Tome 5

Recension de l’ouvrage de l’AREMORS (2021, Petit Pavé) dans le bulletin de la société d’archéologie et d’histoire de Nantes et de la Loire-Atlantique (2022)


AUBIN Jean, GAUTIER Robert, MAHE Michel, MARTIN Jean-Yves, MERAND Paulette, PERENNES Ronan. Etudes et documents sur Saint-Nazaire et sa région : Histoire ouvrière mémoire populaire, préface de Julian MISCHI, Saint-Nazaire, Association de recherches et d'études sur le mouvement ouvrier de la région de Saint-Nazaire (AREMORS) Editions du Petit Pavé, 2021, 299 p.

Ce cinquième tome des Etudes et Documents sur Saint Nazaire et sa région revient tout d'abord (Michel MAHE et Jean-Yves MARTIN) sur la création de cette association fondée en 1979 et son histoire. Née dans la mouvance communiste, mais revendiquant son indépendance, elle s'est donnée pour objectif d'œuvrer à une histoire sociale, militante et ouvrière, en associant "prolos" et "intellos".

L'ouvrage comporte deux parties. La première, la plus importante en nombre de pages, est consacrée aux années 1960, dominées, du point de vue de l'histoire sociale, par les évènements de mai-juin 1968. Toutefois, sur fond d'essor économique (les Trente Glorieuses) et l'expansion urbaine, la concurrence internationale se faisant plus vive et suscitant la restructuration d'un certain nombre d'entreprises, cette décennie est marquée par des protestations multiformes animant divers groupes sociaux dont certains sont engagés dans les mouvements coopératifs et d'autres dans des luttes de portée internationale, pour la paix.

Cette première partie s'ordonne en quatre chapitres.

· Le premier (Michel MAHE) dessine le contexte nazairien : reconstruction de la ville, expansion urbaine, essor économique, présence de grandes industries (constructions navales, avant tout, qui font figure de mono-industrie, et aéronautique) et grandes entreprises (Chantiers de l'Atlantique surtout, Sud-Aviation...).

· Le chapitre suivant (Jean AUBIN) est une reprise d'un texte écrite, 2003, ce qui explique sans doute quelques explications économiques "datées". Il est consacré aux évolutions économiques, politique et aux mouvements sociaux : grèves de 1964 et de 1967 de retentissement national et surtout aux "évènements" de mai-juin 1968, ces derniers mobilisant ouvriers, enseignants et lycéens. Ces mouvements font l'objet d'une véritable chronique militante, alors qu'est souligné le "paradoxe nazairien" qui voit cohabiter un mouvement syndical en grande partie de mouvance communiste et une municipalité à direction socialiste.

· Le chapitre suivant (Robert GAUTIER) est repris d'une conférence qui s'appuie sur une thèse de doctorat soutenue à l'Université de Rennes2 en 2003. Il est consacré aux coopératives de consommation alimentaire de la région nazairienne - Ruche-Union, coopérative de Trignac - des années 1940 à la fin des années 1970. A partir des années 1970, elles sont confrontées à la concurrence de la grande distribution (installation de l'enseigne Auchan à Trignac en 1982). Elles s'efforcent de s'adapter (création de l'hypermarché Rond-Point Coop à Saint Nazaire, le premier hypermarché crée en Bretagne), mais disparaissent au milieu des années 1980 : l'hypermarché Rond-Point étant repris en 1985 par le groupe Rallye et le magasin de la place de l'Hôtel de Ville, dernier magasin coopératif nazairien alors en activité, ferme en janvier 1986. Toutefois, l'idéal coopératif se réincarne de nos jours dans les entreprises de ce que l'on nomme l'économie sociale et solidaire.

· Le dernier chapitre de cette première partie est issu d'un entretien avec Paulette MERAND, militante du Mouvement de la Paix. Elle témoigne d'actions menées dans les années 1960, comme la guerre d'Algérie, la "force de frappe française", la guerre menée par les Etats-Unis au Vietnam ("un bateau pour le Vietnam").

La seconde partie est intitulée "Mémoire nazairienne, histoire et patrimoine". Si elle paraît marquer une orientation de l'association vers des études à tonalité mémorielle et patrimoniale, somme toute dans l'air du temps, Jean-Yves MARTIN appelle dans sa conclusion à ne pas confondre histoire, mémoire et patrimoine, ces deux dernières notions étant propices à des instrumentalisations, et plaide pour une histoire, scientifiquement fondée, mais populaire, "celle du peuple, pour le peuple et, pourquoi pas ? par le peuple.

La seconde partie se compose de trois chapitres :

· Le premier (Ronan PERENNES) est consacré aux Forges de Trignac. Il décrit les vestiges subsistants, l'histoire des forges, présente la bibliographie les concernant, précise les enjeux d'une préservation patrimoniale d'un tel site - qui souffre de sa dangerosité et de la pollution des sols - et expose les projets restés sans suite, qui ont été proposés pour la valorisation de ce patrimoine industriel et visant à la sensibilisation à l'histoire du lieu et à l'évocation des luttes sociales qui s'y sont déroulées. L'accord, signé en novembre 2020, entre la mairie de Trignac et le Département, paraît donner une chance nouvelle à la valorisation du site : le "contrat Loire nature" ayant pour objectif de "pouvoir, dans un avenir proche, faire de ce site un lieu ouvert à toutes et tous et pour toutes et tous", en créant un lieu propice à la biodiversité, en sanctuarisant le site industriel et en créant un périmètre permettant son observation.

· Le second chapitre (Michel MAHE), repris d'une communication de 2017, est consacré aux traces et à la mémoire de la présence américaine en région nazairienne. Après avoir fait le point sur les importantes infrastructures et constructions établies par les Américains, est évoquée leur très large disparition après leur départ, sur fond d'une opinion publique qui leur était devenue hostile. Toutefois, la mémoire de cette présence américaine subsiste - entre 1949 et 1966 - dans le cadre de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN). L'ouvrage de Yves -Henri NOUAILHAT, "Les Américains à Nantes et à Saint-Nazaire" paru en 1972 raviva l'intérêt sur cette question ainsi que la célébration du centenaire de leur venue (exposition, colloque international, livre, article...)

· Enfin, le dernier chapitre (J.Y. MARTIN) propose une bibliographie critique [ une historiographie plutôt, de 1945 à nos jours, note de l'Aremors] de la poche de Saint-Nazaire (août 1944 - mai 1945).*

Il était important de saluer le travail de cette association créée depuis plus de quarante ans et de lui souhaiter longue vie encore.

  • Note de l'auteur : Voir la chronique des Archives municipales de Saint-Nazaire, par CHABOT, B., "La Poche de St Nazaire (1944-1945), état des sources disponibles", Bull. de la SAHNLA, t. 151, 2016, p. 47-53. La table de la reddition de la Poche a été récemment protégée en tant qu'objet lié à un fait contemporain.

Alain GALLICE