Casella

Casella

date et publication inconnues

Mon ami Yves Ballu, l'encyclopédique Yves Ballu qui préside aux destinées de cette collection, a cru un jour m'embarrasser en me demandant : "As-tu entendu parler de Georges Casella ?" Une "balle canon" lui revenait, sifflant ironiquement à son oreille étonnée : "Casella ? Bien sûr, c'est l'auteur d'un manuel d'alpinisme, un bouquin remarquable d'ailleurs". Mon prétentieux étalage d'érudition alpine me valait en retour une balle perfide : "Et bien, écris donc une préface pour la ré-édition !" J'ai accepté avec une impardonnable légèreté, et à présent, au pied du mur, situation banale pour un grimpeur, je mesure combien le marteau est parfois moins lourd que la plume, car je sais (et on sait) si peu de choses sur Georges Casella.

Si à quelque jeu télévisé ou radiotisé on posait la question : "Connaissez-vous Georges Casella ?" Seul répondrait, si j'ose dire, un silence cosmique, un silence à couper à la hache.

Qui était-il ? Un alpiniste qui écrivait ? Non, un écrivain, un homme de lettres, qui faisait de la montagne et l'aimait passionément. Une succintissisme note le concernant m'indique : "sa situation de directeur de COMOEDIA lui avait valu la grande notoriété". COMOEDIA était, je crois, une revue littéraire et théatrale d'un très haut niveau et je m'excuse de ne pouvoir l'affirmer de façon plus précise. Georges Casella a également écrit plusieurs romans en choisissant la montagne pour leur cadre, sans doute comme ces amoureux qui, voyant leur belle partout, éprouvent le besoin de la dire pour prolonger leur amour.

Glacier des Bossons 1900

loin d'être un poète transi se pâmant platoniquement devant ses cimes adorées, cet "homme de lettres" a été un grimpeur complet, un véritable combattant de l'alpe. S'il n'a pas laissé de traces éclatantes de son voyage d'alpiniste, interrompu par la guerre de 1914, il a cependant gravi de très nombreux sommets dans le massif du Mont Blanc et l'Oberland, parfois par des voies nouvelles, presque toujours sans guide et, à cette époque, le "sans guide" correspondait à l'alpiniste solitaire d'aujourd'hui ou même d'hier. En effet, Georges Casella est né en 1881. Emporté par un mal implacable en 1922, à 41 ans, il n'a eu le temps de nous léguer que cet unique "livre de montagne". Son titre, dans sa simplicité, est éloquent : "L'ALPINISME" est... la somme de l'alpinisme des années 1910 et il faudra attendre plus de vingt ans pour que paraisse un ouvrage français aussi complet.

"L'ALPINISME" ? C'est le Petit larousse Illustré (nous reviendrons sur les illustrations) et le catalogue de Manufrance réunis : on y trouve.... TOUT. Je l'ai lu pour la premire fois il y a quarante ans (bigre, autant ?), je n'avais pas su alors apprécier son aimable parfum vieillot. Mes dieux s'appelaient CASSIN ou SOLDA, ma bible "La Technique Moderne du Rocher" de Léo Maduschka, un petit livre où l'on parlait pitons, étriers et noeuds de Prussik, alors que chez Casella on en était encore aux bandes molletières et au rappel avec freinage sur les pieds, méthode que je n'ai jamais expérimenté n'ayant pas eu l'occasion d'être tenté par le suicide. A mes yeux Casella faisait dépassé, j'étais un "moderne", moi ! Je ne rendais pas compte que ses lignes traduisaient le panache d'antan, lorsque l'on se battait corps à corps avec la montagne, sans la cuirasse des nylons, des casques et des baudriers sophistiqués.

Alexandre Burgener (cliché Werhli)

Ce Larousse de l'alpinisme se composait de 428 pages, de centaines de dessins et de photos : 550 grammes avec os, c'est à dire couverturecomprise, et l'épaisseur d'une entrecôte pour Tartares adultes. On y trouve tout ? Presque, car s'il y est fait mention des pitons, les pesantes "barres à mine" d'autrefois, et de leurs diverses utilisations, il y manque les pitons modernes. En 1913, lors de la sortie du livre, les pitons, les vrais, et les mousquetons, abordaient à peine le stade expérimental dans les lointains laboratoires du Kaisegebirge.

Une rusticité élémentaire caractérisait la technique alpine au temps de Georges Casella. Il en était de même pour celle de la photographie ; aussi certaines illustrations nous montrent-elles des messieurs distingués, en costume de chasse, se hissant, très contractés, sur des rochers où l'on s'attend à voir surgir les plus maladroits des ruminants ; d'autres paraissent fort préoccupés par d'innocentes "pentes" de neige frisant la quasi horizontalité, heureusement pour eux des piolets aux longueurs dehallebardes leur évitent de s'agenouiller pour tailler.

Pesants vêtements en drap de Bonneval, gilets barrés de robustes chaines de montre, chaussures au cloutage en machoires de crocodile, piolets énormes qui auraient pu éventrer des aurochs, guides farouchement barbus aux larges chapeaux évoquant la silhouette des pionniers de l'Ouest... Non, des pionniers de l'alpinisme, et nous ne pouvons les regarder qu'avec sympathie car ils ont des notres ; du Cervin au Capitan rien n'a changé.

Georges Perry Ashley Abraham

traversée Charmoz-Grépon 1900

Au delà de ce côté folklorique, tout plein du charme un peu désuet des choses du passé, il est des problèmes qui semblent éternels. Dans sa préface, le Président du Club Alpin Français parlait de "la conservation et la restauration des beautés naturelles de la montagne" ajoutant "il ne s'agit pas de sacrifier l'utilité générale à la simple beauté des montagnes pour la satisfaction esthétique d'une élite", et il est également question du "maintien des populations dans des régions qui pourraient nourrir de nombreux habitants et qui se transforment en déserts". Alors on peut imaginer que l'an deux mille et quelques, lorsque la mer de béton, je dis bien mer de béton, aura submergé le monde, il restera peut-être un arbre, et de bouillants écologistes interviendront, j'espère avec plus de succès que par le passé (notre présent).

J'espère aussi qu'il y aura encore des hommes qui de cette terre ne verront que les montagnes et n'auront qu'un aspiration, être avec elles et les gravir. Ceux-là seront certainement animés par les mêmes pensées que celles de Georges Casella : "Dans le gout de l'escalade il y a la joie de la lutte, la folie du jeu, l'amour du danger et le plus candide sentimentalisme". A moins qu'ils ne préfèrent cette autre phrase : "La montagne symbolise l'aventure rude et rapide, la passion de la lutte, la joie de l'effort, la gloire de la conquête."

Georges Livanos