une nouvelle intelligentsia, issue des classes moyennes, développe une doctrine populiste qui voit dans l'immense paysannerie russe le terreau possible d'une révolution. Les premiers cercles marxistes sont créés, sous l'impulsion de Plekhanov, dès le milieu des années 1880.

Cette période est celle d'un accroissement rapide des réseaux d'universités, d'une floraison de journaux et de revues scientifiques, et surtout de l'éclosion d'une génération d'écrivains admirables (Pouchkine, Lermontov, Tourgueniev, Gogol, Dostoïevski) dont les écrits reflètent la dureté de la réalité sociale russe.

Le Mouvement d'octobre 1905 par Repine

Vie culturelle

La gravité de la situation intérieure au début du XXe siècle n’a pas empêché la Russie d’apporter au monde un riche capital culturel. La Russie participait au progrès scientifique international, aux courants littéraires et artistiques européens.

· Dans les universités (Moscou, Saint-Pétersbourg, Kiev, Kharkov, Kazan, Odessa, Tomsk), le nombre des étudiants dépasse 34 000. La population scolaire augmente plus vite que ne croissait la population totale.

· Tributaire de la science étrangère, la Russie a ses savants de réputation mondiale, le chimiste Mendeleïev (1834-1907), le biologiste Metchnikov (1845-1926) prix Nobel 1908, le physicien Iablotchkov (1847-1894) , le physiologiste Pavlov (1849-1936), prix Nobel 1904.

· La littérature romantique, au début du XIXe siècle voit l'éclosion d'une génération talentueuse avec Alexandre Pouchkine, Mikhaïl Lermontov et Fiodor Tiouttchev. Le XIXe siècle sera le siècle d'or de la littérature russe et plus particulièrement du roman avec Dostoïevski, Gogol, Gontcharov, Leskov, Saltykov-Chtchédrine, Tolstoï, Tourguéniev. Anton Tchekhov développe à la fois une œuvre théâtrale essentielle, mais aussi tout un registre d'histoires très courtes qui en fait un des auteurs russophone les plus marquants. Le début du XXe siècle est marqué par l'apparition de courants littéraires nouveaux (symbolisme, acméisme, futurisme, néo-réalisme) qui donnent à la Russie une place originale dans la littérature mondiale.

· La musique russe acquiert une audience internationale. Le groupe des Cinq (Balakirev, Cui, Borodine, Moussorgski, Rimski-Korsakov) donna naissance à un art original ; dégagé du folklore et s'inspirant de lui, puisant dans l'histoire des sujets dramatiques, il créa des opéras somptueux : Le Prince Igor, oeuvre de Borodine, achevée par Rimski-Korsakov et Glazounov, Boris Godounov et La Khovanchtchina (Moussorgski). Le ballet de Tchaïkovski Le Lac des cygnes appartient à un genre artistique qui, unissant décors picturaux, musique et danse, a fait pour une grande partie la renommée mondiale de la musique russe, grâce à Diaghilev.

· La peinture, dominée jusqu'à la fin du XIXe siècle par la Société des expositions ambulantes, créée en 1870 en réaction contre l'académisme officiel, veut toucher le peuple par des oeuvres. Répine (1844-1930) est le plus connu des « ambulants », par son évocation d'épisodes historiques et de scènes de vie populaire contemporaine (Ivan le Terrible devant le cadavre de son fils, Les Haleurs de la Volga). Mais aussi Sourikov (1848-1916), qui décrit la Russie du XVIIe siècle, au temps de la persécution des vieux-croyants, Vaznetsov (1856-1933), illustrant les vieilles légendes russes, Kramskoï (1837-1887) et Ge (1831-1894), inspirés par la vision d'un Christ russe, Verechtchagine, Perov et tant d'autres moins célèbres. Cet art réaliste, devenu à son tour officiel, dans les académies et même au sein de l'Union des artistes russes, fondée à Moscou en 1903, restait en fait ignoré de la masse et avait pour clientèle la grosse bourgeoisie russe. Mais l'influence de la peinture occidentale, par les achats de marchands et d'industriels (les Mamontov, les Chtchoukine, les Morozov), les recherches en Russie même de peintres inspirés par l'impressionnisme et le symbolisme, les liens qui se créaient au début du XXe siècle entre les milieux artistiques de Saint-Pétersbourg, de Paris, de Munich favorisèrent le développement d'un art d'avant-garde, qui apporta sa contribution à la peinture contemporaine la plus moderne avec Larionov et Gontcharova, et surtout Malevitch, Kandinsky et Chagall.