Roger Lepage nous a quitté

Baffo assure

  Roger (« Baffo » pour ses amis grimpeurs), le dernier compagnon historique du Grec, était le plus fidèle des hommes, pour ses amis, ses compagnons de cordée, sa femme, leurs enfants et petits-enfants. Voilà d'où provient son surnom : « Pour les Italiens, Roger devient « Baffo » (moustache). En effet, il faut le voir dans son numéro de la soupe au fromage : on dirait les chutes du Niagara. (Le Grec Au-delà de la verticale, chapitre l’équipe adverse, P. 329).» C’était en 1960, lors de la première « franco-italienne » de la face ouest de la Sciora de Fuori, avec une équipe italienne conduite par Jack Canali que le Grec gratifia du surnom du "cow boy" ! Échange de bon procédé, Jack surnomma alors Roger, "Baffo". Ce fut dès lors son surnom et il prit toujours grand soin de sa moustache ! 

  Il est mort chez lui le 5 mars 2024, paisiblement, de mort naturelle, entouré des siens. Il avait 95 ans.

  Une messe a eu lieu à l’église de Mazargues le samedi 9 mars 2024 à 9h30.

  Toute personne qui voudrait adresser ses condoléances à la famille de Roger peut contacter sa femme, Annie, au 06 36 99 39 66 ou au 04 91 40 36 13.

Discret, ne se mettant jamais en avant, toujours de bonne humeur, ce fut un très fort grimpeur qui forma une cordée à toute épreuve et en réversible avec le Grec, réalisant avec lui, Sonia, Marc Vaucher et quelques autres grimpeurs comme Robert Lebatard dit "Le Breton" et moi-même, des premières ascensions, dans les Calanques, les Dolomites, les Alpes et les massifs calcaires. Odette Bernezat (Frölich de naissance) qui fit ses premières armes à Marseille, m'a déclaré récemment que les deux "formateurs es escalade" du CAF de Marseille-Provence les plus sympas et qui se sont le mieux occupés de sa "formation" (années 1958-1961, après elle était prête pour les grandes courses) étaient Roger et son ami A. Audiffret. 

  Doté d’un flair étonnant pour les placements financiers, il mit ses talents dans ce domaine avec une efficacité remarquable au service de ses enfants et petit-enfants pour laquelle ils lui seront éternellement reconnaissant. Son banquier était tellement estomaqué par la réussite de ses décisions à moyen et long terme qu’il lui demanda de former plusieurs de ses conseillers ! Et il ne s’en est jamais vanté. Ce n’est que par sa femme, Annie, que je l’ai appris sur le tard, quand elle me demanda de lui installer sur son ordinateur un accès "on-line" sur sa banque. Je lui ai demandé s'il accepterait de me donner quelques conseils. Il refusa en se moquant (gentiment) de moi, me disant que j'étais bien trop vieux et m'expliquant qu'il réservait ses compétences uniquement aux siens et que c'était sa manière de leur démontrer son amour pour eux.  

   Grimper avec lui a été chaque fois un plaisir. Nous avons fait ensemble deux petites premières au Renard (Morgiou) en 1970, dont une « La calculée » sur le plan droit du dièdre du Renard avec un passage que nous avions côté 6C la difficulté maximale que nous connaissions avant l'apparition du 7. Roger le franchit brillamment en tête, sans hésiter, avec un seul piton de protection, très bien placé et solide, exactement comme un piton planté par le Grec dont il avait tout appris en matière de pitonnage "béton". 

  Des années plus tard, dans les guide d’escalades "modernes" des Calanques (avec photos), faisant une sérieuse concurrence à ceux d’Alexis Lucchesi qui a tant œuvré pour les faire connaître aux grimpeurs du monde entier, cette voie a été éliminée au profit d'une autre voie juste à droite, bien équipée en spits et également en 6C sur deux longueurs, sans doute plus belle et d'une difficulté plus continue. Lorsque je le fis remarquer à Roger lui suggérant d'en parler aux auteurs des guides, il me dit que cela lui était indifférent et comme c'était aussi mon cas, nous avons laissé courir. Un tel manque d’éthique ne méritait qu’indifférence ! Roger était bien au-dessus de telles contingences. 

