ça va chauffer

"La journée s'est bien passée. Dans le petit-monde* où Arthur* m'a placée je me sens bien. Il y a beaucoup d'écailles*. Tout d'abord une dizaine de Bermin*, des écailles peu intéressantes à mon goût car un peu hautaines, du style: " ouiiiii, nous venons d'un minuscule lac de volcaaaaan. Nous sommes une espèce trèèèèès raaaaare, nous avons besoin de protectiooooon, tatata, tatata..." Non mais des fois ! ils n'ont qu'à faire comme nous, les Oreochromis*. Nous aimons les voyages et nous nous adaptons aux pays visités. Personnellement un copain d'Arthur m'a ramassé dans une mare et j'ai voyagé très longtemps. Oui, une mare. C'est dire que nous savons nous adapter aux situations extrêmes. Même en plein été quand les eaux stagnent, nous arrivons à survivre. En quelques générations nous avons réduit notre taille et nous nous contentons de très peu. Survivre. Voilà un mot qui échappe à beaucoup d'écailles. Il en leur en faut toujours plus: une eau à bonne température, pas trop acide, mais pas trop calcaire non plus, suffisamment d'oxygène, pas trop de nitrate, une nourriture très soignée sans trop de proteines, sans trop de matière grasse, des vitamines... Et puis quoi encore. A trop en vouloir, on devient trop fragile. Je disais donc que dans mon petit monde il y avait une dizaine de Snyderae, mais aussi trois Maswa*, rescapés d'un groupe plus important, et qui sont toujours à se chamailler. De temps en temps j'en vois un qui perd un peu de nagoires par ci, un peu d'écailles par là. Il a beau se planquer des autres, il finit par être repéré et mourir un jour de ses blessures. Je n'arriverai jamais à comprendre cette espèce. Pourquoi se faire la guerre alors qu'on peut vivre en bonne entente? Il y a aussi autour de moi cinq crêtes rouges* . Quatre garçons pour une fille, LaBelleO. Elle est sans arrêt harcelée. A sa place j'aurais porté plainte depuis longtemps. Et puis il y a aussi une dizaine de ciel-bleu*, tous des mâles. Ca donne une certaine couleur dans le petit-monde, même si personnellement je préfère le noir. Ils n'ont pas une seule fille. J'ai cru comprendre, à discuter avec eux, qu'un jour Arthur voulait les faire changer de petit-monde. Il les avait amené avec des copines à eux dans un mille-petits-mondes*. Des gens comme Arthur venaient, regardaient les petits-mondes. De temps en temps l'un d'entre eux montrait du doigt des écailles et Arthur les attrapait. On ne les revoyait plus jamais. Souvent c'était un garçon avec deux filles. Du coup, quand Arthur a ramené les rescapés, il ne restait que les garçons. Bon, je parle, je parle, mais il faut que je finisse mon histoire. Tu es trop bavarde me dit toujours Oréo. Oréo, c'est mon amoureux. Il est beau avec ses écailles d'un noir velouté, ses joues blanches et ses lèvres... attirantes ... d'un bleu... Il est gentil, toujours à me faire la cour. Ca me flatte. Je l'aime.

Bref, la journée s'est bien passée, d'autant que je suis en fin d' incubation et qu' Oreo est à mes côtés. Arthur vient passer nous voir, comme tous les soirs, pour s'assurer que tout va bien. En pleine nuit je m'aperçois que quelque chose cloche. Il y a une agitation dans le petit-monde. Personne encore ne sait ce qui se passe, mais toutes les écailles sont mal à l'aise. Au bout de quelques minutes LaBelleO donne l'alerte: ça chauffe !!! On se regarde les uns les autres, on s'interroge et force est de croire que LaBelleO a raison. La température du petit-monde est en train de monter de façon anormale. D'habitude, c'est quand Arthur change une partie de l'eau que ça arrive parfois, mais pas à ce point et aujourd'hui Arthur n'a pas fait de changement. Il fait de plus en plus chaud. A tel point que certaines écailles comment à avoir des malaises. Ca commence à devenir inquiétant. Et Arthur qui n'arrive pas. Le temps passe et il fait toujours plus chaud. Il faudrait que ça s'arrête. On n'y voit pas grand chose car la nuit est tombée et l'angoisse monte à la même vitesse que la température. Toutes les écailles sont maintenant à la surface pour chercher de l'air. On interroge Einstein*, un vieux sage qui a la bosse des maths. Il suggère un réchauffement climatique, mais ne comprend pas pourquoi cela arriverait si rapidement et en pleine nuit. Il fait sombre et j'y vois trouble. C'est ma vue ou l'eau ? Le temps paraît long, très long. Quelques écailles commencent à mourir. C'est la panique. A qui le tour ? Nous avons beau aspirer l'air à la surface, rien n'y fait. Nos organismes ne supportent plus. Je touche des corps sans vie. Serait-ce la fin du monde comme l'avaient prédit les anciens? Mais que fait Arthur ? A l'aide !!! La température devient insupportable. Il ne reste plus qu' Oréo et moi de vivants. Il me regarde d'un air affolé et dans un dernier soupir murmure: "prends bien soin des petits". C'est vrai, il faut que je tienne le coup pour mes alevins jusqu'à l'arrivée d'Arthur. Je réunis mes dernières forces...

Quand la lumière est revenue, Arthur m'a retrouvée épuisée, prête à rendre l'âme, mais j'ai réussi ma mission. Si Oréo me voit depuis le paradis des écailles, il doît être fier de moi... »

* Mini lexique

Arthur: un humain qui s'occupe de ses cichlidés

Bermin: Tilapia synderae

ciel-bleu: Sciaenochromis fryeri

crêtes rouges: Labeotrophus trewavasae Thumbi west

écaille: poisson

Einstein: Cyrtocara moorii

mille-petits-mondes: bourse aux poissons

Maswa: Tropheus duboisi

Oreochromis: Oreochromis mossambicus

petit-monde: aquarium

Un petit bisou de mon amoureux

On était bien...

Là, c'est moi, juste avant le drame

mes bébés bien au chaud dans ma bouche

pardon, je voulais dire bien protégés dans ma bouche

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