Les chardons rouges

Auteur : Jean-Jacques Greneau

Mise en scène : Katy Grandi

Cette pièce a été écrite en résidence au Centre national des  Ecritures du Spectacle à la Chartreuse de Villeuve lez-Avignon en mars 2003. 

Le spectacle a été créé en février 2005 dans le département de l'Essonne, puis représenté au festival "Résistances"  de Bellac,  théâtre de la clef à Paris ainsi qu'au Festival d'Avignon.

Interprêtes de création : Sabine Balasse, Laurent Bur, Katy Grandi , Jean-Jacques Greneau, Jacques Pabst, Alain Sportiello, Martine Thinières.  Lumière de Mamet Maaratié.

Texte édité aux éditions du Cerisier - Cuesmes (Mons)

Année 1854 : Léon Tolstoï est à Groznaya.

Il écrit : "La guerre est une chose si injuste et si mauvaise que ceux-là mêmes qui la font s'efforcent d'étouffer en eux la voix de leur conscience".

 

Octobre 2002 : au théâtre de la Doubrovka.

Un commando tchétchène pénètre dans le bâtiment et prend le public en otage. Cette opération   dirigée par Movsar Baraïev a pour but d'alerter l'opinion mondiale sur le drame de la Tchétchénie.

La seule et unique revendication du commando consiste à faire pression sur le gouvernement de Vladimir Poutine pour que celui-ci retire ses forces armées du pays. En une phrase : Arrêtez de nous massacrer.

 

Année 2004 :  A Grozny en Tchétchénie.

Cette voix de la conscience si chère à Tolstoï s'est perdue à tout jamais.

La guerre, si injuste et si mauvaise, a laissé place au génocide. 

Que reste-t-il aujourd'hui de ce champ dévasté à coup de défoliant où, comme des îlots de liberté quelques chardons rouges persistent encore.          

Propos de l'auteur ... 

La Russie a condamné le peuple tchétchène à vivre dans la terreur et l'obscurité. Guerre coloniale, raciste, guerre pour l'exemple, pour que s'épanouisse la grande Russie.

 Aujourd'hui comme hier.

Que reste-t-il aujourd'hui de la Tchétchénie agonisante  dans une absurde situation de normalisation ? Si absurde que l'Europe détourne, une fois de plus, son regard sur ce crime organisé et se tait.   Qui pourrait se soucier d'un territoire grand comme la région Ile-de-France où l'on dénombre quelque deux cents mille morts.

                                            

Reste le théâtre.

Théâtraliser le drame de la Tchétchénie pour dire la souffrance du peuple tchétchène. Une souffrance souvent intraduisible. 

Un traducteur absent, disparu. Empoisonné ? 

On nous l'a dit, celle histoire ne nous regarde pas, c'est une affaire intérieure russe.

Ecrire du théâtre, c'est peut-être avoir tous les droits, et surtout celui qui passe par-dessus les murs et les barbelés, enfreint la loi du silence et ne respecte ni dirigeants, ni raison d'Etat.

Ecrire du théâtre. Parler de la violence ordinaire, dresser un décor avec la nuit de Grosny. Croiser des soldats qui reviennent d'une zatchitska. S'appuyer contre la porte de ce qui fut une maison et qui n'est plus qu'un amas de pierre, pas même un tombeau. S'arrêter au bord d'un charnier, le soir, pour fumer une cigarette, prendre le charnier pour un cendrier.

Ecrire du théâtre. S'emparer des hommes et des femmes et de la boue de pétrole noirâtre sur le sol tchétchène, glaner des lambeaux de chairs et des membres torturés, enflammer une torche de fortune, et de cette fumée âcre, faire s'envoler des personnages. Ne pas imaginer une autre histoire que la leur, ne pas inventer un scénario de souffrance qui ne serait que parodie et imitation.

Ecrire ce théâtre, celui du temps présent, du crime actuel, c'est agir dès maintenant pour l'existence et la dignité des hommes et des femmes de  Tchétchénie.

Juillet 2003.