Embryon de 0 à 21 jours

Oeufs, embryons et larves des cichlidés

de 0 à 21 jours

à propos de deux observations

Vous êtes vous déjà posé les questions suivantes: à quoi ressemble un oeuf de cichlidé dans la bouche maternelle, lors de l'incubation ? Quelles sont les étapes de son développement ? Par quelle magie cette petite masse arondie et en apparence inerte se transforme en trois semaines en un alevin prêt à affronter un environnement hostile ?

En 1998 j'ai cherché en vain des réponses dans les livres et sur internet.

La réponse ne m'est apparue que plusieurs mois plus tard.

J'avais alors dans mes bacs trois mâles et deux femelles Haplochromis (Xystichromis) Nuchisquamulatus qui étaient très prolifiques. Très régulièrement les femelles incubaient et je me retrouvais avec des pontes de 70 à 100 alevins. J'avais gardé une dizaine d'alevins pour le congrès de l'AFC à Vichy, en 2000. Je fus déçu de ne trouver aucun amateur. Les cichlidés du lac Victoria étaient peu demandés, j'aurais pu m'en douter. J'abandonnais définitivement l'idée de reproduire les Haplochromis Nuchisquamulatus, mais je trouvais que c'était du gâchis. Quel dommage de perdre tous les oeufs de cette espèce peu répandue. J'ai alors pensé qu'ils pourraient être utiles différemment.

1° OBSERVATION: Xystichromis Nuchisquamulatus

Je vous livre ici le journal que j'ai tenu à cette époque:

« 01/12/2001 - J0

Une des deux femelles Nuchi est sur le point de pondre. Elle est âgée de deux ans et demi et mesure onze centimètres. Elle a déjà incubé à plusieurs reprises. Un mâle s'apprête à frayer avec elle. Il vient de se bagarrer avec un autre mâle. Le vainqueur est reconnaissable à ses couleurs vives et sa mâchoire inférieure abimée. Le couple formé passe un moment à frayer. Je décide ensuite d'isoler la femelle dans un bac à part. Que la femelle Nuchi me pardonne, mais ses oeufs serviront à une petite expérience: je vais lui prélever un oeuf tous les deux jours pour le photographier et observer son devenir.

Haplochromis (Xystichromis) Nuchisquamulatus femelle

02/12/2001 - 1er jour

Je récupère la femelle en incubation dans son bac et avec le bout arondi d'une épingle à nourrice, je retire un oeuf que je place sur un support pour mieux le photographier. Sa consistance est souple, il paraît relativement solide au toucher. Il est marron, allongé. Un mètre ruban posé à côté me donne ses dimensions: 3 mm de large sur 4 mm de long. Une des extrémités est un peu pointue, avec une zone plus claire. Je replace la mère dans son bac, espérant qu'elle n'a pas été traumatisée au point de recracher tous les autres oeufs et les abandonner .

04/12/2001 - 3° jour

La femelle a continué son incubation. Tant mieux. J'utilise la même méthode que précédemment pour récupérer un autre oeuf. Son aspect est identique à celui retiré deux jours plus tôt.

06/12/2001 - 5° jour

Tout va bien. La femelle incube toujours. Je récupère un troisième oeuf avec la même méthode. Je sens mon coeur battre très fort: l'oeuf a été fécondé et le miracle de la nature m'apparaît ! L'extrémité de l'oeuf qui était pointue est devenue translucide. Au centre une masse noire apparaît. Je ne sais pas à quoi elle correspond.

08/12/2001 - 7° jour

Tout a évolué très vite. L'oeuf est devenu un sac vitellin contenant les réserves nutritives de l'embryon, à la surface duquel le corps d'un petit poisson semble collé. Poisson, c' est vite dit, puisqu'il se résume à une forme cônique translucide avec deux yeux globuleux à une extrémité. La masse noire retrouvée deux jours plutôt était en fait l'ébauche des yeux.

10/12/2001 - 9° jour

Le sac vitellin diminue alors que l'alevin se développe. Il semble que la formation des yeux est achevée. On distingue une ébauche embryonnaire de bouche et une zone plus sombre le long du corps, future arête. L'embryon mesure 8 mm.

12/12/2001 – 11° jour

Peu de changement apparent. Le sac vitellin semble aussi volumineux. Les modifications ne sont pas visibles, mais j'imagine des multiplications et des différenciations cellulaires importantes pour former les organes internes. Placé dans quelques gouttes d'eau, sur une assiette, l'embryon bouge. Très géné par la masse ventrale, il arrive tout de même à tourner sur lui même et se déplacer.

14/12/2001 – 13° jour

Le sac vitellin a bien diminué. La forme du futur alevin est presque acquise. Le corps reste transparent, tandis que la tête et les opercules sont presque opaques. Il est très mobile et vivace. Je décide de garder cet embryon pour ne plus en prélever d'autres. La mère continuera d'incuber sans que je l'embête tous les deux jours. Je place l'embryon dans une épuisette, à la surface du bac maternité, en face du rejet de la pompre de filtration. Il reçoit ainsi un courant d'eau filtrée et aérée en permanence.

15/12/2001 – 14° jour

L'embryon ne semble pas géné d'être dans cette épuisette et son développement continue.

Du 16/12/2001 au 18/12/2001 – 15° au 18° jour

Le sac vitellin se résorbe progresivement et l'alevin acquiert sa forme définitive.

19/12/2001 – 18° jour

L'expérience est terminée puisque la femelle a rejeté spontanément les petits qui lui restaient. L'incubation a duré 18 jours dans une eau à 26°C. Tous les autres alevins sont très vifs, bien formés. Ils ne sont pas différents de celui que j'ai observé pendant plusieurs jours. Ils mesurent 11 mm et se sont jetés sur les nauplies d'artémias que je leur ai préparé. On devine déjà les barres verticales sombres communes à beaucoup d'espèces de cichlidés.

