Tal Terny - Merchiche

Le 7ème REGIMENT d'INFANTERIE (Lt-Col DUMAS)

2ème BATAILLON (Chef de Bon ANGEBAUD)

6ème COMPAGNIE (Cne MAY)

Récit du lieutenant F.BARD

PREAMBULE

Sorti de l’ESMIA en 1956, et nommé sous-lieutenant le 1/10/56 je rejoignais le 30° Bataillon de Chasseurs au Maroc le 1/12/56 après un stage raccourci à Saint Maixent (Le besoin en jeunes officiers était pressant en AFN). Affecté à la 4° compagnie stationnée à Sidi Aissa près de Beni-Mellal, je prenais le commandement de la 1° section. Le 9/01/57, le bataillon faisait mouvement sur Oujda où, stationné sur la base aérienne des Hangads, nous faisions des patrouilles nocturnes à la frontière Algéro-Marocaine.

Dans la nuit du 14 au 15 janvier nous prenions la route puis la piste vers le sud, direction Ksar-es-Souk par Bou Arfa au nord de Béchar. Nous y restâmes une quinzaine de jours avant de remonter à Oujda. Ma section se transforma en « Artilleurs » après avoir perçu un canon de 75 destiné à avertir la population locale de la fin du jeune journalier à la tombée de la nuit pendant toute la période du Ramadam. Après 15 jours de bivouac sur la piste de Sidi Aissa (Un autre…) à Magoura (Algérie) où se situe l’épisode de la mine dont je fais mention plus loin, retour à Oujda…

Le 17 juillet, le bataillon faisait mouvement sur Taza et ma section éclatée en 3 groupes dont l’un gardait le terrain d’aviation ;

Stage d’instruction « choc » au CEPM des Troupes du Maroc à Rabat. Après 2 mois de stage je rejoignais ma compagnie à Marrakech que le bataillon avait rejoint le 30 décembre 1957.

Le 15 mars 57, la compagnie était détachée à Ouarzazatte jusqu’au 16 mai 1958.

Le 17 aout 57 je réintégrais Saint Maixent où la promotion devait compléter son instruction écourtée.

A l’issue du stage, j’étais affecté le 1° janvier 59 au 7° d’Infanterie en Algérie, mais avant de le rejoindre, je devais effectuer un stage d’observateur aérien à l’E.S.A.L.AT. de Dax.

Breveté observateur ( n° 707 ) je rejoignais mon nouveau corps….

L'Algérie

J'embarquais, seul, à MARSEILLE le 24 avril 1959 sur le S.S. JOFFRE et débarquais le lendemain à ORAN. J'arrivais à LAMORICIERE (aujourd'hui OULED MIMOUN), à 33 km à l'est de TLEMCEN, le 29 et me présentais au Chef de Corps. Celui-ci, après étude de mon dossier, m'annonçait mon affectation au 2ème bataillon en précisant "J'ai besoin de chefs de section, pas d'observateurs en ballon; tant que je commanderais le régiment, vous n'irez pas dans l' ALAT ... " Un peu surpris par cet accueil, je repartis pour le PC du 2ème Bton qui se trouvait dans une ancienne colonie de vacances près du col des ZARIFETE, au sud de TLEMCEN. Là, j'étais affecté à la 6ème compagnie de combat qui se trouvait répartie en deux postes sur la route de TLEMCEN à SEBDOU, le premier, le plus au sud, à environ 8 km de SEBDOU, avec la portion principale, à MERCHICHE, ancienne maison forestière à 1 km est de la route au-dessus des sources de la TAFNA, à 1200 m d'altitude; l'autre, avec une section, au poste de TAL-TERNY, à mi-chemin des deux localités, une ancienne maison cantonnière sur la route même, au col du même nom à 1380 m d'altitude. Les sources de la TAFNA se présentaient un peu comme une résurgence sortant d'une grotte. Celle-ci avait servi de lieu de réunion aux fells, aussi avait-elle été gazée et fermée par du barbelé pour la rendre inaccessible. La route avait deux lieux-dits :

1 - entre TERNY et TAL-TERNY le "virage du pont coupé" (L'ex pont se trouvait dans une épingle à cheveux au fond d'un thalweg et avait été détruit par les fells), Dans le carré rouge, le pont que les fells avaient détruit dans l'épingle à cheveux. Le pont n'avait pas été reconstruit, la route coupait le thalweg plus court et de grosses buses permettait à l'eau du thalweg de passer sous la route tout en étant beaucoup plus difficile s à détruire qu'un pont ordinaire.

2 - entre TAL-TERNY et MERCHICHE le "virage des camions brûlés" (un convoi de rappelés était tombé dans une embuscade assez meurtrière et 2 camions avaient été incendiés. Leurs épaves étaient restées au bord de la route, comme pour nous rappeler d'ouvrir l'œil...).

