Rencontre avec le Grec et Sonia

2 août 1976

Rencontre avec le Grec et Sonia

2 août 1976

Anna Lauwaert (extrait de la Via del Drago - livre sur la vie de Claudio Barbier)

Nous étions au Pordoi, Claudio avait téléphoné à des amis qui lui avaient dit que Livanos était à Vazzoler, le même jour nous partîmes vers Alleghe et puis Agordo, Claudio était au comble de l’excitation ! (…)


Quand Claudio et moi arrivâmes à Vazzoler, il entra tout de suite dans la cuisine , comme s’il était chez lui, pour saluer tout le monde. Livanos et Sonia reviendront ce soir, ils sont allés faire un tour du coté du refuge Tissi. Et de fait, on les entend arriver. Livanos a l’accent comique du sud de la France en plus il ne parle que par plaisanterie et expressions exhilarantes… Claudio se précipite… grandes effusions… puis Sonia se met à le taquiner… Pendant plusieurs années il ne s’était plus laissé voir, sans doute y avait-il eu quelque divergence mal digérée… Aujourd’hui tout est oublié et Claudio cite de mémoire des pages entières d’au delà de la verticale… Ensuite ils se déchaînent sur le dos du gardien du refuge Armando da Roit :

« mais qu’est ce que tu peux t’attendre d’un refuge qui n’a même pas un gardien de refuge… On a même enlevé le caminetto, càd le feu ouvert et le gardien s’est jeté dans la politique… »

Quelle horreur… Philippe et Mireille se joignent à nous, cela devient une soirée joyeuse avec une infinité de souvenirs…

Une fois, raconte Giorgio aveque l’acceng deu Marseilleu , j’étais déjà arrivé au relais et j’assurais Sonia. Elle , elle était au début du passage le plus difficile et le plus délicat quand je m’aperçois que son nœud est en train de se défaire… Je lui dis….viens… viens… le plus tendrement possible car si elle s’était rendue compte de ce qui était en train d’arriver… cela allait être le drame… Non, non, pas pour elle, Pour moi, ! car la suite de la voie était très dure et j’aurais du sortir en solo si je n’avais eu plus personne pour m’assurer… »

(…)

Le lendemain il fait très beau, Claudio et moi allons faire la Andrich de la Torre Venezia.

« Ça part par une petite vire qui devient de plus en plus étroite, et puis quand il n’y a plus rien d’autre qu’un formidable gaz , c’est là, tu vas trouver un gros anneau, c’est là que ça part, c’est tout droit… » avait dit Livanos.

Dans la voie nous retrouvons Philippe et Mireille, nous faisons la voie ensemble et nous rentrons ensemble. Au refuge, Giorgio et Sonia sont assis dehors à boire le bianco pendant que Giorgio raconte ses extravagances… Il y a deux types qui passent, ils sont habillés comme des stars de cinéma, bariolés, chargés de casques, baudriers, matériel sophistiqué, et ils portent l’insigne du Club Alpin Académique Italien… ils viennent de Turin et avouent que c’est la première fois qu’ils viennent dans la Civetta…

« Un accademico che non è mai stato sul Civetta, non è un accademico, è una merda » (un académique qui n’est jamais venu dans la Civetta c’est pas un académique, c’est une merde) avait déclaré Da Roït en mâchonnant son cigare Toscano.

Le matin suivant il fait très beau, nous nous asseyons tous au soleil. Giorgio a d’énormes jumelles, Sonia étudie une grammaire italienne, Claudio lit le Corriere della Sera et moi je ravaude ses jeans. Giorgio observe une cordée dans la Cassin de la Torre Trieste et nous en fait le compte rendu, lentement, continuellement, comme s’il ne parlait que pour lui et toujours avec son accent comique… Enfin, pour nous qui venons de Bruxelles, l’accent de Marseille … est comique…