Au total, cette femelle a eu 26 petits, de qui est beaucoup moins que lors de ses premières incubations. J'ai gardé trois alevins, dont celui que j'avais photographié pour les derniers jours de son développement embryonnaire. »

2° OBSERVATION: Cynotilapia pulpicans

La 1° observation m'avait laissé sur ma faim. Je n'avais pas assisté, entre le 5° et le 7° jour, aux détails de son développement. J'avais juste observé un oeuf avec une masse noire à une extrémité et deux jours plus tard je retrouvais une ébauche de poisson collé sur un sac vitellin. Si je pouvais observer plus précisément cette période riche en évènements, ce serait formidable.

Il me fallut patienter deux mois pour trouver une nouvelle occasion qui se présenta sous la forme d'une femelle Cynotilapia pulpicans. Alors que je l'observais dans un bac, elle se mit à frayer sous mes yeux et je décidais aussitôt de recommencer l'expérience précédente dans les mêmes conditions.

Le couple Cynotilapia pulpicans pendant le frai

J'isolais donc la femelle dans un autre bac dès la fin du frai.

La femelle, la bouche gonflée par les oeufs qu'elle protège

1° jour

« A l'aide de l'extrémité arondie d'une épingle à nourrice je retire délicatement un oeuf que je m'empresse de photographier. De couleur marron-orangé, de consistance souple, il mesure 2,5 * 4 mm.

3° jour

Un petit bouton translucide devient visible sur une extrémité. A présent je connais la signification: l'oeuf a été fécondé !

5° jour + 9 heures

Au fond du bouton translucide apparaissent deux points noirs: l'ébauche des yeux

Dans leur prolongement apparaît une masse translucide à la surface de l'oeuf

6° jour + 2 heures

J'ai veillé tard ce jour-là pour capter l'image surprenante de l'embryon. Il apparaît comme une masse gélatineuse translucide avec deux points noirs en guise d' yeux. Le reste du corps est plus fin, courant à la surface de ce qui est devenu un sac vitellin. J'ai l'impression qu' un petit être a surgi de l'oeuf, et que, épuisé par l'effort qu'il vient de faire, est resté affalé sur le sommet de son oeuf. La réalité est bien différente puisqu'il y a eu simplement prolifération et différenciation cellulaire aboutissant à ce minuscule être vivant. Le mystère de la vie surgissant d'une masse en apparence inerte me laisse admiratif.

6° jour + 11 heures

La tête et la moitié postérieure du corps sont à présent détachés du sac vitellin.

Je décide d'isoler l'embryon dans un filtre à café en nylon. Celui-ci est maintenu à la surface d'un aquarium et reçoit le rejet d'une filtration. Il paraît minuscule tout au fond du filtre. Il y finira le reste de son développement jusqu'à sa formation complète en alevin.

Dès que je manipule l'embryon, il bouge. Une ébauche de tissu nerveux est donc déjà en place et fonctionnelle.

J'observe une ébauche de pupille au centre des yeux

7° jour

L'embryon a survécu hors de la bouche protectrice maternelle. Les mouvements de l'eau produits par le rejet de la filtration semblent suffisants pour assurer une bonne oxygénation. Lors des manipulations l'embryon présente des mouvements saccadés.

8° jour

La bouche paraît bien formée, tout comme les yeux. Pour la première photo, j'ai posé l'embryon sur un support sec. Sa queue paraît collée au sac vitellin. Après avoir ajouté quelques gouttes d'eau, la queue flotte et l'embryon bouge.

9° jour

Il mesure 8 mm

10° jour

De plus en plus mobile, l'embryon a un corps qui s'épaissit. On aperçoit une arête.

11° jour

Posé au fond d'un récipient en plastique, il arrive à se déplacer en ligne droite

12° jour

Le sac vitellin se résorbe très vite. Le corps est toujours transparent, mais des taches sombres, des barres apparaissent à la surface du corps.

Du 13° jour au 18° jour

Les détails se précisent: les nageoires, les barres... L'embryon se déplace de plus en plus facilement au fur et à mesure que le sac vitellin se résorbe.

18° jour:

La mère recrache les autres alevins qui mesurent 13 mm de long. La température de l'aquarium est de 28°C. »

J'ai conservé le petit alevin qui m'avait servi de sujet d'observation. Il a eu par la suite une vie tout à fait comparable à ses frères et soeurs, comme s'il n'avait pas été affecté par son incubation artificielle.

A la fin de ces deux observations, j'ai comparé les photos de ces deux espèces de ciclidés issus de lacs différents (Malawi et Victoria). La durée d'incubation est identique. Il n'y a apparemment pas de décalage dans le temps des différentes étapes: à J5 apparaissent les ébauches des yeux, à J7 les embryons ont le même aspect, etc...

Ces deux observations qui n'ont rien de scientifique. Elles m'ont seulement permis de répondre à quelques questions.

Les photos sont de médiocre qualité et je vous demande de m'excuser. Elles ont été prises en 2000 avec un des premiers appareils numériques (1,3 mégapixels). Je regrette de les avoir enregistrés au format JPEG et non pas RAW, ce qui m'aurait permis de les agrandir ensuite sans perte en qualité.

J'espère que ces images donneront envie à quelques cichlidophiles de recommencer l'expérience, et sans doute d'obtenir des photos qui continueront à nous faire rêver.

J-Paul CARME

N° AFC : 0574-81

juin 2010

Cet article a été publié dans la RFC (Revue Française des Cichlidophiles)

Mensuel N° 306, Fev. 2011, pages 07 à 17

il a obtenu le 1er prix du concours d'articles 2011 au congrès de l'AFC à Vichy