La compagnie était commandée à MERCHICHE par le capitaine MAY, ancien para affecté au 7 pour redonner un peu de tonus opérationnel à la Cie. Il avait pour adjoint un capitaine réserviste rappelé dont la seule ambition semblait être le retour à la vie civile. TAL-TERNY était commandé par le lieutenant P…, ancien et, médicalement, inapte opérationnel. Je pris à MERCHICHE, le commandement de la première section et commençais aussitôt les sorties opérationnelles qui consistaient à ratisser de jour la zone interdite, à l'est et au nord-est du poste, et à y monter des embuscades de nuit.

Source de la TAFNA près de Sebdou.

Le poste de MERCHICHE

Le poste, construit autour de l'ancienne maison forestière qui servait de PC, et de logement de cadres, était entouré par une murette de pierres d'un mètre cinquante de haut, formant un quadrilatère avec un blockhaus à chaque angle. Il dominait, outre la source de la Tafna, la vallée, au sud-est, orientée N.E-S.W reliant LAMORICIERE à SEBDOU. La végétation, clairsemée, était composée d'arbustes buissonneux, d'arbres et d'herbe assez rare. Vers le nord les arbres devenaient plus denses et formaient des petites forêts. A proximité de la maison, une source fournissait l'eau et nos prédécesseurs légionnaires en avaient profité pour creuser une piscine. Des baraques type Maroc et deux mechtas abritaient le personnel et les installations collectives: cuisine, réfectoire, foyer… Aux abords immédiats, un regroupement d'une cinquantaine de khaïmas abritaient une population anciennement nomade et que l'on maintenait là pour la soustraire aux influences des rebelles. L'aspirant toubib et l'infirmier assuraient le suivi médical de l'ensemble. Le ravitaillement nous était apporté chaque semaine par un convoi escorté de scout-cars ou de dodges 4x4 blindés. L'éclairage était fourni par un groupe électrogène à moteur Bernard malheureusement en panne. Après avoir examiné l'engin, je découvris que les vis platinées ne s'ouvraient pas. Après réglage, le moteur voulut bien démarrer mais la génératrice refusait de fournir du courant. Je décidais d'exciter la machine à l'aide d'une pile de poste radio SCR 300 (90 volts) et, surprise, l'aiguille du voltmètre se mit à grimper vers les 110 volts pour la plus grande joie de tous.

Le réserviste rappelé (capitaine de réserve adjoint) fut bientôt libéré et je pris le poste d'adjoint. Mon premier souci fut de mettre en condition de tir un mortier de 120 mm dont personne, à part moi, ne connaissait l'emploi (Je l’avais étudié en école d’application…). Après l'avoir fait mettre en batterie selon les règles de l'art, je constatais que nous n'avions pas les tables de tir. Je proposais au Capitaine d'en établir une simplifiée en tirant sur des hausses échelonnées en direction de la zone interdite et en relevant les points d'impact (mes séjours à St MAIX. n'avaient pas été inutiles). Mon chef accepta et, échaudé par une première expérience, décida d'aller observer lui-même les tirs (Avant mon arrivée, le poste disposait d'un obusier de 75 m/m allemand. Un observateur avait voulu régler les tirs en observant et en passant lui-même les commandements. Il s'était emmêlé les pinceaux et avait obtenu des déplacements en sens inverse de ceux recherchés. Le Capitaine avait mis fin à l'essai et l'obusier laissé à l'abandon jusqu'à son remplacement par le 120). Par mesure de sécurité, je commençais en charge et portée maxi, de l'ordre de 6 km, pour, progressivement, raccourcir en diminuant les charges. Grâce aux observations du Capitaine, je pus établir une table de tir simplifiée permettant d'utiliser cette arme redoutable avec un minimum de sécurité. Je fis ensuite jalonner plusieurs directions sur lesquelles il serait facile de pointer à priori et en particulier celle de l'autre poste que nous pourrions ainsi appuyer en cas de besoin. Il se trouvait à plus 3 ou 400 m de la portée maxi, ce qui m'arrangeait bien. Nous perçûmes ensuite, au titre des "matériels de secteur", une mitrailleuse Hotchkiss Mle 1914 de 8 mm. Personne ne connaissant cette arme, j'en entrepris le démontage et le remontage avant de l'essayer au tir. Celui-ci était plus lent que celui du FM 24-29 mais plus précis, les 20 kg de l'affût se faisant sentir. Nous possédions également un mortier de 81 m/m mieux connu et que les sous-officiers s'étaient appropriés.

1- Mortier de 120 m/m mle 1952. 2- Mitrailleuse Hotchkiss de 8 m/m mle 1914. 3- Fusil mitrailleur mle 24/29. 4- Mortier de 81 m/m.

