le congrés de Turin

Le congrés de Turin

Georges Livanos

"BEN MON VIEUX" Comme s'il pouvait être sérieux de prendre au sérieux une aussi peu sérieuse activité" (AU DELÀ DE LA VERTICALE 1956)

Tout le monde aura traduit, Il s'agit du compte rendu intégral d'un congrès sur "l'Alpinisme moderne", il s'est déroulé à Turin. Dès l'introduction, l'avalanche s'abat : "Le congrès s'est proposé comme finalité un débat utile et concret, donc pas trop philosophique ou moraliste, sur les problèmes pratiques.... il a tenté d'analyser comment nait un alpiniste, de quel milieu il vient, et, dans quelle mesure ses motivations sont d'ordre sportif ou sentimental, proviennent de la littérature alpine, des mythes et légendes, ou des théories héroïques de l'individualisme exacerbé".

Ouf ! Non, pas de ouf, car on s'interroge aussitôt après sur "l'humanisation de l'alpinisme" qui peut être transformé en une activité équilibrée, spirituelle et technique, pas nécessairement visionnaire, angoissante et incompréhensible". Visions, angoisse, mystère... ça se Frankensteinise !

Il parait en outre que "l'alpinisme est devenu une activité de masses, évasion de masses ; il aborde des problèmes sociologiques, psychologiques ...." Pourquoi pas rigologiques ou ridiculogiques ? Ben mon vieux !

Je m'étonne d'une absence : le freudisme. Il pourrait élargir le débat vers ceux qui aiment s'enfoncer voluptueusement dans de profondes cheminées ou d'autres que fascinent les formes suggestives d'aiguilles vigoureusement dressées dans le ciel. J'aurais alors écrit : BEN MON VIEUX !

Et comme ces valeureux congressistes ne semblent pas avoir besoin de bouteilles à oxygène, ils envisagent sans la moindre hésitation, le rôle de l'alpinisme dans la société et les valeurs qu'il dépense au lieu de les utiliser d'une meilleure manière ! .... Comme si, pour lui, il pourrait y en avoir de meilleure ! C'est presque navrant.

Et dire que les joueurs de boules, dans leur sagesse, n'analysent pas, eux, comment leurs actes s'insèrent dans le cadre de la société moderne, face à ses tensions, à ses agressivités potentielles ; pendant un instant cosmique de l'univers, une sphère, image de la planète, faite d'un métal issu de cette planète, s'échappe de la main créatrice de l'homme pour s'inscrire dans la courbe incertaine d'un destin qui peut amener l'addition à se gonfler d'une tournée supplémentaire de pastis.

Ainsi une fois de plus c'est reparti: tables rondes, congrès, séminaires ... On parle,on discute, on dissèque, on s'agite, on s'interroge, on s'introspecte. "Débat utile et concret" ... En est-il jamais sorti quelque chose de concret de ces fameux débats. Ils ressemblent lamentablement à ces duels politiques bidons avec balles à blanc où tout le monde se relève après le dernier acte pour de mutuelles congratulations, l'absence d'un véritable public présentant l'avantage d'éviter des sifflets souvent largement mérités.

Mes amis italiens pourront s'étonner de mes attaques : qu'ils se le disent bien, mon tir n'est dirigé que sur des manifestations actuelles et momentanées, des modes ... auxquelles j'espère qu'ils ne croient pas.

Face à ces cohortes de "penseurs", il y a d'autres grimpeurs. Ils vont en montagne tout simplement, parce que cela leur plait, qu'ils aiment les fleurs ou la compétition forcenée ; ils ne se cassent pas la tête pour "savoir pourquoi", ils ont l'élégance de ne pas la casser aux autres, et ils leur arrivent souvent, en pensant à ces penseurs qui ne pensent pas qu'il est nécessaire d'avoir des pensées pour penser, d'évoquer la mémoire du Général CAMBRONNE.

Et je peux en servir autant aux suffragettes du sestogrado féminin qui enfoncent vaillamment des portes largement ouvertes depuis des décennies. Contestait-on Paula Wiesinger ou Mary Varale ?

Et je peux en servir autant à ceux qui nous assènent sans répit que l'escalade libre s'est arrêtée à Comici et Tissi. J'ai le plus profond respect pour les grimpeurs de cette époque, j'ai mesuré dans leurs voies combien ils ont été habiles, forts et grands, mais il ne faudrait pas croire que pendant quarante ans, le principal souci de plusieurs générations d'alpinistes a été de planter des pitons et de passer en artif ce qui aurait pu l'être en libre. Les grimpeurs se sont toujours efforcés de pitonner le moins possible, même si l'éthique d'aujourd'hui n'était pas leur raison première. Certes au temps des grands problèmes l'important était d'arriver au sommet, mais il n'était pas moins important de ne pas rester une semaine dans une paroi. Quant à la dernière vague, celle des capelloni en jeans, celle qui écrit la Yosemite story, elle démonte que l'idéal des maitres d'autrefois est toujours présent, Preuss et Dulfer ont des successeurs, d'admirables successeurs.

Et je veux en servir autant, et davantage, à ceux qui prétendent règlementer, même moralement (c'est déjà un début), l'activité des grimpeurs, condamnant les pitons au profit des coinceurs (le purisme de ce nouveau moyen artificiel n'est pas très évident) et allant jusqu'à nous affirmer, avec un aplomb au tungstène, que l'escalade solitaire est plus sure que l'escalade en cordée.

Comme ces gens sont ennuyeux avec leurs théories et surtout leur manière de les présenter : à les entendre l'évolution de l'alpinisme serait d'une importance vitale et planétaire pour l'humanité. De plus, il semble que ces défenseurs d'une escalade libre que personne n'a jamais attaquée aient perdu de vue ce qu'est l'escalade libre. L'escalade libre ? C'est faire ce qui plait, où l'on veut, quand on veut, comme on peut. Même dans une voie d'artif, le grimpeur est libre, il cesserait de l'être si on lui imposait une "règle du jeu". L'incitation à l'emploi de méthodes particulières est déjà déplorable, c'est un premier petit pas vers une règlementation. On préconise le solo, les coinceurs, le hammerless, le sans-oxygène, et de petits pas en petits pas, oui, l'escalade libre pourrait un jour cesser d'exister. Le cercle se sera refermé : les alpinistes auront détruit l'alpinisme.

Ces "problèmes", et d'autres moins importants à mes yeux, ont été abordés au cours de ce congrès. Vous l'imaginerez sans efforts, leur compte-rendu ne m'a pas follement passionné. Une réplique mérite d'être retenue :

"DINO RABBI : j'ai suivi avec intérêt tout ce qui a été dit."

"ANDREA MELLANO : Tu es robuste !"

J'en connais qui vont s'écrier : cette fois c'est cuit, le Grec est passé du côté des vieux schnocks !

Mes réponses ne sont pas d'aujourd'hui :

"La véritable conquête ? Elle ne demande ni cotations ni étriers. Il suffit d'être seul dans un coin de montagne, et de rêver".

(ALPINISME 1950)

"On a prétendu que le récit d'une course intéresse moins que l'étude du mécanisme des pensées qu'elle provoque ou des raisons qui poussent à l'entreprendre. La recherche avide de ces raisons provient elle de ce que beaucoup ignorent pourquoi ils vont chercher ce qu'ils trouvent en montagne ? A moins que, n'y trouvant rien, ils en soient encore à se demander ce qu'ils y cherchent".

(AU DELÀ DE LA VERTICALE 1956)

"Comme s'il pouvait être sérieux de prendre au sérieux une aussi peu sérieuse activité"

(AU DELÀ DE LA VERTICALE 1956)