parallèle fictif

Le Tiers Visible

Raphaël Chipault - Gilles Gerbaud - Laurence Vidil

Exposition du 13 juin au 3 septembre 2022 

Construire le passé du futur 

Au tout départ la découverte d’une image trouvée dans un fonds photographique a attiré leur attention. Elle représentait un espace apparemment désert où plusieurs personnes posaient sans savoir encore ce qui pouvait être révélé et qui sera le site de Mari, un monde souterrain datant de plusieurs milliers d’années. Gilles, Laurence et Raphaël ont décidé de révéler à leur tour « ce qu’il y avait en dessous ». Non pour refaire l’histoire de ce qui avait été mis au jour, mais pour relier, au-delà des écarts temporels, la vitalité de ce qui avait été enfoui, il y a bien longtemps, au flux urbain et incessant de ce qui allait se construire au Bourget.  

Extrait du texte de Françoise Paviot (Publication de l’exposition Parallèle fictif) 


Depuis la colline artificielle construite des gravats du sous-sol parisien, Le Bourget se laisse deviner dans l’horizon continu de la banlieue.

C’est de là exactement, que nous descendons. Alors s’engage l’exploration de la ville, d’un carrefour du centre, des rues, des places, une dalle, un café au coin de la rue, les rencontres, et puis les entrailles du sous sol. Simultanément, apparaît en filigrane un imaginaire du passé, celui de Mari, cité Mésopotamienne de 5000 ans, une ville nouvelle.

Dans la ville du Bourget en mutation, sur les trottoirs, les lignes fluorescentes des réseaux et les tracés fantômes crayeux s’entremêlent pour composer une mémoire fictive.

Glaner, tracer, enregistrer, se saisir de l’espace public comme d’un atelier à ciel ouvert. Des actions pour conjurer ce que le nom Tiers Visible pourrait évoquer, l’impossibilité de voir plus que ce que la ville choisit de nous montrer. A l’opposé, il faut entendre Le Tiers Visible comme une incantation à fouiller dans les replis parfois invisibles de ce qui est là pourtant, à faire laboratoire de la banalité de nos espaces quotidiens.

Transformer une poubelle en outil de marquage, photographier à l’aveugle en rejouant les aléas de la photographie aérienne, enregistrer les sons témoins ou un chant inventé dans l’instant, relever les graffitis d’un fragment de mur pour composer une partition, cartographier les joints entre les pierres d’un pont ferroviaire, ou encore, faire le portrait du cafetier en figure votive.

De cette suite d’immersions, il ne faut attendre ni expertise ni étude, seulement une invitation partagée autour de l’exploration et de la conversation avec une ville qui nous a accueillis le temps d’une résidence prolongée à La Capsule.


Le Tiers Visible


Le Tiers Visible a été accueilli en résidence de 2019 à 2022 à La Capsule, lieu de résidence photo de la Ville du Bourget, et soutenu par le Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis dans le cadre du dispositif de résidence «In Situ».

Ouvrier du Chantier du Grand Paris Express, ouvrage Verdun  / Le Bourget © Le Tiers Visible 

Chantier du Grand Paris Express, ouvrage Verdun  / Le Bourget © Le Tiers Visible 

Le Bourget rue de Verdun © Le Tiers Visible

La démarche de la Capsule 

La Capsule est un lieu de résidence d'artistes dédié à la photographie. Elle s'attache à croiser différents acteurs et publics dans ses productions. Pour cette résidence photo, elle fait collaborer les artistes avec les chercheurs du Service du archéologique de la Seine-Saint-Denis.

Comment s'est formé votre collectif?

Croisant nos pratiques depuis 2012, nous avons choisi de nous constituer en collectif en 2017 afin de conduire ensemble et de confronter des recherches visuelles et sonores autour des signes de la rue, à Mexico, Rome, Paris ou à Marseille.

C’est à partir de l’observation des usages les plus directs comme les plus inconscients de la vie de la rue que se forme notre imaginaire commun de l'espace urbain.