  La deuxième voie faite le week-end précédent, l’Éperon du Renard, existe toujours. Le Grec et ses amis ne s'y était pas frotté car la longueur clé, la deuxième, est très lisse et contrairement à ce que l'on pourrait croire, le Grec n'aimait recourir aux pitons à expansion que pour les grandes voies d'artif. Il l'avait donc laissé de côté. Roger pensa à moi pour passer cette longueur en tête car j'avais la réputation de grimper en libre à bon niveau et d'éviter de planter des pitons le plus possible. Surprise, ce n'était que du bon V et heureusement car je franchis la longueur en ne trouvant à mettre un piton de protection que 20 à 25 m au-dessus du relais et sur guère plus que 2 ou 3 cm de profondeur. Une chute de 40 ou 50 m n'aurait pas été la bienvenue, même avec l'assurance béton de "Baffo", la paroi au-dessous n'étant pas totalement verticale. Lorsque plusieurs années plus tard, je refis cette voie, je découvris avec surprise que quelques 5 à 6 spits avaient été installé. Cela me fit comprendre que nous étions entrés dans une ère nouvelle où la protection était devenue primordiale dans les sites d'escalade servant d'entrainement, comme celui des Calanques. Ceci dit la  beauté de cette longueur n'était pas dénaturée et rien n'empêchait de ne pas mousquetonner tous ces spits, ce que je fis, tout en étant content d'en mousquetonner quand même 2 !

  Une anecdote : Roger avait alors avec lui un sacré "mastard", un berger belge je crois, qu'il avait amené lors de ces deux sorties au Renard pour protéger les sacs que nous laissions au pied des voies. Malheur au grimpeur ou randonneur indélicat qui aurait le culot de s'approcher de nos sacs. Ils devraient courir vite et faire ensuite un long détour, voire faire demi-tour.

  Je voudrais terminer en paraphrasant pour "Baffo" la dédicace que me fit le Grec sur son livre Cassin, il était une fois le 6-ème degré :


  Baffo méritait à tout point de vue ma fidélité depuis plus de 60 ans et j’ai été heureux et honoré d’avoir été son ami.

                       

Dans les Calanques, Sonia, Baffo, le Grec (Photo Eric Vola 1973)

Baffo dans la Calculée ED- 60 m Dalle 5 m à droite du dièdre.

 Baffo à Brentaï avec Bruno Detassis, le Grec et des amis italiens reposant sa cheville.

Voie TD- de 55 m "facile et esthétique" (Fenouil)

Baffo, le Grec, Sonia, et Marc Vaucher –  (Photo Eric Vola)

1975/76. Roger Lepage et Marc Guiot, voie du toit aux deux Sœurs – Sophie  (Vercors,  ouverte par Serge Coupé en 1957). Faisait partie de l'équipe, Paul Mortier. Suivait une seconde cordée avec P. Favard et M. Espitalier.  

Souvenir de Marc Guiot :

"Nous voilà partis par un bel après midi de juin par l'autoroute du soleil, à 180 de moyenne, il était ts content de sa nouvelle voiture (une SAAB dernier cri)  :

Pendant que Tino son berger allemand était en train de lui démonter la banquette arrière (il avait pratiquement tout bouffé arrivé au camping) 

 

Dans la voie alors que nous étions à la  4ème ou 5ème longueur de grands cris nous parvinrent du pierrier 100 m plus bas, et là une vision digne de Tex Avery : Tino planté au milieu du chemin la bave aux lèvres et de chaque coté bloqué en file indienne une troupe de randonneurs en train de hurler: 


Roger, calme et stoïque : 


Vue d'en haut c'était assez grotesque. ils sont restés un moment aprés le chien est parti comme il était venu. Il y a jamais eu autant d'ambiance aux 2 Sœurs. Le lendemain on a fait une belle voie aux tours du Pleynet (voie Gauci).

 

Premières grandes voies (j'avais 15/16 ans) .......et premières sensations de la vitesse "

Roger, Robert Lebreton et Raymonde Favard, Cabanon de Robert. (Photo Marc Guiot)

La mère de Marc, Le Grec, Pierre Favard, Roger, Cabanon de Robert. (Photo Marc Guiot)