DAO

Mémoire artificielle et Intelligence collective  

Mémoire artificielle et Intelligence collective  

DAO


Chu-Yin Chen et Daphné Le Sergent

Exposition ouverte du 19 octobre 2023 au 7 janvier 2024

Vernissage le jeudi 19 octobre 2023 à partir de 19h

 

Une nouvelle fois, la Capsule du Bourget est parfaitement en phase avec la thématique de la Biennale Némo. DAO est le nom donné à des “Decentralized Autonomous Organizations” ou “organisations autonomes décentralisée” qui désigne des communautés sur Internet formées par intérêt commun, allant d’une simple passion à un investissement financier.  

Chu-Yin Chen aborde le savoir-faire technologique de demain et les talents du futur au travers de la mémoire artificielle et de l’intelligence collective. Dans son installation en réalité augmenté, elle met en lumière les créateurs des semi-conducteurs : éléments essentiels de la révolution numérique et du développement de l’intelligence artificielle. Les publics entrent dans l’espace d’une Carte Mère, pour appréhender les logiques technologiques de ces objets de stockages ultra perfectionnés. 

Pour Daphné Le Sergent, l’image photo-réaliste générée par l’intelligence artificielle invente une véritable réalité parallèle. Un paysage maritime et sa table d’orientation proposent de saisir ces images dans le piège d’une logique unique et du développement économique. S’y adjoint un travail vidéo où l’IA modèle sa propre mémoire. On y découvre une civilisation fictive du passé, un DAO rétrofuturiste, ressemblant à s’y méprendre au monde maya, et venant, comme son reflet, questionner l’écologie de nos images photo-réalistes.

« Résidence de création à La Capsule dans le cadre de Némo – Biennale internationale des arts numériques de la Région Île-de-France, produite par le CENTQUATRE-PARIS, du 30 septembre 2023 au 07 janvier 2024 »

Ce travail a bénéficié d’une aide de l’État gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre du programme d’Investissements d’avenir portant la référence ANR-17-EURE-0008.

Diluvian stories, 2023 Photo-dessin,  63 x 80 cm

co-production Contretype, Bruxelles, et La Capsule, Le Bourget / Daphné Le Sergent ©

DAO / Daphné Le Sergent

Installation photographique

Comment êtes-vous devenu photographe ou artiste ?

C’est un engagement à plusieurs étapes, à commencer, enfant, par une fascination pour l’image et la littérature. Ma première photo? Je me souviens avoir vu mes parents et ma sœur dans le salon, il y avait un rayon de soleil. Je me suis dit que j’avais beaucoup de chance et que c’était une image de bonheur. J’ai décidé de la garder en mémoire. J’avais un animal en peluche à la main. Je l’ai frotté contre ma joue et j’ai associé cette sensation à l’image de ma famille face à moi, comme si cette association pouvait sceller les choses. Et puis, des études d’art à la fac d’Art Plastiques de Paris 1, une passion immodérée pour l’histoire de l’art. J’ai commencé par déployer un travail de diptyques de photographies, d’association d’images par paire et à participer à des exposition. Et puis, plus tard, après un grand bouleversement dans ma vie personnelle, j’ai découvert que certaines choses - que j’avais vécu à ma naissance - avaient trouvé place dans une nouvelle écrite il y a longtemps. J’ai décidé d’arrêter définitivement la critique d’art pour explorer ce territoire mnémonique qu’est la création et m’engager totalement dans ce travail.

Reversal, 2023

Tirage jet d’encre / papier amaté, 49 x 69 cm

co-production Contretype, Bruxelles, et La Capsule, Le Bourget / Daphné Le Sergent ©

Quels sont les thèmes qui vous inspirent ?

Pour moi, l’artiste ne pose pas un regard-œil, un regard qui reçoit l’image optique des choses, mais il est regard-chair, qui vibre avec la forme, qui l’embrasse à nouveau de vie.

L’œuvre ne résulte pas d’un procédé autonome relatif à la réalisation de l’objet lui-même, visant à la production d’un artefact ou d’une représentation. Mais elle se gorge des traces résiduelles de la mémoire sensible. Elle est cette mémoire cristallisée.

