Témoignage de Robert Gabriel

Témoignage de Robert Gabriel

Georges Livanos 1923 - 2004

(paru dans Cîmes)

Georges Livanos, dit "le Grec" n'est plus, il nous a quitté le 22 mai de cette année 2004 à l'âge de 80 ans. Georges est né à Marseille et dès l'âge de 13 ans il sait déjà qu'il sera alpiniste. Il passe ses vacances avec ses parents soit en Oisans soit à Chamonix. Il lui est agréable de voir chaque jour des alpinistes partir pour quelque course, il se voit déjà, lui, en train de se mettre en route pour parcourir ces montagnes qui l'entourent et l'attirent.Nous sommes en 1937, il a 14 ans, c'est son père Ulysse Livanos et le guide Alfred Burnet qu'il réalise sa première course et gravit son premier sommet, l'Aiguille du Tour. C'est le départ d'une vie consacrée à la montagne et qui ne s'éteindra qu'avec la disparition de toutes ses forces.

En 1938, c'est le Clocher de Planpraz, la traversée des Clochetons et celle des Petits Charmoz, ainsi que l'aiguille de l'M, avec le guide Ulysse Simond, mais aussi toutes les voies classiques du rocher des Gaillands. C'est déjà l'escalade qu'il choisit pour sa vie.

Robert - Toit de la Valgrande

A Marseille il y a les Calanques, et dans les Calanques des rochers sur lesquels on peut grimper. Il est attiré par ces parois de calcaire. Ses parents le confient à une alpiniste de renom, Sylvia d'Albertas, qui le guidera dans ses choix et lui permettra même un jour de grimper en tête de cordée, chose qu'il affectionne le plus.

Dès 1939, le voilà lancé dans des voies d'escalade difficiles. Très vite il fera de grands progrès, d'abord avec des adultes tels que G. Clos, Chopard, Rostand, puis avec des copains du Lycée il accomplira de nombreuses premières, tout son esprit et son coeur ne pensent qu'à ses projets d'escalades, au détriment même de ses études. Les copains de lycée sont plus âgés que lui, Robert Tanner, qui a toute sa faveur, et Gaston Rébuffat furent de ceux-là. A 18 ans il a déjà un palmarès de premières impressionnante. C'est en décembre 1940 que nous rencontrons pour la première fois, je crois que nous nous sommes très vite jugés, nous avions le même âge et surtout la même foi.

A 20 ans, il doit accomplir, comme tous les jeunes de son âge, son service de Chantiers de Jeunesse. Il sera engagé dans les groupements de Jeunesse et Montagne, dans le massif de Belledonne, les Grandes Rousses, les Sept-Laux, les Aiguilles d'Arves et le Beaufortain. Là, il peut réaliser de vraies courses en montagne, le grimpeur devient alpiniste mais ce n'est qu'un début.

A la Libération la classe 43 est mobilisée, c'est dans l'armée de l'air que les jeunes de Jeunesse et Montagne sont affectés. Il se retrouvera à Salon de Provence (sur le front de Salon comme il aimait dire). C'est au cours d'une permission qu'il pourra effectuer la face sud de la Meije (voie Allain) avec Albert Ouannon et l'année suivante le Pilier sud des Ecrins avec Jean Franco. Puis c'est la démobilisation et, la saison suivante, il entreprend à Chamonix la face nord des Grands Charmoz et la répétition de la voie Grivel à la face sud du Grand Dru avec Charles Magol.

A la rentrée de cette même année, il me propose de faire cordée avec lui. J'étais prêt à le suivre et même à le "supporter". D'un commun accord nous devions grimper en alternance et suivre un entrainement de fer. Chaque dimanche nous couvrions six à sept cent mètres en montée et en descente, avec des marches d'approche au galop, cela faisait des séances de 12 à 15 heures, comparables à une course en montagne et par n'importe quel temps.

Notre méthode entraina dans notre sillage d'autres cordées capables de se risquer dans de grandes courses. C'est durant cette période que Sonia entre dans le Groupe, puis dans la vie même de Georges. Notre cordée sera désormais de trois, car en même temps Sonia partage notre vie d'alpinistes et bien entendu le même entrainement.

