verticalité du calcaire

Verticalité du calcaire

Joies de la montagne chapitre 4 (Réalités / Hachette 1965 - direction de Lucien Devies et Lionel Terray)

Il est dangereux de passer directement de l'école d'escalade aux Alpes, plus dangereux encore au début de la carrière du grimpeur qu'au début d'une saison. Un dernier rodage dans un massif de transition est la meilleure

Chapitre 4 verticalité du calcaire

par Georges Livanos

Cubes de calcaire caressés par le soleil et dont la couleur suivant les heures du jour varie du doré et du mauve au rose, les Tre Cime di Lavaredo se dressent à pic dans les Dolomites, terrain idéal du grimpeur.

Les sublimes élans de ces murailles ont, de tout temps, suscité chez leurs adorateurs des passions dont l'ardeur rappelle l'envolée vers le ciel de ces impressionnants massifs.

Le terme "escalade calcaire" évoque cependant plutôt le jeu des gammes subtiles sur les petits rochers des massifs d'entraînement que les hautes murailles des Ampes orientales sculptées par l'érosion en d'étranges et monumentales formes*.

En France, on a longtemps même accolé au mot calcaire la seule idée d'escalades réduites. C'est inexact : les Alpes contiennent davantage de grandes parois calcaires (je dis bien "parois") que de grandes parois granitiques. Cette notion de brièveté provient du fait qu'il n'existe pas, chez nous, de massifs calcaires importants. Par ailleurs, autrefois, la durée des vacances et celle des voyages rendaient les Alpes orientales un peu trop orientales aussi, et jusqu'à la dernière guerre, rares ont été les grimpeurs français connaissant vraiment le calcaire.

Notre pays possède un quart de l'arc alpin, des Alpes-Maritimes au mont Blanc, sans parler, ce qui est une façon d'en parler, des Pyrénées. A l'exception de ces dernières où le calcaire tente de se manifester, toutes nos montagnes sont d'un granitisme forcené tandis que les massifs d'entraînement, les "écoles d'escalade", sont pour la plupart calcaires, d'où cette conclusion :tout ce qui n'est pas granite est en dehors de la montagne et d l'alpinisme. Ainsi s'est implantée l'expression "petite escalade calcaire", gymnastique périlleuse, b onne pour de jeunes écervelés, indigne d'alpinistes (avec une majuscule !) sérieux et quatre-millesques, conscients de leurdignité, que dis-je, de leur "mission" !

L'escalade calcaire est une banche de l'alpinisme, au même titre que l'escalade granitique ou glaciaire. Elle a ses adeptes fervents, ses fanatiques, car les alpinistes sont des gens particulièrement passionnés. Et ne faut-il pas l'être pour accepter les dangers et les fatigues d'une activité aussi parfaitement inutile ? Encore que si l'on supprimait toutes les inutilités de ce genre il n'y aurait plus baucoup de différences entre la vie de l'homme et celle du boeuf ! Cette passion entraîne chaque alpiniste à vanter, avec une chaleur qui peut aller jusqu'à la mauvaise foi plus ou moins consciente, les prétendues supériorités de ses montagnes de prédilection. Le spécialiste du calcaire que je suis n'hésite donc pas un instant à déclarer : on ne saurait grimper que sur le calcaire, tout autre genre d'escalade n'est que la maladroite caricature de la forme la plus élégante et la plus raffinée de l'alpinisme ! Ma partialité s'adresse plus au côté esthétique de l'escalade qu'à son côté sportif. Les ascensions calcaires ne sont ni supérieures ni inférieures aux ascensions granitiques ou glaciaires de niveau comparable. Le violon est-il inférieur ou supérieur au piano ? Les techniques différent, l'art est au-dessus.

La caractéristique des courses calcaires est leur verticalité au philtre ensorcelant*, inconcevable tant qu'on n'y a pas goûté. Après ma première saison dans les Dolomites, paradis du grimpeur de calcaire (et je devrais dire du grimpeur tout court), j'avais écrit à propos de ces ascensions : "De partout des murs rougeâtres, hostiles, se cambrent contre le ciel à vous couper le souffle, disparaissent sous vos pieds à vous faire passer toute envie de descente. On a l'impression que seul un miracle autorise la pésence de l'homme dans ces parois et l'empêche d'être aspiré par ce vide inimaginable." ... C'est cela le calcaire !