A partir de là, mon projet de recherche-création s’est déployé selon 3 axes :

- une observation de l’activité perceptive ; un questionnement sur nos habitudes perceptives et leur conditionnement culturel ; le regard pensé comme activité haptique en vis-à-vis d’une compréhension du geste et de l’habitus.

- un engagement auprès des formes artistiques reléguées dans les musées d’archéologie et d’anthropologie, rangées dans les collections des civilisations disparues ; faire le vœu que ces œuvres puissent receler une mémoire sensible et nous faire entr’apercevoir d’autres modes sensoriels, nous faire découvrir d’autres rapports au monde dans une période où la perspective marquée par l’anthropocène nous invite à questionner nos modes de vie.

- une réflexion sur nos supports physiques de mémoire. Nos sociétés ont fait de la mémoire un objet externe, un objet physique qui a un coût de fabrication, une durée de vie, une valeur économique ; cycle de travail sur la photographie argentique et l’extraction minière de l’argent ; cycle de travail sur l’image et la mémoire numérique en regard de l’industrie des semi-conducteurs et du développement de l’Intelligence Artificielle.

Prose de circuit imprimé, 2023 en collaboration avec atelier Heliog / héliographie, 26 x 33 cm

co-production Contretype, Bruxelles, et La Capsule, Le Bourget/ Daphné Le Sergent ©

Comment s’est construit votre projet de résidence?

J’ai rencontré Arnaud Lévénès, le directeur de La Capsule, grâce à Nathalie Giraudeau directrice du Centre Photographique d'Ile-de-France. De par ma pratique, celle de réaliser des images entre photographie et dessin et de renouveler les techniques d’hybridation pour chaque série, j’avais très envie de me lancer dans une résidence d’expérimentation et de production à La Capsule. L’occasion s’est présentée à la faveur d’une exposition à Bruxelles, à Contretype. 

Dans le cadre de ce projet, je souhaitais réaliser une vidéo sur les semi-conducteurs à Taïwan et sur la guerre économique entre la Chine et les Etats-Unis. J’en ai parlé à Chu-Yin Chen, une collègue de l’Université Paris 8 qui est d’origine taïwanaise. Chu-Yin m’a fait un accueil merveilleux et m’a proposé de m’aider dans mon projet. Petit à petit, ce projet est devenu notre projet et Arnaud Lévénès, en découvrant le travail artistique de Chu-Yin, a décidé de l’inviter aussi dans l’exposition réalisée pour la Biennale NEMO. Nous sommes parties ensemble à Taïwan, à l’Université Tsing-Hua dans laquelle Chu-Yin enseigne aussi, tout à côté du parc scientifique de Hsinchu où sont installées les usines de TSMC, la grande enseigne des semi-conducteurs. Nous avons interviewé des grandes figures universitaires et des scientifiques qui ont contribué au développement de cette industrie. Le projet s’est encore affiné avec la proposition d’Arnaud Lévénès de travailler sur l’idée de mémoire artificielle et d’intelligence collective. Nous avons également reçu le soutien d’ARTEC pour notre collaboration, permettant à ce projet de résidence de prendre de l’ampleur et de se construire.

Prose de circuit imprimé, 2023 en collaboration avec atelier Heliog / héliographie, 26 x 33 cm

co-production Contretype, Bruxelles, et La Capsule, Le Bourget/ Daphné Le Sergent ©

Semi-Sensible / Chu-Yin Chen

Installation en réalité augmentée

Comment êtes-vous devenue artiste ?

Une initiation singulière 

Mon désir de faire de l’art s’est manifesté dès mon jeune âge. J’ai eu la chance de rencontrer l’artiste Li Chun-Shan, aujourd’hui considéré comme le précurseur de l’Art moderne en Chine et à Taïwan. Sa méthode d’initiation était loin d’être académique : je pourrais dire selon une approche zen. Il disait « Je les laisse d’abord explorer un morceau de chemin sur lequel personne, même pas eux, ne se sont aventurés auparavant, afin qu’ils affrontent directement le monde intérieur, celui propre à la modernité de l’art1. » Mon initiation au dessin automatique par mon maître Li s’est faite par une transmission de non-dits, de demi-mots, de tête-à-tête dans un café, et par des tâtonnements dans le brouillard. Un destin s’est tracé nuitamment, somme toute, ces non-dits et ces demi-mots nourrissent ma réflexion tout au long de mon parcours artistique et constituent les clés d’accès au monde imaginaire.

