En chemin...

"Nous sommes tous en chemin, dans l'espace ou le temps, voyageurs immobiles à travers les âges de la vie, migrants traversant les forêts, les mers, nomades dans les déserts. Et sur ce chemin, parfois confiant et plein d'allant, parfois perdu, désorienté, épuisé, parfois seul ou en groupe... Bref je vous propose de faire un petit bout de ce chemin en compagnie de mes dessins à l'encre de Chine ( une trentaine ) et de mes gravures ( une quarantaine) des eaux-fortes parfois rehaussées de mélanges que j'élabore à partir des primaires et de

pigments or, argent et cuivre. Les dessins sont des originaux, les gravures en très petites séries.

Au départ, il y a un stylo-pinceau qui permet d'un seul mouvement de la main de faire un trait continu du plus fin au plus épais. Pas de crayon à papier ni de gomme, je dessine directement à l'encre de Chine... comme dans la vie, on avance, sans retour possible et il faut composer avec ses erreurs, faire avec.

Et puis il y a des carnets, les carnets japonais Moleskine qui se déplient en accordéon sur près de six mètres recto verso. J'en ai toujours un avec moi et au quotidien je dessine au fil de ma vie intérieure et sociale, et le passé et le présent se répondent, l'intime et le monde. De ces carnets, je puise la matière d'une gravure ou d'un

dessin ( format 20x30 ou 30x40 ). Ainsi, les dessins et les gravures forment des variations et des séries dont les sources sont aussi multiples que la vie : les boxeurs, les élèves, les musiciens, les réunions professionnelles ou associatives, l'hôpital, les voyages, les mères et leurs enfants etc. ...

Je ne fais pas de pittoresque, de folklorique, de décoratif...chaque détail a une signification précise et nécessaire. Ainsi les bouleaux symbolisent la forêt de Pologne, le lierre le lien, le chêne la forêt de France de mon enfance. Mon dessin est figuratif avec des éléments qui s'organisent comme les mots d'une langue : l'eau vive s'inspire des tourbillons de Karman ; le chemin est marquée par de petits traits ; le ciel, vents et nuages, se matérialise par des volutes de points.

Pour cette exposition, je ne présente que les dessins et gravures sur le thème du chemin. C'est l'humaine condition, dans sa beauté comme son horreur.

Ainsi du dessin intitulé Les Perdus : parce que, parfois, on ne sait plus où l'on va, où l'on en est, et c'est la peur, la panique même...

Ainsi du dessin intitulé Les Trois Soeurs : le soir du 16 mars 2012, trois soeurs de 12, 13 et 19 ans sont percutées et tuées sur l'autoroute A7 qu'elles tentaient de traverser à hauteur de Saint-Paul-Trois-Châteaux. "Une proche de la famille, appelée par l'aînée juste avant l'accident, a confirmé aux enquêteurs qu'elle lui avait dit être

perdue en bordure d'autoroute et ne pas savoir comment regagner Marseille, un état de stress qui pourrait expliquer que les trois soeurs aient tenté de traverser l'autoroute à pied."(Libération).

Ainsi du dessin Harragas : les Harragas, ces migrants clandestins qui tentent de traverser la Méditerranée sur des embarcations incertaines, au péril de leur vie. En 2011, près de 1500 sont morts noyés ou portés disparus.

Mais le chemin, c´est aussi celui de l'amour, de l'amitié et du bonheur : Le Pommier Familial, Tendresse ou encore Câline ( gravures ).

Cette exposition présente des dessins, gravures et carnets qui se font écho. Quelques carnets se déploient sur toute leur longueur et des miroirs permettent de voir pour certains à la fois le recto et le verso. Ce voisinage des carnets, dessins et gravures permettra d'embrasser l'ensemble de ma démarche, de mon processus créatif sur un thème donné.

Et vous pourrez découvrir un rouleau suspendu à la manière chinoise, une fine toile enduite formant un panoramique horizontal, chemin traversant divers paysages, et parcouru par une vingtaine de personnages, (dimensions 210 sur 50 ). La réalisation de ce rouleau s'est échelonnée sur plusieurs mois et vient de s'achever, ce sera sa première présentation.

Pour finir, je voudrais dire quelques mots d'un tableau qui m'habite : La Bataille de San Romano de Paolo Uccello, plus précisément le panneau se trouvant au musée du Louvre, La contre-attaque décisive de Micheletto Attendolo da Cotignola. Dans cet enchevêtrement de cavaliers en armure et casque clos, portant étendards et lances, un homme se détache au centre...lui seul a le visage découvert, avec un extravagant chapeau florentin. Il va donner le signal de l'attaque, il est pâle, triste mais déterminé. Il symbolise pour moi l'humaine condition, la mort est au bout du chemin et il avance avec grâce et gravité vers l'inéluctable. Avant de livrer la dernière bataille, le chemin comporte bien des méandres, des lieux et des moments de malheur mais aussi de bonheur. Cette exposition présente quelques étapes de ce chemin humain."

Sylvie Millot - janvier 2015

en chemin © Sylvie Millot

carnets © Sylvie Millot

le bois de bouleaux © Sylvie Millot

Villageoises © Sylvie Millot

cliquer sur l'image pour l'agrandir...