préface Mestre

Préface Mestre

Catherine et Michel MESTRE -

"Randonnées alpines dans les Dolomites" Arthaud 1985

Qui était Dieudonné, Sylvain, Guy, Tancrède, dit Déodat de Dolomieu, né à Dolomieu, Isère (1750-1801) ? Allons, malgré ce langage "Petit Larousse", ce n'est pas méchant à deviner, une question à cent francs. Dolomieu, Dolo, Dolomites .... Top, bravo ! Eh oui, c'est lui l'inventeur des Dolomites ; enfin l'inventeur, n'exagérons pas. Les Dolomites avaient commencé à naitre quelques deux cent millions d'années avant la venue de Monsieur de Dolomieu, au sein de mers que nous ne pouvons concevoir, de par la volonté (chi lo sa ?) d'un personnage assez célèbre puisqu'il a créé ce monde et bien d'autres. Plus tard, sculpteur ô combien habile, il enlèvera un morceau par ci, un morceau par là, fignolera une tour, une arête, et laissera aussi de grands murs lisses, en avant-gardiste, de l'architecture moderne..... ou peut-être était-ce simplement un dimanche. Ainsi se sont formées ces silhouettes que nous admirons, même entourées du flou des brumes, à la manière des élégantes d'autrefois qui jouaient habilement de leur voilette pour séduire.

Monsieur de Dolomieu, homme de science, géologue, ne mettait aucune légéreté dans son étude des Dolomites. Il les a examinées avec la minutie du savant ; il en a découvert et révélé la composition, ce qui lui vaudra un hommage rare : elles porteront son nom. Je vous ferai grâce du carbonate, du calcium, du magnésium ; beauté et formules scientifiques ne peuvent s'accorder. Oserait-on "traduire" Marilyn Monroe en analyses critiques ? Les Dolomites sont belles, c'est tout,et j'aurais dû écrire, et je l'écris : C'EST TOUT !.

Le début des tentatives vers le Mont-Blanc date de 1760. Dolomieu a abordé les Dolomites 25 ans plus tard ; le monde inconnu des glaciers passionnait davantage les savants que ces sommets aux altitudes modestes.

La découverte des Alpes a débuté tout doucement comme la petite source qui devient lentement un grand fleuve. La découverte des Dolomites suivra le même parcours. Les premiers "voyageurs" - les touristes n'existaient pas encore - s'aventurent ; ils sont évidemment anglais ; on gravit les premiers sommets, les plus importants bien entendu. L'esprit exploratif devenant esprit sportif, le niveau de difficulté ne cessera de s'élever pour en arriver, un jour, aux super-directissimes-super-artificielles, pour certains le dernier stade d'une sulfureuse décadence, et ils les traiteront de "vie ferrate".

Les vie ferrate (voies "ferrées" sans aucune allusion à la S.N.C.F.) sont, pour les rares qui l'ignoreraient encore, des parcours en montagne munis de barreaux scellés dans le rocher, d'échelles et de cables méatlliques, ce qui évidemment est le sommet des techniques artificielles. les intérêts économiques de stations ou de vallées à "valoriser" ont modifié les éthiques et les modes ; la roue du temps à tourné et dans une montagne pas encore tout à fait codifiée, les ferrate ont trouvé leur place. De toute façon, on a bien admis les refuges, le train du Montenvers et les téléphériques, et ils altèrent davantage le paysage ; pourquoi aurait-on condamné les ferrate et privé des milliers de gens du plaisir qu'elles leur procurent.

Catherine et Michel MESTRE ont découvert "leurs" Dolomites près de deux cent ans après ce cher Dolomieu. Attirés par de merveilleuses images, des livres, un jour, à la question : "Ou va-t-on cet été ?", ils ont trouvé LA réponse : ils ignoraient qu'elle les aménerait à écrire cet ouvrage. Après quelques sentiers "G.R." ou Hautes Routes sagement numérotées, après les forêts et les alpages "peignés et pomponnés" comme l'a dit l'immortel Daudet, ils se sont trouvés face aux glacis désertiques des grands perriers, au pied des immenses murailles pâles couronnées d'arêtes lointaines pleines de secrets. Fascinés, ils entendaient déjà les friselis des brises jouant des campagiles étranges, c'était un appel ; grâce aux vie ferrate ils ont pénétré dans ce monde qui les a enchantés.

Si les ferrate ne son pas vraiment de l'alpinisme, elles ne sont pas non plus de banales promenades pour randonneurs innocents. des difficultés il y en a, l'effort est souvent soutenu, le danger existe, et quelques regards au temps, au mauvais bien sûr, peuvent s'avérer salutaires. Catherine et Michel MESTRE ont rencontré une autre difficulté lors de l'élaboration de ce guide, sous la forme d'une documentation en général incomplète et dans des langues où le français ne faisait que de furtives apparitions. Traduire les textes italiens ? On peut se débrouiller ; il est bon toutefois de se méfier : la "parete a sinistra" n'est pas forcèment sinistre, c'est simplement la paroi de gauche. La langue allemande, elle, présente, surtout pour les latins, et - j'en suis - des difficultés comparables au chinois le plus élémentaire ; Michel heureusement était là. C'est donc en pataugeant dans la complexité de textes bourrés de nébulosités et d'incertitudes qui pimentaient leurs courses de pincées, que dis-je, de pelletées de condiments divers, que l'idée leur est venue de rédiger ce guide. Michel jonglait avec les dicos,, Catherine avec les cartes et les croquis : une cordée homogène se lançait dans l'entreprise.

Leur "travail" ? D'abord parcourir à peu près tous les itinéraires décrits, du sentier qui s'amorce à l'angle du bistrot du village jusqu'à cette dernière vire sous le sommet, si peu évidente et à peine évoquée. Avec un souci d'exactitude proche parent de la maniquerie, bardé de cartes, dégainant l'altimètre ou la boussole, ils ont tout inscrit, tout vérifié. Et là, je vais leur jeter ma pierre : n'avez-vous pas trop facilité la tâche de ceux qui vont venir ? Une partie de leur plaisir n'en sera-t-elle pas altérée, une autre viendra-t-elle contrebalancer ? La montagne est un problème d'équilibre.

Pendant quatre ans, pour Catherine et Michel, aux innombrables heures passées sur le terrain s'en sont ajoutées bien d'autres au moins aussi agréables. Etre devant sa feuille de papier, compulser les notes de l'été, les cartes .... On revit, on imagine, et parfois devant une photo on pose la plume, on rêvasse, l'encre sèche .... J'en sais quelque chose.

Alors ces MESTRE seraient-ils des égoïstes ; l'auraient-ils écrit pour eux, ce bouquin ? Sans doute un peu - et tous les auteurs en font autant - mais ils ont voulu aussi vous aider à connaître ces montagnes que j'aime, qu'ils aiment et que vous aimerez. J'arrête cette conjugaison du plus beau des verbes en vous disant simplement : "Allez-y". Peut-être découvrirez-vous quelques erreurs dans cet ouvrage. Pourquoi pas ? Il en existe bien dans les dictionnaires les plus sérieux. Pour ma part, plaisir un peu sadique, j'aime assez coincer un auteur en débusquant les défauts, les omissions traitresses,les fautes (cela me console des miennes) ; mais ne soyez pas trop pointilleux, ne tirez pas sur les pianistes : ils ont joué pour vous.

Georges Livanos