Quels sont les thèmes qui vous inspirent ?

A la manière de J-M Basquiat – « Je ne pense pas à l’Art quand je travaille, j’essaie de penser à la Vie » – j’essaie de comprendre la Vie. Et bien que la Vie artificielle soit devenue le centre de mes recherches-créations, son univers n’est jamais loin de celle du réel. 

Au décès de mon maître, j’ai décidé de poursuivre le rêve qu’il m’avait inspiré ; je suis venue en France où je suis entrée à ENSBA de Paris. Quelques années plus tard, après un séjour à l’hôpital, mes interrogations sur la vie d’un tableau m’ont conduite vers le monde numérique d’où ANIMARE, mon premier film en image de synthèse 3D, a été créé. Face au cancer d’un très proche, je me suis demandé pourquoi des cellules pouvaient devenir rebelles. Afin de comprendre les principes de l’auto-organisation cellulaire, j’ai commencé à programmer la Vie artificielle dans le silicium dont le laboratoire de Morphogenèse faisait naître mes créatures virtuelles imaginaires. 

Ce parcours sinueux tente de saisir la Vie par des questionnements empreints pleinement d’un vécu où chaque évènement façonne en retour la découverte de nouveaux horizons artistiques.

Comment s’est construit votre projet de résidence ? 

En 2019, j’étais professeur invitée à l’Université Nationale Tsing-Hua (NTHU) à Hsinchu (Taiwan) avec mission d’y développer une filière d’Art et Technologies. Cette université située au cœur de la Silicon Valley taïwanaise entretient de nombreux rapports avec les entreprises de pointe installées dans ce parc scientifique, siège de TSMC, TSRI et ITRI. Puis de retour en France, à l’été 2022, mon entourage me demandait sans cesse des informations sur la raison et la manière dont les Taïwanais se trouvent vis-à-vis de cette situation de conflit avec la Chine qui était allée crescendo jusqu’à l’encerclement de l’île, et dont ils n’avaient connaissance que par les médias ou les réseaux sociaux. 

Une collègue de l’université Paris 8, Daphné Le Sergent, d’origine coréenne, travaillant sur un projet en lien avec les mémoires artificielles et naturelles, m’a exprimé son désir de comparer les deux grands fabricants mondiaux de cette industrie des semi-conducteurs, un sujet très sensible tant à Taïwan qu’en Corée. Et de plus pour Taïwan, elle servirait de bouclier face aux rivalités politiques et économiques qui opposent actuellement la Chine et les États-Unis. Or pour des raisons de confidentialités, les entreprises communiquent très peu dessus. 

Dans la situation actuelle, il était difficile de lire l’avenir, tant le status quo est difficile à tenir. Cette quête nous a toutefois conduites sur les lieux de fabrication des semi-conducteurs, en allant recueillir la parole incarnée de leurs fondateurs dont certains poursuivent leur carrière à l’université (NTHU) en faisant profiter les jeunes générations de leurs savoirs et savoir-faire.

Cette installation en réalité augmentée met en lumière l’esprit des hommes qui ont contribué à rendre possible la révolution numérique sur « la mémoire artificielle » par « l’intelligence collective » qui caractérise d’une certaine manière la résilience sociale taïwanaise. 

Les visiteurs entrent dans l’espace d’une Carte Mère où ils sont invités à scanner, avec leur portable, les glyphes des composants pour entendre la parole incarnée des Pères fondateurs, ou se connecter aux discours médiatiques que suscite cette bataille économique et territoriale.

1. LI Chun-Shan, « La plastique persiste et l’abstraction ne disparaît jamais », A collection of Articles by Li Chun-Shan, p. 125-127.