C’est aussi la volonté de ne pas avoir un point de vue unique et d’échafauder plutôt une matière polyphonique : La prise de vue photographique avec plusieurs appareils permet de percevoir la diversité des choses et des corps de la rue et de superposer des visions singulières de la ville. Les enregistrements sonores et les repérages des signes urbains captent les traces de vie à travers les voix, les langages divers, les langues, les sonorités qui habitent les lieux. Les dessins empreintes ou lignes préfigurent de cartographies.

Ces expériences sensorielles et temporelles des espaces traversés, c’est aussi ce que nous tentons de partager lors des expositions avec les publics qui peuvent les percevoir de manière active.

Le Bourget © Le Tiers Visible 

Le tiers visible, c’est qui ?

Le collectif développe une démarche artistique qui associe l’image photographique, le son, la notation et le dessin, en résonance entre eux. Les projets s’ouvrent à chaque fois à d’autres collaborations artistiques.

Raphaël Chipault, photographe d’objets d’art et d’architecture (Musée du Louvre, Paris-Musées, etc.) mène une recherche photographique autour de la question de l’objet et de ses permanences. Gilles Gerbaud interroge l’appréhension que nous avons des espaces et de leurs usages et intègre dans sa pratique ce dialogue par différentes collaborations. Laurence Vidil, mène une recherche autour des écritures, des images empreintes ainsi que de la voix et de l’enregistrement sonore, sous  forme de notations ou de performances vocales. 


Comment s’est construit votre projet ?

Mari - Le Bourget, parallèle fictif

La Capsule - octobre 2019-septembre 2022.

Le projet mis en place avec Arnaud Lévénès à La Capsule sur la ville du Bourget a été un long voyage puisqu’il a commencé à l’automne 2019 par une résidence In-Situ (CG 93) et une immersion totale dans un collège où nous avons construit un travail de recherche artistique avec une classe de 5ème autour de la création de fictions sonores, photographiques et dessinées.

Après la période de confinement, nous avons pu reprendre notre projet avec la Capsule.  

C’est l’idée d’un jumelage imaginaire qui a nourri ce projet. Il s’est construit à partir de 2 lieux et 2 temps très loin l’un de l’autre : la ville du Bourget, notre lieu de résidence artistique pendant 2 ans et demi et la ville antique de Mari en Mésopotamie-Syrie actuelle. 

C’est une simple photographie en noir et blanc qui a éveillé un des premiers liens de ce jumelage. Cette image révélait la plaine immense de l’Euphrate et quatre hommes qui se tiennent debout, indiquant la place des vestiges encore invisibles situés sous leurs pieds. Au moment de la prise de vue on ne sait rien de ce qu’il y a sous terre. Nous avons alors épluché le reste de ce fonds photographique témoin du site de Mari et aussi regardé les objets issus des fouilles, que Raphaël photographie régulièrement au Louvre.

Par effet de miroir, nous nous demandions ce que la ville du Bourget, en mutation constante, avait elle aussi à nous révéler.

Parallèlement à l’image énigmatique de la plaine de Mari, un autre lieu a déclenché cette idée de jumelage fictif. C’est une colline non loin du Bourget, que nous avons tout naturellement nommé La butte du Bourget, qui domine l’autoroute A1 et la plaine de l’aéroport. Ce lieu désert nous est apparu avant tout comme un paysage mouvant, en perpétuelle transformation par l’apport journalier de matériaux issus des chantiers alentours. 

Nous avons vu grandir cette colline et nous avons commencé à y faire des sortes de relevés de fouilles, photographiques, dessinés, sonores... C’était un point de départ important pour notre projet car nous pouvions voir la ville d’en haut, observer sa topographie mutante et enfin y descendre progressivement comme pour découvrir peu à peu des strates archéologiques.

Ce qui était incroyable c’est que cette butte devenait pour nous presque la jumelle du Tell Hariri, sur le site de Mari, de par sa situation et sa morphologie (Un tell archéologique est une colline artificielle formée par accumulation d’anciennes habitations)

Nous sommes ensuite partis en repérage sur la ville du Bourget, explorant les lieux centraux comme les lieux isolés, les chantiers en cours, archéologiques ou du Grand Paris, des lieux qui révélaient les mutations comme les permanences du quotidien. Le présent en devenir du Bourget, telle une énigme, nous a autant questionné que le passé de Mari. 