La dernière saison à Chamonix s'achève avec l'abandon des tentatives à la Ouest des Drus. Nous laissons l'affaire à nos amis parisiens qui ont plus de moyens et pas mal de supporters. C'est aux Dolomites que nous finissons cette saison, avec la face nord de la Cima Ovest (voie Cassin). Au refuge Longeres nous faisons la connaissance de Gino Soldà et d'Angelo Dibona, tous deux guides célèbres, aux noms prestigieux, des hommes au passé glorieux et d'une simplicité déconcertante.

La seconde saison aux Dolomites nous trouve à la Civetta, le paradis des grimpeurs. C'est là que nous pouvons nous essayer à de grands problèmes et ouvrir une voie parmi les plus belles de l'époque. C'est sur le grand dièdre de la Su Alto que nous espérons trouver chaussures à nos pieds. Il nous reste peu de jours avant la fin des vacances, Sonia est déjà partie car les siennes étaient achevées, c'était dommage, mais elle aura sa revanche vingt ans après.

L'attaque se fait comme d'habitude au début des grosses difficultés, dans une grotte bien connue de ceux qui ont fait des tentatives. en trois jours et deux bivouacs nous venons à bout de ce grand dièdre. Nous sommes aux portes du septième degré. Il est à signaler que cinquante après l'alpiniste Claudio Moretto, de Bassano del grappa, a réalisé la première hivernale et en solo de ce dièdre.

Les saisons se succèdent et notre adaptation s'affermit de plus en plus. Puis le temps vint où je fus dans l'obligation de me retirer pour d'autres astreintes. Georges va se retrouver seul avec Sonia, mais sa marche continue sans aucune défaillance. D'autres grimpeurs se succèderont pour former cordée avec lui : Pierre Favard à la face N.O. de la Civetta (voie Comici-Benedetti), puis Marc Vaucher et Roger Lepage pour la Sciora di Fuori, Marino Stenico à la S.O. de la Cima d'Auronzo. Je ne citerai pas toutes les courses et premières réalisées, mais seulement la face S.O. de Sialouze, le Pilier d'Archiane, Glandasse, le rocher de Heures, la paroi des Voûtes, le Crozzon di Brenta, la Torre Gilberti, le Corno del Doge, etc....

En 1963, Lucien Devies lui confie la direction d'un stage de haute difficulté dans les Dolomites. Cela se passe, pour la première année, au refuge Vazzoler à la Civetta, avec les guides Marcello Bonafede et Beppi de Franchesch. En 1964 ce même stage aura lieu à la Brenta avec les mêmes guides plus Cesare Maestri. Finalement le troisième et dernier aura lieu au Catinaccio, avec toujours les mêmes guides, excepté Maestri.

Vingt ans après, Sonia aura enfin sa Su Alto (un cinquième de siècle après). Mais la fin approche et une dernière première, avec un ami de la nouvelle génération, Bernard Vaucher (dit Barney) l'auteur du livre sur les Calanques Des Rochers et des Hommes (Prix du livre de montagne 2002 du G.H.M.).

Après plus de quarante ans de montagne, le Grec se met en veilleuse, mais ses récits paraissent toujours dans les revues, sa verve, elle, n'a pas vieilli. Ainsi finit celui qui fut le plus grand d'entre nous et qui a su, par son action, promouvoir par les Calanques et au-delà des Calanques, des générations de grimpeurs et d'alpinistes.

Soixante ans d'amitié partagée, sans aucune rivalité ni dispute. C'était mon Frère et même davantage. Il s'éteindra avec la lucidité qu'il a toujours eue. ses obsèques ont eu lieu dans l'intimité, sa proche famille, entourée des grimpeurs des premiers temps (enfin ceux qui restent) et aussi de quelques-uns des derniers. Le Président Marc Roussel représentait la section Marseille-Provence du Club Alpin Français.

Qui sait si de l'autre côté il n'y a pas aussi des Montagnes ? On peut toujours l'espérer, ce qui me permettrait en te disant "Adieu" d'ajouter :

Giorgo arrivederci !

Robert Gabriel 2004