Ferme Toro

La 12e Compagnie du 3e Bataillon du 7e RI

Le 3e bataillon du 7e RI s'implante en 1958 dans la région de Béni Mester, le PC du 3e bataillon s'y installe et répartie ses compagnies comme suit : la 10e Compagnie occupe la ferme Fabre à l'entrée de Turenne, la 11e Compagnie à Tizranit au sud de Béni Mester et la 12e Compagnie la ferme Toro à 10 km nord de l'axe routier Turenne-Marnia. La 10 et la 12 vivent en unité constituée et participent aux opérations montées par le Bataillon, le Régiment ou le Secteur de Tlemcen, siège de la 12ème DI. La 11 était la seule en position éclatée; une section à BC-3, une à BC-5 et la troisième avec le PC de sa compagnie.

Ferme Toro

L'aspirant POINT, récemment affecté au BC 3, reçoit son affectation définitive à la 12e Compagnie, qu'il rejoint le 3 juin 1959. Elle est commandée respectivement par le lieutenant Tofaloni, puis par le lieutenant Bréal.

Première liaison et impressions :

"La liaison exceptionnelle venant de la Ferme Toro était à l'heure; elle repartit de même. Le petit convoi était composé de deux jeep armées de FM Bar, d'un GMC chargé des vivres pour la semaine, et de la jeep du chef de la mission où je pris place . Le déplacement sur une route dangereuse, mais peu encombrée, se fit moins vite que pour venir de Tlemcen; le GMC devait avoir son âge et il était chargé. Ils traversèrent Turenne, grouillant de femmes et d'enfants; au carrefour central ils prirent la route de Montagnac. À dix kilomètres au nord était la ferme Toro.

Dès la sortie de Turenne, je remarquais que les oliveraies alternaient avec d'immenses champs de vignes, mais, par endroits, des zones arides tachetaient la plaine. Elle était très vallonnée et les oueds, en fond de vallée, étaient à sec et tout bordés de lauriers-roses. À la sortie d'un pont, le convoi s'engagea à gauche sur un chemin de terre, moyennement pentu. Il était bordé de hauts eucalyptus qui devinrent une petite forêt dans la partie sud-ouest d'un douar. En continuant sur cinq cents mètres environ, la ferme Toro apparut semblable à un fort à la Vauban. Un mirador, flanqué contre un lourd bâtiment, s'élevait à proximité d'un grand portail qui s'ouvrit pour laisser entrer les

deux premières jeeps dans une cour carrée et fermée, alors que le GMC et la jeep d'escorte rejoignaient une petite place devant un autre bâtiment aussi important que le premier."

L'aspirant décrit ainsi la ferme :

" La ferme Toro avait été transformée par les légionnaires du 5e R.E.I en un véritable fort à la Vauban. Dans un périmètre de plus de cent mètres autour d'elle, ils avaient fait disparaître toute végétation: plus un pied de vigne ni d'olivier ni de figuier ni d'eucalyptus. Un premier réseau de fil de fer barbelé sur plus de quatre mètres de profondeur englobait la ferme et un groupe d'une dizaine de mechta où logeaient, avec leur famille, les musulmans qui, armés de vieux fusils « Lebel », assuraient chaque soir l'autodéfense du regroupement, situé à trois cents mètres à l'est de la ferme. Sur ce premier réseau il y avait au nord deux casemates où une équipe pouvait facilement prendre place pour effectuer des tirs de flanquement ou des tirs sur zone grâce à des points repères nettement matérialisés. Un second réseau n'englobait que la ferme et ses dépendances. En plus du mirador il y avaient quatre casemates, plus importantes que celles installées sur le premier réseau. Elles étaient implantées au quatre coins de cet ensemble.