Un jour, vers 16 heures, le chef du poste de garde vint nous prévenir qu'un fell venait se rendre avec son arme. Avec le Capitaine nous nous rendîmes sur les lieux et après lui avoir demandé de poser son arme, nous récupérâmes l'intéressé. Pour le faire parler au plus vite, il fallait le mettre en confiance. On lui fit apporter à boire et à manger et tout en consommant il répondit à nos questions. Nous apprîmes ainsi qu'une bande d'une quinzaine de fells se trouvait vers une source que nous connaissions bien à environ 6 kms à l'est-nord-est du poste. La compagnie mise en alerte, le Cne me chargea de demander un appui aérien urgent pendant qu'il demandait une patrouille de chars à SEBDOU et qu'il rendait compte au Bataillon de son intention de se porter immédiatement sur la zone pour accrocher l'élément rebelle. La réponse nous cueillit comme une douche froide : interdiction de bouger, le Régiment montait une opération avec de gros moyens pour le lendemain matin. La patrouille de T 6 (avions d'appui feu) que j'avais demandé arrivait sur zone et demandait des instructions. Le Capitaine, furieux de son inaction obligée, donna l'ordre aux T 6 de tirer ses roquettes et de mitrailler toute la zone de la source, ce qu'ils firent immédiatement. Le PC Régiment arriva enfin et prit possession du poste ainsi que de la cuisine. Il avait apporté son propre ravitaillement et notre cuisinier, réquisitionné, eut la bonne idée de lui servir notre viande et de nous réserver la sienne qui était d'une qualité bien supérieure. Se sentant un peu à l'étroit dans nos locaux, le PC ne trouva rien de mieux que de nous envoyer en embuscade de nuit à 3 km du poste, les fells se trouvant à 6 km, en attendant le début de l'opération prévu pour le lendemain matin. A l'aube nous entreprîmes le ratissage qui ne donna évidemment rien, les fells ne nous ayant pas attendu. Plus tard, opérant dans le même coin, nous découvrîmes une tombe collective renfermant 5 ou 6 corps sous des toiles de tente, preuve que les tirs de T 6 n'avaient pas été inutiles et que les fells étaient bien là, Si le Régiment nous avait laissé "marcher au canon" on aurait sans doute pu les coincer. Mais ça aurait fait moins de médailles pour le PC .

Un soir, vers 23 heures, je fus réveillé par des coups de feu dont le nombre allait en augmentant pour se transformer en véritable fusillade. Dormant en survêtement, j'enfilais mes pataugas, mon ceinturon avec mon pistolet et sortais pour me renseigner. Je me heurtais presque immédiatement à un soldat, la tête couverte de sang, qu'un de ses camarades emmenait vers l'infirmerie. La vue de ce blessé m'amena à penser que les choses étaient sérieuses, d'autant que la fusillade redoublait d'intensité et que l'on voyait des traceuses jaillir dans toutes les directions. Je me portais à la murette la plus proche où un groupe tirait à qui mieux mieux. Interpellant l'un des tireurs, je lui demandait sur quoi il tirait. La réponse fut : "je ne sais pas, mais comme tout le monde tire, je tire aussi!..." Je fis cesser le feu en donnant la consigne de ne tirer que sur un objectif identifié. Je continuais de faire le tour du poste, obtenant partout la même réponse. Je tombais sur une équipe de sous-officiers qui s'étaient mis en tête de tirer au mortier de 81. Ayant vérifié la hausse, la direction et la charge du coup qu'ils s'apprêtaient à faire partir, je constatais une portée de 250m en direction du regroupement, soit en plein dedans. Je poussais un grand coup de gueule et obtins cette réaction :"...de toutes façons, c'est tous des fells !..." Je repris mon tour du poste après leur avoir interdit de tirer sans ordre. Peu à peu, les tirs cessaient à mon passage, y compris ceux de la mitrailleuse U.S. de 7,62 qui tiraient de très longues rafales; les bandes de 250 cartouches ne duraient pas longtemps, pas plus que les chargeurs de F.M. Je finis par apprendre qu'une rafale de pistolet-mitrailleur était arrivée dans le poste, ce qui avait déclenché la réaction bruyante et irraisonnée de l'ensemble des personnels. Alors que je revenais vers ma chambre, je repensais à l'homme blessé au visage que j'avais rencontré en sortant. Je retournais à l'infirmerie pour me renseigner sur son sort et j'eus la surprise de tomber sur un infirmer hilare. M'étonnant de son attitude, il m'expliqua que le blessé était sorti tellement vite de sa baraque qu'il n'avait pas vu l'arbre qui se trouvait en face de la porte et qu'il l'avait heurté de plein fouet, ce qui lui avait ouvert le front, d'où ce sang sur son visage. Son état n'inspirant aucune inquiétude je pus enfin retourner me reposer. Le lendemain, en faisant les comptes des munitions consommées, on trouvait plus de 6000 cartouches de tous calibres, les armes automatiques ayant débité à plein régime. Je rappelais à tous les consignes concernant la discipline du feu mais je m'aperçus plus tard combien il était difficile pour des personnels peu aguerri de les respecter, les cadres eux-mêmes ne le faisant pas.

