Le chef d'oeuvre


La Directe de 52 face sud du rocher de Saint Michel avec 

Robert Gabriel et Alphonse Santimone

Le Grec à l'époque de sa première "la Directe de 52", vient de réaliser son plus grand chef d'œuvre l'année précédente, le grand dièdre de la Su Alto (le problème N°1 des Dolomites alors, tentés moultes fois par les cordées Solda-Pompanin, Ghedina-Lacedelli et surtout Ercole Esposito de Lecco), toutes les audaces lui sont ouvertes !

Il a 27 ans. Il passe "en libre" et sans hésitation le passage clé, avec une corde en chanvre, sans baudrier, encordé à la taille, assurance à l'épaule et en Vibram.

"Georges et Robert considèrent la Su Alto  comme "leur sommet" qui sera suivi d'un autre "sommet" dans les Calanques celui-là, la Directe 52.  La portion de muraille rébarbative et surplombante, haute de quatre-vingt mètres, qui s'inscrit entre les fissures de la GGA et du "S", est vierge. Une ligne de fissures déversées et surplombantes court jusqu'à mi-hauteur. Un mur vertical et compact haut d'une dizaine de mètres barre l'accès aux fissures terminales. C'est à cette paroi que notre trio désire s'attaquer. L'entraînement qui leur a permis de réaliser la Su Alto n'a pas épuisé ses "bienfaits". A la Directe 52, ils crèveront une fois de plus ce plafond psychologique. 

    Après une première longueur sans problème, Robert attaque la fissure surplombante : de l'artif pénible, mais sans piège majeur, jusqu'au bombement de sortie, le premier "os". Jusqu'au récent équipement en scellements, il y avait avant le "pas", un piton Cassin rouillé planté "pointe en l'air", dont il fallait "s'arracher" pour atteindre un baquet deux mètres au-dessus. Un 6b bien "dodu", cuvée 1952. Autrefois A2 et 6b, cette longueur est aujourd'hui cotée 6C+. Elle est ré-équipée "expo"  (il est bon d'avoir quelques petits stoppeurs câblés), mais l'équipeur a rehaussé le dernier point ce qui rend le pas-clé moins exposé qu'à l'ouverture.

    Le relais est accolé à un menhir qu'il vaut mieux éviter de trop chahuter, il est préférable de l'enjamber avec beaucoup de délicatesse pour voir la suite .... Un pas de traversée délicat conduit à la rampe rassurante de la GGA, échappatoire providentiel pour ceux qui ont une boule un peu trop grosse dans le creux de l'estomac. deux marches minuscules constituent le relais, réduisant la longueur précédente à dix mètres. Mais c'est beaucoup plus rassurant pour tout le monde. Le Grec, lui venait du "menhir" , et il a enchainé avec la longueur suivante : la Dalle ....

    La dernière marche quittée, une traversée fine conduit à une série de mouvements délicats sur de petites gouttes d'eau jusqu'au bombé qui précède "le clou" (planté du bas !) : c'est le pas le plus fin (à cinq mètres du relais). Un bon nombre de "vols" a eu lieu à cet endroit, aussi gardez votre sang froid, n'essayez surtout pas de descendre, c'est la pire des solutions. Une fois le piton mousquetonné, (l'univers change de teinte), ne vous déconcentrez pas ; le festival de grattonage n'est pas terminé pour autant, mais ... "ça va beaucoup mieux".

Il semble que le Grec ait réussi à mettre un clou dans une position invraisemblable, incomprise par les premiers répétiteurs et que d'après Sonia, il se serait aidé en coinçant sa chemise sur un becquet de rocher (un gag du Grec d'après Gabriel pour alimenter le mythe). Grand spécialiste des dalles et des traversées, inventeur d'un crochet à gouttes d'eau (bien avant le sky hook) et d'autres spécialités d'ouvreur de premières "par le bas" tel le micro piton ancêtre du "Rurp" Yosémitique, le Grec était également remarquable en libre, ce qui est moins connu) ! Toutefois lors de la directe de 52, leur pitons étaient encore très rudimentaires. Pour Robert Gabriel cette première "était une première comme une autre, mais nous avions un entrainement de fer et c'est pour ça que nous n'avions pas l'impression d'avoir changé le monde. Avec Georges nous avions fait, à notre avis, des passages aussi durs, je pense que les Jeunes ont été étonnés par notre matériel, qui à leur idée leur paraissait préhistorique. La FS 52 a été faite avec des souliers rigides Vibram ; on était encordé à même la ceinture avec des cordes en chanvre, sans baudrier, sans descendeur, assurant à l'épaule, et des pitons le plus souvent mal adaptés. Albert (le docteur) nous prenait pour des inconscients. "

Bernard Vaucher (Barney) qui a convaincu ses amis ouvreurs et équipeurs des voies modernes des Calanques de ne pas "aseptiser" la Directe de 52 en témoignage de ce "chef d'œuvre" du Grec  décrit  ainsi "l'évènement" dans son livre sur l'histoire des Calanques (avec son autorisation) 

Des rochers et des hommes - 120 ans d'escalade dans les Calanques" (édition de l'Envol 2001)

Photo :  Jacky, Barney, 

le Grec et Sonia  

(col. B.Vaucher)

Barney passage clé

  En termes plus concrets, la Dalle de la 52 représente dix mètres de 6a (on disait simplement "du six") ouverts du bas, à vue, sans aucune reconnaissance préalable. Le Grec a placé le seul clou possible à une demi-douzaine de mètres au-dessus du relais, ce qui ne devait pas être évident du tout. La 52 est une voie futuriste, en avance de plus de dix ans sur son époque. Le sixième degré existait déjà, Tanner l'avait introduit et le Grec lui-même l'avait développé, mais il s'agissait de pas brefs. La Dalle fournit un long passage de sixième degré dans une exposition extrême, sans aucune possibilité de se protéger. Dans les années qui suivent les parcours se comptent sur les doigts de la main. Il faut attendre la décennie suivante pour que ce niveau soit "digéré" et que des passages de difficulté semblable ou un peu plus difficiles soient effectués. Entre temps l'usage des chaussures souples s'est généralisé."

 "Barney" dans la Dalle  de la Directe de 52  (photo Guyomar)

 Note : c'est avec "Barney" que le Grec a fait sa dernière première dans les Dolomites à la Cima del Tre où il avait ouvert deux voies auparavant (en 1971 et 1974)