Dieu sait s’ils tombent… dit Giorgio… je ne puis détacher mon regard car s’ils tombent je ne peux pas perdre ce spectacle. Pensez donc, tu détournes ton regard un instant et quand tu les cherches ils ne sont plus là ! Ah ! ils se trompent, ils sont en train de se tromper ! Mais peut-être bien que non… On ne se tue jamais sur du sesto , les accidents se produisent toujours sur du III , c’est pourquoi à mon âge je ne devrais plus aller que sur du VI… Ce serait pas la première fois qu’on irait acheter un cercueil… Une année… c’est l’aube… musique de Ennio Moricone, Da Roït mâchonnant son Toscano, et moi, les mains dans les poches, nos pas résonnent sous les portici de Agordo, la place est vide, le silence est lourd… on va chercher un cercueil pour un type qui a volé…»

Tant qu’on va les acheter pour les autres… » marmonne Armando toujours en mâchonnant son Toscano

Nous sommes interrompus par le retour des Accademici de Turin, ils sont toujours vêtus impeccablement comme des cosmonautes. Ils ont fait un but à la Videsott –Rudatis de la Busazza. Ils ont bivouaqué et sont redescendus avec une série de rappels… Livanos et Claudio s’esclaffent :

« C’est pas des accademico, c’est des merdes… »

« Après un but à la Busazza, on cache son insigne du CAAI bien au fond de son sac… » et Claudio se demande comment il va bien pouvoir subtiliser un de ces insignes…

Giorgio raconte qu’une année les français étaient venus ici, le temps était moche mais ils avaient quand même attaqué malgré qu’on les aie bien avertis des dangers et un d'entre eux avait répondu :

« On s’en fout, dans les Dolomites, quand il pleut c’est quand même de l’eau chaude… »

En pleine paroi ils avaient attrapé un fameux orage et ils étaient rentrés trempés et drôlement refroidis……

« Tiens donque – ajoute Giorgio – tu penseu bieng, il y avait eu ung court circuit dang le choffebaing… »

Nous allons nous promener jusqu’à la Malga et jusqu’au Pian de la Lora, nous nous arrêtons au Sasso Carlesso et rentrons sous une pluie battante et un violent orage. Le soir Claudio est au comble de l’exubérance. Je demande à Sonia s’il a toujours été comme ça.

« Il a toujours été cinglé, mais à ce point… non, comme ça je ne l’avais jamais vu… » dit-elle en riant.

Anna raccomode le futal de Claudio (photo Claudio Barbier)

30 ans ont passé… beaucoup d’amis s’en sont allés mais les souvenirs sont là, clairs , vivants, gais comme si de telles personnalités étaient tellement intenses qu’elles n’ont pas besoin d’être là pour être présentes.

Anna Lauwaert (envoyé le 12 octobre 2008)

1ère photo en haut à gauche : Claudio Barbier avec Roger Lepage, Sonia et le Grec à Vazzoler

2ème photo en haut à droite : Claudio et Anna, sommet du Moine

3ème photo : Claudio, sasso Carlesso.

-« Ah, c’est certain – ajoute Giorgio, il a toujours été dingue, une année il grimpait sur les murs du refuge, puis, arrivé sous le surplomb de la lanterne, il est tombé comme un sac de patates, il s’est fait mal et n’a pas pu grimper pendant plusieurs jours… et une autre fois il s’est levé la nuit, a fini le fiasco de vin et au matin quand il a fallu se lever pour aller grimper, il ne tenait plus sur ses quilles… »

Et puis on continue a raconter des souvenirs… et Claudio ressasse encore une fois une de ses plus grandes déceptions. Le 5 septembre 1957 Marchart, Philipp, Flamm et lui avaient attaqué ensemble une nouvelle voie. Marchart avait été blessé par une chute de pierres, Claudio était redescendu avec lui, Philipp et Flamm avaient terminé la voie… Le lendemain… il pleut… nous rentrons à Alleghe… nous irons faire un tour sur le Lac dans une des barques de Ceci Polazzon, l’amiral des lacs de montagne…