La technique du calcaire est un jeu d'adresse, d'équilibre. Certes dans les grandes courses la force est indispensable mais bien plus sous forme de résistance que sous celle d'efforts violents. Grâce à la variété des prises on peut gravir la plupart des passages de plusieurs manières, à chacun de trouver celle qui correspond à son style personnel. C'est là qu'intervient toute l'astuce, tout le sens de l'escalade du grimpeur. Ceci, valable pour le "passage", s'applique aussi à l'itinéraire : "ça passe" partout, mais "ça passe" mieux à un endroit qu'aux autres, et il est difficile de s'orienter dans une paroi très raide. Bien sûr les voies de difficulté extrêmes n'abondent pas en possibilités de passage, encore qu'entre l'affreux, l'horrible et l'épouvantable un choix reste à faire... mais même dans la muraille cyclopéenne, jeu d'un fantastique architecte*, l'homme parvient à se frayer un chemin.

L'un des secrets du calcaire c'est la "traversée", la technique taurine, tête baissée et naseaux fumants, ne menant jamais loin en montagne. ces "traversées" consistent à tourner les obstacles en vertu de cette définition : l'art de l'alpinisme est de trouver la voie la plus facile dans la paroi la plus difficile, si difficile soit-elle. Conception dépassée par les extrêmes réalisations actuelles qui reposent plutôt sur la recherche de la voie la plus difficile, dans la face la plus difficile et dans les conditions les plus difficiles, mais il s'agit encore d'exceptions. Finesse du geste et de l'esprit, les traversées révèlent toujours le tacticien de l'escalade. Elles sont facilitées dans le calcaire par la présence de nombreuses vires qui permettent à l'itinéraire de s'insinuer délicatement dans les plus invraisemblables murailles.

Si l'on devait en croire les fabricants d'articles spécialisés, le grimpeur disposerait d'un assortiment complet des diverses panoplies correspondant aux différentes courses envisagées. Il est évident que la nature du terrain détermine l'équipement. A cause de leur faible altitude les montagnes calcaires connaissent plus la chaleur et la pluie que le froid ou la neige. Les parois sont d'une sécheresse saharienne. Sans aller jusqu'aux mirages, il n'est pas rare de grimper dans une atmosphère étouffante peu propice aux efforts intenses.

La beauté et l'audace de ces montagnes ne pouvaient qu'inspirer des actions belles et audacieuses à des gens qui allient le romantisme germanique à la fougue latine. Aussi est-ce dans les Alpes orientales que sont nées les escalades dîtes "extrêmes" et, aujourd'hui encore, elles demeurent le temple de la plus haute difficulté, un temple où sont gravés des noms impérissables :Dibona, Fiechtl, Piaz, Preuss, Dülfer, Solleder, Comici, Tissi... les noms des hommes courageux qui ont inventé l'alpinisme moderne.

Il ne faut pas croire cependant que les grimpeurs de calcaire, ceux des Dolomites en particulier, soient des sorciers disposant de quelques mystérieux talisman. La difficulté en escalade, vue sous son angle le plus simple, est un rapport entre la pente et la dimension de prises. L'ascension de ces ahurissantes murailles est réalisable parce que leur rocher est d'une richesse en grosses prises qui vient heureusement compenser leur inhumaine inclinaison. Moins raide mais plus lisse, le granite oblige à suivre d'étroites fissures et cheminées, d'où une escalde tortueuse, cachée, faite de reptations pénibles, de mouvements lents, laborieux... Quel contraste avec les lumineuses envolées du calcaire, avec ces ballets fabuleux où les pas s'enchaînent, prodigieux, où le grimpeur cueille les prises du bout des doigts et joue des pointes avec des gestes qui seemblent l'accompagnement d'une danse*. Lorsque, suspendu dans le ciel, on ne tient plus à la terre que par l'extrémité de quelques phalanges, il faudrait pouvoir voler pour ressentir d'autres émotions mais, justement, elles seraient "autres". De telles sensations ne sont pas l'apanage d'une élite de virtuoses aux muscles d'acier ; l'alpiniste moyen éprouvera des joies identiques. Les joies de l'escalade sont relatives à l'habileté de chacun et le calcaire offre sa verticalité à tous. Il m'est arrivé de gravir pendant trente ou quarante mètres, au-dessus d'un vide formidable, des murs rigoureusement perpendiculaires, qui ne présentaient pas plus de difficultés que la montée d'une échelle, tout en me donnant, à peu de frais, la charmante illusion d'être très fort. Sans mettre la moindre vanité dans cette remarque, il est agréable d'avoir l'impression de bien faire ce que l'on fait... surtout lorsque ce n'est qu'une impression. Et n'est-ce-pas toujours qu'une impression ? Mais qu'importe puisqu'elle nous comble ! Sur la paroi nord-est du Crozzon di Brenta, escaladée avec ma femme, nous grimpions dans cette magnifique muraille comme si nous l'avions gravie bien des fois. Résultat d'un excellent entraînement et d'une coopération parfaite, une infaillibilité miraculeuse guidait nos gestes. Libérés des soucis techniques, nous avions cet état de grâce où l'on a la sensation de se déplacer dans l'air d'un monde surnaturel. Pour nous, ce monde était fait des dalles infinies qui montaient à nos côtés, et des neiges de la base qui s'éloignaient sous nos pieds cependant que le ciel lumineux se penchait doucement pour nous accueillir. Ce vide, qui caractérise les escalades calcaires, est une difficulté d'ordre purement psychologique. que le vide soit terrifiant ou non, la chute, de toute façon, se termine mal. pour le nageur, peu importe qu'il flotte au-dessus de dix mètres d'eau ou de dix mille. Mais le vide est visible, mesurable, et lors des premiers contacts, il peut transformer des passages très innocents en une dure épreuve.