Un autre soir, alors que nous avions une séance de cinéma organisé par le service social des armées, je fus alerté par le radio qui m'apprit que le poste de TAL-TERNY était harcelé à l'arme légère. Je fis mettre le mortier de 120 en batterie sur les jalons pré alignés dans la direction du poste et fis tirer 4 obus en portée maxi. Par radio TAL-TERNY nous rendait compte qu'il avait entendu l'arrivée des coups et que le harcèlement avait cessé. Le 120 avait enfin servi à quelque chose.

Au départ d'un convoi de ravitaillement, sur la piste qui rejoignait la route, le conducteur d'un dodge 4x4 blindé, roulant trop vite, perdit le contrôle de son véhicule qui sortit de la piste et partit en tonneau. Trois membres de l'équipage furent tués dans cette action peu glorieuse. Le 4x4 blindé était un engin délicat à conduire; surchargé par le poids du blindage et du tapis anti-mines, ses ressorts étaient en flexion inverse d'où une tenue de route désastreuse. Les conducteurs étaient prévenus mais cela ne les empêchait pas de jouer avec le feu.

Le poste Louis SEGUY à TAL-TERNY

L’ordre vint un jour de regrouper l'ensemble de la compagnie sur le poste de TAL-TERNY. Moins grand que MERCHICHE, il était en bord ouest de route, entouré d'un mur rectangulaire avec les habituels blockhaus, l'ancienne maison cantonnière en dur avec 6 pièces autour d'une cour intérieure et, dans l'angle sud-est, une tour construite en pierres maçonnées de 4 m sur 4, d'une dizaine de mètres de hauteur, abritant au rez-de-chaussée la soute à munitions puis au-dessus les locaux radio et enfin sur la terrasse couverte un poste de sentinelle disposant d'une mitrailleuse de 12,7 et d'un projecteur (phare de GMC alimenté par batterie). Sur la tour figurait le nom de Louis SEGUY, un de nos prédécesseurs, mort en opération.

En bord de route se trouvait une D.Z. (nom donné aux aires de poser des hélicos et venant d'un terme parachutiste "Dropping Zone" ou zone de saut).

Toujours en bord de route et au nord-est du poste, se trouvait un regroupement, d'environ 500 personnes déclarées, sous khaïmas, dont nous avions la charge administrative et que nous devions à la fois protéger et surveiller. Au plan administratif, nous avions l'état civil, le contrôle des impôts et l'école (30 à 40 élèves de 7 à 12 ans sous une grande tente américaine). Le terrain alentour était vallonné, montant à l'est vers les djebels KHADDOUS et DAR CHEIKH. Il était recouvert de taillis épars, peu de vrais arbres, les fonds d'oueds à sec abritant des buissons épais de lauriers-roses difficiles à fouiller. A proximité du regroupement subsistait un bouquet de 5 chênes que j'aurais bien du mal à sauver lorsque le commandement autorisa les autochtones à fabriquer du charbon de bois. Ils s'étaient mis en tête de couper ces 5 derniers vrais arbres et je dus faire tirer la 12,7 au dessus du bouquet pour qu'ils comprennent que je ne plaisantais pas. L'eau provenait d'un puits, muni d'une pompe à moteur, qui ne suffisait pas en été, ce qui nous obligeait à descendre jusqu'à SEBDOU (12 km) en convoi avec deux citernes de 1000 litres pour nous ravitailler. L'éclairage du poste dépendait d'un groupe électrogène US en panne de distributeur et pendant tout mon séjour au poste je ne suis pas arrivé à obtenir la pièce de rechange. Pour la conservation des vivres nous avions une chambre froide qui fonctionnait grâce à petit moteur Bernard. Il avait pris feu un jour et les circuits électriques avaient été endommagés. Comme ce matériel dépendait de l'action sociale des Armées, il fallut plus de 3 mois pour obtenir un dépannage efficace. En attendant, nous devions consommer rapidement, en 2 ou 3 jours au lieu de 7, la viande que les convois nous apportaient. Le foyer du soldat disposait d'un frigo à pétrole qui fumait un peu mais nous permettait d'avoir de la bière un peu fraîche très appréciée aux retours d'opérations.

Quelques clichés des figures de la 6e compagnie dont en premier le lieutenant P... lors d'une cérémonie aux couleurs. (extraits d'un film de 8 m/m du Lt Bart)

La vie continue sous la protection du poste

Le poste de TAL-TERNY dans son ensemble, on remarque en haut à droite une construction en triangle flanquée de trois tours.