Dans un de chais, aménagé en garage d'entretien des véhicules, il y avait là un premier étage construit par les légionnaires;le petit centre de contrôle radio et téléphonique, adapté aux besoins de la compagnie, s'y était installé. Là, logeaient une équipe de quatre radios pour assurer les liaisons avec les postes SCR 300, lorsque les sections sortaient dans la zone d'action de la compagnie, et avec l'ANGRC /91 pour les liaisons avec le bataillon; ce poste radio puissant était équipé d'une antenne fouet de cinq mètres en opération et d'une antenne filaire en installation fixe dans les casernements de fortune! À la ferme Toro, cette antenne était tendue au dessus du toit. Les radios avaient surnommé leur lieu de travail: « La régu ». "

Les missions de la 12e Compagnie :

"Accueilli par le lieutenant Bréal, commandant la 12e cie et le sous-lieutenant Dunon; ils conversaient en toute simplicité autour d'une table à l'ombre de deux imposants mûriers. En peu de temps le jeune commandant de compagnie présenta son unité. La situation était calme dans tout son secteur, par contre la compagnie sortait souvent pour des opérations de trois à cinq jours, passés sur le terrain. Dans tous les cas, seules deux sections étaient engagées, la troisième, à tour de rôle, restait au cantonnement pour en assurer la sécurité. Le lieutenant Bréal, O.R.S.A(1), était en fin de contrat en août. La première section était commandée provisoirement par le sergent-chef Chevrel... depuis la mi-mai, date de la libération du sous-lieutenant qui l'avait commandée avec brio pendant plus d'un an. En toute simplicité le lieutenant Bréal annonça à Point qu'il en prendrait le commandement dès demain matin. "

La 2e section est commandée par le sous/lieutenant Dunon, la 3e section est commandée par l'adjudant DUC.

(1) ORSA : Officier de réserve en situation d'activité.

L'ordre de bataille modifié :

Le mardi 2 août 1959, une note de service vient mettre un terme à des rumeurs. Les 10e et 12e compagnies du 3e bataillon avec la 5e et 7e compagnies du 2e bataillon cessent d'exister et forment un bataillon de marche, que l'on appellera : Bataillon d' Intervention qui dépend directement de la Division pour les opérations. Ce nouveau bataillon comprend 4 compagnies de combat et une CCAS, renforcée en moyens d'appuis lourds : des mortiers de 120 m/m et de 2 half-tracks avec tourelle de 4 mitrailleuses 12 m/m. La 10 et 12 prendront leur quartier à la Ferme Fabre et la ferme Toro sera occupée par une petite unité du 21e RIMa.

"On allait quitter cette ferme où depuis le début juin soufflait un excellent esprit au sein de chaque section. Les activités opérationnelles étaient d'autant mieux vécues que le bilan était toujours flatteur. Le seul point noir fut qu'aucune embuscade n'eut un résultat positif. On avait vécu trois grandes opérations toujours dans ce symbolique massif des Monts de Tlemcen avec sa montagne inhospitalière des douze apôtres, aux pistes rares, étroites et sinueuses.

La première, dans le secteur sud du massif du RHORBA entre la maison forestière de Merchiche et les trois marabouts de Sidi Mohamed, fut la plus courte : deux jours et une nuit. Elle fut aussi la plus fructueuse : une petite bande de de 12 fels perdit sa liberté pour n'avoir pas su, à temps, effacer ses traces de passage avant de se réfugier dans une des grottes des nombreuses falaises.

La deuxième, dans le secteur sud-est de Tlemcen et près des falaises du Dar el Baral, fut la plus ennuyeuse. trois longs jours et deux nuits en bouclage pour un bilan bien maigre, obtenu le dernier jour : un quarteron de fels, récemment venus du Maroc. Cependant le chef du B 2 avait, dit-on, le sourire; parmi les prisonniers il y avait un gros poisson, porteur d'une sacoche bourrée de papiers.

La dernière fut assez glorieuse pour tout le monde. Le renseignement était pourtant sûr : des fels, venant eux aussi du Maroc, auraient été vu franchissant le petit pont de fer de l'oued Tagma, et auraient trouvé refuge dans le Djebel MEZZAZOU, zone riche de mille et une grottes. c'est parce qu'il y en avait de trop que le résultat fut si maigre. On ne sut jamais si le groupe qui subit de lourdes pertes, six morts et quatre prisonniers blessés, était l'élément précurseur ou l'élément retardateur des quarante fels annoncés ! Le démontage de l'opération laissa un goût amer dans le gosier de tous les acteurs du PC. Les uns disaient : " Ils sont passés, mais ils n'iront pas loin...". d'autres, plus accusateurs et irrévérencieux, n'hésitaient pas à faire savoir que " le renseignement avait été exploité un peu tard ". C'était encore la guerre d'influence entre B 2 et B 3, mais dans ce type de conflit les grands perdants étaient les décideurs en chef et les <<crapahuteurs>> !

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