En France, du Saussois au Baou de Saint-Jeannet, en passant par le Dijonnais et les Calanques, les écoles d'escalades calcaires sont nombreuses et offrent, à leur échelle, toutes les difficultés, surplombs et même crevasses (la seule occaion pour le grimpeur de quitter terre et devenir oiseau*). Proches des grandes villes, elles ont familiarisé les grimpeurs amateurs avec ce rocher, au point qu'ils s'y révèlent supérieurs aux professionnels, ce qui vise à démontrer l'efficacité d'un entraînement régulier et de la spécialisation. Toutes les écoles sont bonnes ; cependant la plus belle, la plus intéressante, la plus étendue et, suprême avantage, la moins fréquentée, c'est celle des Calanques de Marseille. La qualité du rocher y va du parfait à l'éxécrable, il n'y a pas de pitons en place, et cette absence de commodités, en mettant le grimpeur dans des conditions semblables à celles de la montagne, lui procure déjà une expérience des situations difficiles.

Si remarquable grimpeur que l'on soit en école, il n'est pas mauvais de se souvenir que, dans l'expression "Alpes orientales", il y a le mot "alpes", qu'il s'agit d'entreprises d'une toute autre dimension, et qu'il convient de les aborder en alpiniste. En école "obliquer à droite" se traduit par un ou deux mètres, à la rigueur quatre ou cinq. Dans les Alpes, le mètre c'est la longueur de corde, et si ces erreurs d'échelle peuvent conduire à la écouverte de variantes aussi sensationnelles qu'imprévues, elles peuvent également entraîner de dangereuses séances de perfectionnement dans l'art de la descente en rappel. Il importe de savoir interpréter les notes techniques et surtout... de savoir s'en passer. La note technique s'inscrit sue le visage de la montagne*, visage que l'on qualifie d'énigmatique alors qu'il suffit, pour le comprendre, de l'aimer.

Un autre danger des écoles d'escalade est de fausser l'opinion, déjà très favorable, que l'on a de soi-même. Les Calanques exceptées, les massifs d'entraînement offrent un nombre limité d'itinéraires que l'on parcourt à longueur d'année et où l'on acquiert rapidement une illusoire virtuosité. Lorsque le spécialiste local, surtout s'il est encore débutant, a l'occasion de comparer ses talents à ceux des grimpeurs étrangers à ses rochers, il se hâte de déduire qu'il a atteint les plus vertigineux sommets de la technique. Aux contacts de difficultés similaires en montagne, dans une autre ambiance, sur un terrain noveau, ses flatteuses estimations ne tardent pas à subir quelques réajustements. J'en parle à mon aise étant passé par cette épreuve un peu humiliante, mais pleine d'enseignements.

