Robert Gautier : Élus et économie sociale, une rencontre en Basse-Loire
Dès le 19e siècle, dans les agglomérations ouvrières de la Basse-Loire, les élus républicains
et socialistes vont porter leur intention sur les activités rassemblées aujourd’hui sous la
formule d’économie sociale et solidaire. Ils vont collaborer et soutenir à la fondation de
boulangeries coopératives dans une période où le pain occupe une place capitale dans
l’alimentation familiale. A Nantes, en 1883, la consommation moyenne annuelle de pain est
de 267 kg par habitant pour 46 kg de viande. Ils vont également soutenir la constitution de
magasins sociétaires d’alimentation, propriétés des adhérents qui détiennent chacun une part
du capital social.
Le soutien des élus républicains
Au lendemain de la Révolution de 1848, le docteur Ange Guépin et l’industriel Michel
Rocher s’allient avec des ouvriers nantais et réalisent une boulangerie fraternelle. Son succès
attire la sympathie de notables philanthropes, de René Waldeck-Rousseau, futur maire de
Nantes, du journal républicain Le National de l’Ouest. L’expérience est trop belle et provoque
l’hostilité des patrons boulangers nantais qui voient dans cette association, qui vend le pain
sans bénéfice, une concurrence dangereuse à leur commerce. En 1850, l’expérience est
condamnée et la boulangerie fraternelle est dissoute par le régime du prince-président, le futur
Napoléon III, qui discerne dans cette association, un refuge d’opposants à son régime
autoritaire.
Au début des années 1880, des élus républicains renouent avec l’économie sociale et sous
la direction du conseiller général Édouard Normand réalisent une boulangerie coopérative, la
Ruche nantaise. Parmi les fondateurs, les industriels Mathurin Brissonneau, Paul Granjouan,
ami de Gambetta, l’avocat Georges Colombel et l’armateur Rémy Bernard souscrivent au
capital social de l’association. Une règle absolue démocratique demeure : l’actionnaire, quel
que soit le nombre de ses actions, n’a qu’une seule voix lors des prises de décision en
assemblées générales, mettant ainsi à égalité notables et ouvriers.
A Saint-Nazaire, les jeunes organisations ouvrières vont également bénéficier du soutien
républicain de la municipalité dirigée par Fernand Gasnier, négociant en bois, et de l’aide de
l’entrepreneur radical Arsène Nouteau. Après avoir aidé et encouragé les ouvriers à fonder
des syndicats, comme le préconise Pierre Waldeck-Rousseau, les élus nazairiens poussent à la
création en 1890 de la Ruche nazairienne, une coopérative de consommation promise à un bel
avenir.
Le soutien des radicaux à la République coopérative de Charles Gide, proposant une
troisième voie pacifique de transformation sociale, ne pouvait que séduire Léon Bourgeois et
les solidaristes qui tentent de construire une doctrine sociale républicaine.
La Première guerre mondiale fait des coopératives de consommation des auxiliaires
municipales. Le maire de Nantes, Paul Bellamy, confie une partie de l’approvisionnement des
nantais aux coopératives qui luttent efficacement contre la hausse des prix et le marché noir.
La municipalité nazairienne, dans le même but, collabore à la réalisation de boucheries
coopératives qui permettent de faire concurrence au commerce et baisser les prix de la viande
au profit des consommateurs.
La coopération de consommation militante
Charles Brunellière organise au début du vingtième siècle le socialisme en Bretagne et la
coopération devient un moyen d’émancipation, une structure de solidarité et une école de
gestion de la société future. Durant l’entre-deux guerres les coopératives se multiplient dans
les centres industriels de la Basse-Loire et les cadres de la coopération, forts de leur nouvelle
expérience, vont avec un certain succès pénétrer les municipalités et occuper des fauteuils de
maire et des postes d’adjoints. C’est le cas d’Auguste Pageot, qui a collaboré à la lutte contre
la vie chère durant la guerre, élu conseiller municipal en 1919 et maire en 1935. Son adjoint
Edmond Prieur est administrateur de l’Union des coopérateurs de Nantes. Jules Lefort à Saint-
Jean-de-Boiseau, Auguste Tremblay à La Montagne, Pierre Rival à Basse-Indre sont des
militants SFIO qui ont fait leurs armes dans les coopératives de consommation avant de
devenir maires de ces communes.
A Saint-Nazaire, avec les syndicats et les associations, la coopération de consommation
participe à l’institution d’un socialisme municipal dont Henri Gautier a posé les bases. La
municipalité de François Blancho conforte cet héritage et apportera un soutien permanent aux
nombreuses coopératives de la ville. A Trignac, depuis 1890, la Société civile de
consommation est une institution. Julien Lambot, devenu maire SFIO en 1919, demeure
administrateur de la coopérative et s’entoure de collaborateurs issus des mouvements sociaux
pour gérer la cité. Dès 1919, Joseph Joncheret et Armand Gidel sont sur la liste de Lambot.
Joncheret a été licencié de l’usine de Trignac pour activités syndicales et trouve un emploi de
caviste à la coopérative. Désormais à l’abri de la vindicte patronale, il peut poursuivre
librement ses activités syndicales et politiques. Il occupera le poste de deuxième adjoint
jusqu’à son décès en 1937. Le troisième adjoint est Armand Gidel le directeur-gérant de la
coopérative. En 1945, Armand Gidel, une dernière fois, collabore à l’ultime municipalité de
« l’ère Lambot » qui s’achève en 1947.
Des liens étroits ont été tissés dès le 19e siècle entre les élus et l’économie sociale. Les
coopératives de consommation ne pouvaient les laisser indifférent car elles luttaient, avec des
moyens démocratiques, dans le domaine primordial de l’alimentation des classes laborieuses.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, une large partie de l’économie sociale
accompagne la puissance publique. Au niveau de la santé, la mutualité soutien par un salaire
indirect le pouvoir d’achat des salariés, et les coopératives poursuivent leur lutte contre la
cherté de la vie. Après mai 1968, l’économie sociale voit apparaitre « l’économie alternative »
qui est, en partie, à l’origine de « l’économie solidaire » dont les élus vont désormais faire
usage dans les périodes de crise économique.
Robert Gautier