Petit à petit, un lien imaginaire s’est tissé entre Mari et Le Bourget à partir d’éléments convergents : les chantiers de fouilles et de construction urbaine, les regards ou les gestes des mains des statues de Mari et les mouvements instantanés des corps dans la ville, les paroles croisées d’un monde antique et celles des murs dans la rue, les traces d’objets d’une archéologie à mettre au jour. 

En fait, nous étions en train d’écrire une fiction au Bourget à partir des vestiges du site archéologique mésopotamien, en imaginant leur part manquante. 

Nous avons investi 3 lieux qui nous semblaient des points importants d’exploration pour cartographier la ville : la butte, le centre-ville/Aviatic et la dalle/chantier du métro. Sur ces lieux nous avons inscrit de grands tracés, qui représentaient une symbiose entre les objets antiques de Mari et les objets que nous trouvions au Bourget. 

Nous pensions aussi aux figures de Mari, l’intendant Ebih-Il ou Ishtar, déesse homme-femme. Nous nous sommes demandés comment ils pourraient être hantés par nos lieux présents, ceux du Bourget. Et comment ils pourraient constituer, à leur tour, un corpus d’images d’une archéologie présente. C’est ce que laisse voir en partie cette exposition, dans ce projet d’une mythologie antique qui atterrirait au Bourget.

Parallèle Fictif

La publication présente une partie de notre recherche comme un voyage temporel et spatial, qui part d’en haut et qui survole la ville pour nous plonger dans ses entrailles.

Nos explorations s’y déroulent et s’ancrent, au fil des chapitres, dans les lieux choisis, les actions instantanées, les inventions, les choses trouvées, toute trace de vie d’un temps présent.

Elle témoigne aussi de notre temps d’immersion sur la ville. Nos rencontres des lieux et des gens qui vivent là et qui donnent vie à un quartier, autour d’un café au bout du monde, au croisement d’un carrefour central, sur une dalle où des ouvriers œuvrent à une réparation, près d’un jardin improbable cultivé par une personne invisible. Des traces toujours. 

Nos rencontres avec ceux et celles qui nous ont  expliqué plus spécifiquement ce que sont les chantiers de fouille ou de construction, et bien que gardiens des temps passé ou présent, nous parlaient  toujours des sols, des terres, la terre qui parle comme le disait un archéologue de l’INRAP ou la terre qui ruisselle, à 48m de profondeur d’un chantier du Grand Paris. Sur le site de fouille de l’Égalité prolongée, comme sur le site du tunnelier, dans les entrailles de la ville. Et toujours sous le regard de lapis-lazuli d’Ebih-Il, l’intendant de Mari, ville nouvelle de l’Euphrate, d’il y a plus de 4500 ans. 

Et enfin ...

Pour nous, l’élaboration d’un tel projet a été possible grâce à l’accompagnement et le partage des réflexions ainsi qu’aux moyens techniques qu’offre La Capsule et son équipe Arnaud Lévénès, responsable de La Capsule et Philippe Bréson. Grâce aussi au suivi éditorial et au travail de Mathieu Subra, graphiste,  

Benoit Demaria pour la photogravure et Sandrine Ayrole pour la relecture. 

Nous avons beaucoup échangé avec Sophie Cluzan, archéologue, conservateur du patrimoine et spécialiste du site de Mari, qui nous a nourri de ses précieux et poétiques éclairages et nous remercions également Pascal Butterlin, directeur de la mission archéologique française de Tell Hariri-Mari pour l’accès aux fonds photographiques. 

Nous remercions Françoise Paviot pour son soutien indéfectible.

Nous remercions pour leurs accompagnements sur les sites du Bourget Pascal Métrot, archéologue au conseil départemental de la Seine-Saint-Denis et Alain Berthier, directeur des fouilles de l’INRAP, ainsi qu’Amélia Boughattas, Ingénieur travaux chez Eiffage Génie Civil qui nous a fait descendre si loin sous la terre, David Goisnard de la Société du Grand Paris.  

Et nous remercions Martin Selze et Jérôme Lafon pour leurs présences sérieusement burlesques, ainsi que Morad Atia, Fahima Zergui, Demba Ba pour les moments de vie partagés à la Cantine du QG du Grand Paris et toutes les personnes rencontrées au Bourget.