Traces : sur les pas de Benoît Capponi

L’exposition que nous propose aujourd’hui cet artiste à la galerie Alter-Art, est à l’évidence splendide. Je dirais qu’elle rassemble des œuvres rares et précieuses, terme dont j’usais dans mon travail de conservateur de fonds anciens, en bibliothèque. Mais cela ne saurai se résumer à cette seule première impression. Après plusieurs visites et entretien avec l’artiste, je modifiai mon jugement.

Je partage maints points de vue avec lui. D’abord, mon amour inconditionnel de la photo argentique qui nous permet des rendus délicats, rendant toute la gamme subtile des blancs, gris et noirs.

En second lieu, je ne puis faire abstraction du lien subjectif qui me rattache à ces images. Je suis issu d’une famille d'Alsace-Lorraine. J’ai connu ces paysages à ma jeunesse. Mais ils étaient lestés d’un poids de silence. Mon grand père, que je ne connus pas - il décéda l’année précédant ma naissance - participa à la boucherie « 14-18 », enrôlé de force par la Wehrmacht. Mon père, à l’aube de ses 17 ans, fut contraint de tirailler contre les avions américains qui circulaient en 1944. Je ne sais donc à peu prés rien de leur expérience. Ils étaient comme tous les « Wideruns » - les Malgré nous - plutôt taiseux. Mais j’eus l’occasion de voir ceci de mes propres yeux.

Ce n’est pas la moindre curiosité : Benoit Capponi a en effet inauguré sa démarche par la lecture des textes, lettres, témoignages des « poilus », avant de se rendre sur ces lieux pour une mise en image. Ces écrits, reproduits au bas de certaines photos nous donnent la dimension horrible, sanglante, impitoyable de cette période. Le sang envahit les rivières, on retrouve le crâne fracassé d’un camarade de combat.

Mais les photographies, bien qu’elles semblent au premier abord, dispenser un sentiment de sérénité, accentuent en fait le malaise. La sensation d’apaisement, de majesté, que l’on peut éprouver à la traversée d’une forêt, due à la verticalité et à la floraison des feuillus est ici oblitérée, comme l’avait montré, à sa façon, l’ami Gérard Parent, dans son « Éloge des sous bois ». Pas un site qui ne soit en effet défiguré par une blessure, Trace d’un éclat d’obus, résidus de blockhaus, branches à jamais fertiles. En somme, « les gueules cassées » de la nature.

Quand je dis que je vis ceci avec mes yeux d’enfant, c’est vrai, mais je ne saurais évoquer la terreur qui m’envahit en visitant les alentours. Les tranchées d’où dépassaient juste quelques baïonnettes, le chemin des Dames où furent fusillés quelques rebelles sur ordre de l’aimable Clemenceau, et puis l’ossuaire de Douaumont où, lorsque je m’accroupis pour regarder à travers les fenêtres au ras du sol, je discernai des milliers de restes anonymes, crânes, tibias, hanches, qui ne furent sans doute jamais identifiés.

Depuis que le dernier « poilu » est décédé, nous n’avons guère d’autre ressource pour rendre compte de cet enfer sur terre, que ce mélange de textes et d’images.

Je souhaite pour ma part, à l’auteur, de parvenir à réaliser son vœu d’une publication.

Laurent HENRICHS

15/01/2014