les Dolomites orientales de Gino Buscaini

Les Dolomites orientales de Gino Buscaini

Montagnes Magazine N° 62 (BOUQUINS - Rubrique animée par Bernard Amy)

Mai 1984

Les Dolomites Orientales par Gino Buscaini

(Collection les 100 plus belles courses - Denoel)

La lumière vient de l'Est (un scoop, non ?) et si l'Orient nous a apporté quelques accessoires civilisations, des Dolomites sont arrivées les premières lueurs d'un alpinisme que l'on n'appelait pas encore de haut niveau bien que chaque époque se soit parée d'un haut niveau. Dans son parcours, la lumière commence, évidemment, par illuminer les Dolomites Orientales et quand le projecteur est manœuvré par Gino Buscaini l'éclairage est parfait : "Busca" est une valeur sûre. J'ai écrit un jour à son propos, après l'avoir enseveli sous une avalanche de miroitantes médailles : "il va falloir des lunettes de soleil pour le regarder, Buscaini". Eh bien, amarrez vos ray-ban, c'est reparti !

Et d'abord pourquoi Dolomites "orientales" ? Parce que les Dolomites sont "assez immenses" (jargon journalistique) pour être subdivisées ; beaucoup plus qu'un massif, les Dolomites constituent une région, et comme elles s'étendent sur près de 200 kilomètres, on peut y trouver des orientales, des centrales, des occidentales ; quant au groupe de la Brenta, il recèle, à lui seul, quelques dizaines de "Cent plus belles".

Cette formule, "les cent ....etc" est à présent bien installée, je dirais même standardisée ; heureusement Busca est arrivé, tel Zorro, et se lève un vent nouveau. N'hésitant pas à faire montre d'indépendance, il ne nous sert pas des spaghetti ou des steak-frites. Certes le fait que certaines courses soient archi-connues traduit leur intérêt, encore que les modes sévissent aussi en montagne, mais Buscaini nous révèle des beautés cachées, parées d'un charme discret ; il n'y a pas que les stars. Ainsi nous propose-t-il des voies dans le Sorapis, à la Croda dei Toni, au Bandiarac (vous ne savez pas où ça perche ? Lisez et allez-y !) ou encore au Corno del Doge et je ne cite pas cette dernière parce que c'est une voie du "Grec". Elle ne mériterait pas de figurer parmi les cent ceci mais plutôt parmi les sans cela si l'ambiance de la petite vallée ignorée où se dresse le Corno del Doge n'était bien plus, ö combien, supérieure à celle des Lavaredo et ... je n'y suis pour rien.

Gino Buscaini n'oublie pas cependant les itinéraires célèbres, aujourd'hui parfois surpeuplés, même dans les degrés les plus élevés, et il le constate avec une petite pointe de nostalgie, moi aussi ; mais si j'avais une quarantaine de petites années en moins, j'accepterais la montagne formule 1980 car il vaut mieux une montagne encombrée que pas de montagne du tout. Que les sestogradistes donc, se rassurent, ils les retrouveront dans cet ouvrage, les Cima Ovest, les Carlesso, Philipp et autres Scotoni.

Au début de son livre, dans les généralités, Buscaini présente non seulement les Dolomites mais également l'escalade et l'alpinisme dans les Dolomites. L'escalade et l'alpinisme ? ça veut dire quoi ? Continuez à lire et méfiez-vous : Tours de Vajolet et face nord de la Civetta = Petits Charmoz et face nord des Jorasses, il n'est pas interdit de comprendre. Dans ce chapitre initial, Gino Buscaini s'exprime avec bons sens ; le bon sens est souvent supérieur à l'intelligence et c'est pour cela qu'il y a tellement de gens qui ne sont qu'intelligents. Je sais bien que Buscaini ne sera pas toujours écouté, ainsi certains apprendront-ils par leurs propres expériences, et cela les amusera sans doute, que les "chaussons" sur des pentes d'herbe humide ou sur de vulgaires névés méprisés apportent quelques surprises ; que les coinceurs dans les petits murs jaunes compacts en apportent d'autres, plus relevées, que par mauvais temps les cascades dans les cheminées sont abondantes et assez fraiches et que ce "sous-Verdon" se permet à l'occasion d'être verglacé. Toujours dans ce chapitre ds généralités aussi bien que dans les notes relatives à chaque course, les cotations et les horaires sont honnêtes, raisonnables, de même pour le matériel qu'il convient d'emporter. Cet ouvrage, de toute façon, ne s'adresse pas aux virtuoses du septième degré (VII seulement ? Décidément je suis rétro) dont les gros sacs et les ceintures sou-surchargées de gadgets me font quelquefois lever un sourcil ... intéressé.

Gino Buscaini n'a pas, non plus, négligé les randonneurs en leur indiquant des parcours qui s'adressent aussi bien aux "à peine montagnards" qu'aux amateurs de grandes "ferrate" qui, eux, sont déjà un peu des grimpeurs. Dans ces ferrate l'alpinisme apparait et, là comme ailleurs, l'illusoire protection du casque ne remplace pas le coup d'œil "en haut". Les barreaux de fer lorsqu'ils sont mouillés et glacés perdent beaucoup de leur commodité et lâcher des barreaux ou des prises dans un passage de V peut amener la même, et regrettable, conclusion. Suivez Gino Buscaini, ses choix, ses conseils, vous ne les regrettez pas.

Après ces brassées de lauriers l'impartialité me fournit le sadique plaisir de quelques coups de griffes. Il faut bien un peu égratigner le dompteur et ses aides sinon on finirait par croire que le lion est repu de somnifères.

Alors ? Eh bien ce n'est pas "D." Rudatis qui a fait le spigolo N.E. de la Valgrande mais "Giovanni" Rudatis. Photo des vainqueurs de la face nord de la cima Grande ? Celui qui est à la gauche de Comici ce n'est pas Antonio Dimai, qui opérait un presque demi-siècle avant l'ère du sixième degré, mais Angelo Dimai. Quant à la photo "Réunion des guides du Cadore à l'époque des tricounis", on y voit de farouches moustaches et des piolets-hallebardes bien antérieurs aux tricounis inventés dans les années 30. On continue ? Allons, j'arrête, ces erreurs mineures relevées par un maniaque présénile ne sauraient altérer les qualités de l'ouvrage.

Mais que les collaborateurs de Buscaini ne se croient pas à l'abri de ma plume vitriolée, même si Alex Lucchesi est marseillais. Dis-moi, Alex, pourquoi les croquis ne correspondent-ils pas toujours aux photos ? Si grâce, ou malgré eux, il y a des gens qui repérent la voie Comici de la Cima d'Auronzo, c'est le monstre tiercé dans l'ordre.

Enfin, vous, chère Françoise Rebuffat, vous ne pensiez pas échapper au massacre, n'est-ce pas ? Alors, traduisez, mais francisez Françoise, dites plutôt "mon tailleur est bourré de fric" et vous ne serez pas pour autant ..... traditrice.

Je n'ai pas tout dit bien sûr, j'aurais pu me lancer dans le ronron habituel des critiques qui n'en sont pas et déclarer que l'intro-géographico-historico-géologique est passionnante, ou que l'iconographie (il me plait celui-là) est émouvante (en ajoutant que à une écrasante majorité les photos sont signées Buscaini) mais trêve de formules conventionnelles, rêvons, que ces rêves soient souvenirs ou désirs. Un autre désir ? Cher Gino, donne-nous encore un livre aussi beau, et si tu nous en donnes deux ce sera encore mieux. Allez : "Forza, Busca !"

Georges Livanos