Il est dangereux de passer directement de l'école d'escalade aux Alpes, plus dangereux encore au début de la carrière du grimpeur qu'au début d'une saison. Un dernier rodage dans un massif de transition est la meilleure des formules. Les difficultés pures des Alpes orientales sont inférieures à celles des écoles d'escalade, en revanche les fatigues sont immenses, les pluies et les orages d'une brutalité agressive, la recherche de la voie crée une tension d'esprit inaccoutumée, et les bivouacs sont plus pénibles que la lecture de leurs descriptions dans les revues alpines. Dangers, dangers de la montagne et ceux particuliers aux murailles calcaires : cheminées que l'orage transforme en cataractes dont le vacarme infernal couvre le fracas des pierres qu'elles entraînent ; pitons auxquels il est si facile d'accrocher des mousquetons en école et qui son difficiles à planter avec des crampes aux mains ; prises qui cassent sans prévenir, passages si "pourris" qu'ils semblent un océan de cailloux mouvant où l'on ne sait plus à quoi s'accrocher... Que de choses qui n'étaient pas prévues au programme de l'innocent grimpeur d'école !

Il est vrai que, par un heureux équilibre, l'exaltation du grimpeur est proportionnelle aux dimensions de l'abîme qui se creuse au-dessous de lui* ; porté par l'euphorie née de la passion qui l'a poussé à cette aventure, il trouve la force de la mener à bien. Il est préférable cependant de ne pas accorder une confiance aveugle à cette théorie et de ne compter que sur un entraînement méthodique. Dans la muraille nord-ouest de la Civetta par la voie Comici, une course à quatre-vingt longueurs de corde, j'ai vécu à ce titre une aventure très instructive. La tempête faisait rage. Présomption de l'alpiniste "arrivé", je menais une cordée de trois dont un "jeune grimpeur d'école". Bien qu'il ait démontré la plus admirable valeur, je suis certain, et lui aussi, que s'il s'était trouvé "seul maître à bord" il ne se serait probablement pas tiré d'affaire (et de quelle affaire !). Nous sommes sortis "sans casse" de ce cataclysme vertical parce que j'avais les dieux de mon côté... et surtout vingt ans de métier. L'escalade en école est une préparation qu'il faut mener avec intelligence, en fonction de ses aptitudes, sans prendre de risques exagérés. Je ne suis pas partisan des "horaires-records", ils contribuent rarement à la sécurité de la cordée, mais le grimpeur qui s'entraîne avec soin doit surveiller ses horaires. Une heure de plus dans les Calanques, ou au Saussois, se traduit théoriquement par dix heures de plus en montagne. Compte tenu de l'augmentation de la fatigue, ces dix heures deviennent douze ou quatorze et la belle course, bien menée par une magnifique journée, se transforme en une laborieuse expédition avec un bivouac sans matériel, Il n'est pas impossible que le mauvais temps ne saute sur l'occasion pour faire une apparition remarquée ; c'est alors la réaction en chaine : bivouacs, épuisement (d'où chutes éventuelles et probables), perte de l'itinéraire dans le brouillard, découragement... autrement dit tous les éléments pour réussir une magnifique catastrophe. Et pour cela à cause d'une misérable heure de plus qui n'avait aucune importance dans les modestes rochers où l'on s'amusait le dimanche.

On se sentira plus "gonflé" après avoir réussi les escalades difficiles d'un massif secondaire qu'après des courses de valeur identique dans un grand massif où elles feraient figure de parents pauvres. Ces massifs de transition se situent dansles zones "pré-alpines" : le Vercors est sans doute le plus adapté à ce rôle. Ce n'est déjà plus de l'école sans être encore de l'alpinisme : à l'est du Vercors, par exemple, le mont Aiguille - 2097 mètres, mont "inascensible" des anciens - dresse en un jaillisement vertical sa paroi de 300 mètres, défiant les hommes de son donjon calcaire*. Mais les sommets de la région culminent péniblement vers 2000, dans des plateaux herbeux aux descentes rapides et faciles. En dehors de ces sèches considérations techniques, la région est pleine d'attraits ; ses larges horizons, ses plateaux sauvages, des fleurs innombrables et des sapins audacieusement penchés sur les abimes la rendent très attachante.

