la vie des

survivants

La vie des survivants

Bulletin du G.G.M. 1963 - Jacques Brès

Dans la plaine, le raisin gonflait et se tordait sous le soleil ; sur l'Alpe, le Roi suait et se desséchait jour après jour ; les survivants du Roi, le gosier sec, les joues creuses, affrontaient l'ultime course la plus périlleuse, la plus incertaine, la course au fils sacré du Soleil : le vin, éternel terrain de la fragilité de l'équilibre humain...

Ils pénétraient à grands flots dans la vaste demeure, à leur tête l'empereur des Hellènes, de pourpre vêtu, le rire sarcastique, le geste prometteur derrière, ses centurions, plus loin les cohortes...

tel Roland à Ronceveau, l'hellène se saisit d'un cor (de bouteille) et sonna le litre... ses centurions reprirent d'un geste frénétique l'acte consacré, ils le prolongèrent même jusqu'au dernier souffle, jugeant ainsi le vide que créait l'absence d'un des leurs : Le Breton (d'origine).

Le Breton, centurion de valeur, aux décorations multiples tombé l'an 61 dernier sous les coups d'un ennemi félon, rebelle, véritable sauvage au pagne vert, qui depuis fuit encore (et pour toujours).

Le Breton tombé dans le plus dangereux des abimes : l'achat d'une Bretonne sans frein, ni rêne, indomptée pour tout dire, passée maitresse dans l'art de la diversion.

Nous décidâmes à l'unanimité, d'agir, de faire quelque chose pour Le Breton... d'un seul geste prompt et coordonné une longue théorie d'avant bras replongèrent vers les cors (de bouteilles)... pour Le Breton le vin était cuit.

Le festin commença : Bouillabaisse, rôti firent leur entrée avec la benoite Rodrigue qui, dans un débit cornélien (une tempête pour un crâne) luttait entre le devoir de servir les plats et sa flamme inavouée jusqu'alors pour un professionnel des pâtes (à cinq doigts bien sûr) Montagnac. Ce fut alors un jazz de contes, des contes de Gay-dans et de Gay-sport. Rodrigue reconnaissait en eux les vélos sans selle de sa jeunesse mais toujours en pointe il exhalait maintenant les petits et grands pics du Montagnac de sa vieillesse : agité de première pédalante, il montait le Grand Pic, descendait le petit, engageait des tyroliennes entre l'un et l'autre, tantôt sur le roi, tantôt sur la glace, stoppé par les gendarmes, calotté par les températures les plus osées jusqu'au 51... ténor de la pédale ; des tyroliennes fusaient de part en part - sa dernière : "le Grand Beau est à l'eau chauve qui peut".

L'averse approchait, le Grand Beau fixe jusqu'alors menaçait, le tonnerre s'installa et fit table rase, des arcs en ciel sillonnaient l'éther, tel un charlatan du ciel, l'éclair rapide, précis, le rouge et le rosé, en un flux et reflux rapide, précis, aveuglant bientôt ; la foudre, en un dernier sursaut frappa.

Après une telle incursion dans les altitudes de l'ivresse, déchirant les brumes opaques de l'alcool nous entrevîmes la Grande Prêtresse des Hellènes, qui vidant en un rythme de plus en plus accéléré les fonds de champagne, tirait sur un mégot d'un air très cabotin (Zazie dans le métro).

Troquant un litron de rouge contre un baptême à l'eau, Lantheaume aveuglé par les contrastes de couleurs s'indigna, cassa quelques pieds, tandis que Marcus les photographiait.

Roger, le lendemain ne se décidant pas à tourner La Page, fit l'Angel-Vin.

Vivants nous l'étions tous plutôt saouls que sur.

Jacques Brès