Les Alpes orientales, les Dolomites en particulier, ne sont pas sans rappeler le Vercors avec leurs premiers plans de verdure que surmontent de lointaines parois, bleutées le matin, roses le soir. Lorsqu'on approche, les différences apparaissent. Les prairies et les forêts, moins rustiques, semblent un décor aménagé pour le touriste. Comment ne pas évoquer la fameuse "Compagnie" de Tartarin à la vue de ce "territoire peigné, pomponné...". Mais voilà que soudain, au-delà des derniers alpages à l'herbe rase, s'élancent les immenses glacis désertiques des pierriers, écrasés par des murailles austères, puissantes, inquiétantes, envoutantes... Et le grimpeur qui les découvre sent qu'il aborde un nouveau monde, l'étrange royaume de la verticale. Derniers cris de l'équipement alpin : le casque et les pitons à expansion. Par beau temps, les chutes de pierres naturelles sont peu fréquentes dans les massifs calcaires ; par contre, le rocher friable ne manque pas et, sans être indispensable, le casque assure une plus grande décontraction. Quant à ces fameux pitons à expansion, que l'on enfonce dans des trous forés artificiellement, ils ont soulevé de vastes polémiques : leur forage constitue une modification brutale de la nature. Condamnés sans appel par les uns, avec réserve par d'autres, les pitons à expansion sont en fait adoptés par tous mais uniquement à l'occaion de difficultés très exceptionnelles. j'allais oublier le "super-dernier-cri" de la technique : le hamac ; en matière de bivouac il représente le "grand luxe". Cette ferblanterie perfectionnée, fonctionnelle tourne aujourd'hui à l'obsession, beaucoup en arrivant à oublier que l'élément capital d'une ascension c'est l'homme, et non ces accessoires compliqués.

La technique, le matériel, tout cela s'apprend mais l'apprendre au fil des saisons est long et c'est en partie pour cette raison qu'ont été créées les écoles d'escalade. En partie seulement parce qu'elles sont aussi le moyen de rester toute l'année dans une ambiance que l'on quitte toujours avec peine à la fin des vacances.Pleine d'attentions pour le grimpeur, la nature se charge parfois d'un ravitaillement visant à la saturation à l'aide de pluies assez voisines de la trombe. La protection vis à vis de ce liquide pose donc un autre problème. La pluie n'est pas un phénomène accidentel dans ces régions, les gras pâturages et les opulentes forêts de la basse montagne en témoignent. A défaut de vêtements vraiment imperméables, de savantes superpositions retardent plus ou moins l'infiltration de l'eau. Le climat des Alpes orientales n'est pas très froid, aussi vaut-il mieux, je crois,rechercher l'étanchéité que la chaleur. Plusieurs couches de vêtements dits "imperméables" tiennent aussi chaud qu'une veste en duvet et sont moins lourds... une fois trempés (car c'est toujours ainsi que l'affaire se termine !). J'en ai fait l'expérience une fois de plus, en 1963, au cours de la première ascension de la Cima de Gasperi où, au bivouac, nous avons été pris dans un "bon orage" (curieuse manière de s'exprimer....). Sur une plate-forme déjà médiocre pour deux, nous étions six. Nos équipements variés m'ont fourni l'occasion de constater que les résultats étaient sensiblement égaux pour tous dans cette noyade collective, sauf pour celui qui avait choisi la formule "étanchéité".

Le matériel strictement technique, l'outillage d'escalade, qui comporte tout un assortiment de quincaillerie*, ne diffère guère de celui utilisé dans les autres massifs. L'encordement devra être assez long, trente à quarante mètres, les points de relais étant éloignés, et pour les voies très "artificielles", les cordes seront épaisses (10 ou 11 mm), elles fatiguent moins les mains. J'avoue en outre que ces grosses cordes, en escalade libre ou artificielle, ont de favorables répercussions sur le moral du leader. Il vaut mieux disposer de deux cordes de trente-cinq mètres que d'un seule de soixante-dix, si bicolore soit-elle ; lorsque l'un des brins se coince quelque part il suffit de l'abandonner et de continuer en simple corde et c'est alors que le "10 mm" vient à nouveau flatter l'oeuil du grimpeur. Les longues cordes sont néanmoins utiles pour les descentes en rappels, surtout en cas de retraite. Les plate-formes ne foisonnent pas en calcaire, et cette verticalité qui fournit de si grisantes sensations à la montée peut procurer de regrettables émotions à la descente, pour peu que l'aérienne descente en rappel s'effectue dans un vide impressionnant avec pendules et autres délices ; Ces dernières acrobaties sont améliorées par l'emploi d'une "auto-assurance", procédé grâce auquel j'ai pu envisager certaines manœuvres avec une sérénité inaccoutumée en pareil cas.